INTERVIEW (SIWEL) — Après la défaite de la grande insurrection kabyle de 1871, plusieurs résistants ont été obligés de s’exiler avec leurs familles en Tunisie avant de prendre les chemins de la Syrie et de la Palestine. D’autres n’ayant pas eu la chance de s’extraire des griffes des forces coloniales ont été arrêtés et déportés qui en Guyane (Cayenne), qui en Nouvelle Calédonie.
Encore aujourd’hui, les stigmates de la colonisation française continuent de hanter les descendants de ces exilés et déportés. Les Kabyles du Moyen-Orient continuent de souffrir le calvaire. Un jeune réalisateur Kabyle, Tahar Houchi, installé en Suisse est allé les rencontrer.
-Pourriez-vous vous présenter aux Kabyles qui ne vous connaissent pas?
Tahar Houchi : Je suis né en Kabylie dans le village At-Vouyahia, commune d’At Douala, au printemps de l’année 68 qui marque une rupture dans la pensée des sociétés à la lumière notamment des révoltes parisiennes.
Je suis détenteur d’une licence ès lettres et linguistique françaises (Université d’Alger), un DES en études du développement (Université de Genève), et un D.E.A de langue, littérature et civilisation françaises (Université de Lyon II).
Journaliste et critique de film, je suis membre l’Association suisse des journalistes spécialisés (ASJS), et de l’Association suisse des journalistes cinématographiques (ASJC).
Fondateur et Directeur artistique du Festival International du film oriental de Genève (FIFOG), après plusieurs formations dans les métiers du cinéma, je réalise successivement Yidir, premier volet d’une trilogie sur l’enfance, qui a été sélectionné dans plus de 15 festivals, et Kosayla, deuxième volet de la trilogie qui sera clôturée par Dihya. Je viens de finir un court documentaire sur les Kabyles de Palestine. Actuellement, je suis en train de travailler sur un long-métrage qui nécessite à suivre les descendants de ces résistants à travers plusieurs pays.
-Vous avez réalisé un film documentaire sur les Kabyles de Palestine, comment vous est venue l’idée? Parlez- nous de la genèse de votre film ? Dans quelle région vous avez rencontré ces Kabyles?
Tahar Houchi : Lors de ma visite du Liban, j’ai cherché à entrer en contact avec un Kabyle que j’ai entendu parler sur une télévision par téléphone. J’ai réussi à avoir son contact à travers mon confrère Kamal Tarwiht. J’ai traversé le Liban jusqu’au Sud. Je rentre dans le camp Bourdj el Chemali où je trouve aammi Salah qui est devenu mon personnage principal. Il m’a présenté plusieurs personnes qui habitent dans le quartier nord-africain de ce camp. La préparation du film a commencé dès lors qu’il m’a donné son aval. Après une année de préparation, je suis reparti pour filmer.
Aussi durant la préparation, lectures, interviews, rencontre de personnes etc, j’ai réalisé que certaines de ces personnes sont originaires de mon village. D’ailleurs, deux des personnes sont rentrées au village pour retrouver leur famille. Wassim qui est en procédure pour reconquérir sa nationalité a tatoué sur un bras « Palestine » et sur l’autre le Z berbère. Son cousin Hussain m’a beaucoup facilité les choses. Le tournage sur place a duré 8 jours. Avec mon technicien et cameraman, Noureddine Kebaili, nous avons rencontré des Kabyles à Tyr, Saida, Beyrouth et à Tripoli. Des personnes âgées qui parlent le kabyle parfaitement et pensent en kabyle. Nous avons rencontré aussi des descendants de Ccix Aheddad et des Kabyles de Syrie qui ont fui la guerre. Ces gens sont originaires d’At Douala, Iwadiyen, Tubiret. On y trouve aussi des Algériens de l’Est et de l’Ouest. Mais la majorité est Kabyle.
-Quelle est la durée du film?
Tahar Houchi : Dans le festival amazigh, nous avons présenté un 18 minutes, au festival International du film oriental de Genève, nous avons présenté un 22 minutes. On le fixera définitivement à 26. Nous sommes en train de préparer la version longue du film.
-Comment le public kabyle peut-il découvrir votre film sur les Kabyles du Moyen-Orient?
Tahar Houchi : A ce stade, il va circuler d’abord dans les festivals. Peut-être quelques télévisions seront intéressées à diffuser le film. Autrement, il faut attendre, le processus d’élaboration d’un film dure souvent plusieurs années. Nous avons précipité les choses pour justement lancer une alerte au sujet du drame qu’ils vivent au quotidien. Certaines personnes sont très âgées, ça leur fait plaisir de savoir qu’ils ne sont pas seuls.
–D’après vous à la lumière de ce que vous avez vu, est-ce que ces Kabyles ont encore le désir de retourner sur la terre de leurs aïeux?
Tahar Houchi : Il faut savoir que ces personnes sont nées dans le village de Dishoum, en Palestine. Dans leur tête, c’est une partie de la Kabylie. Les reliefs sont similaires. S’il y a un rêve et un désir qui les obsèdent, c’est bien le retour au pays des ancêtres. D’ailleurs Wassim est installé au Danemark avec sa famille, mais il ressent un sentiment de vide que seul la Kabylie peut combler. Salah m’a affirmé qu’il ne changera pas la nationalité algérienne contre toutes les nationalités du monde. Et face à cela, il y a l’indifférence des autorités algériennes qu’il faut dénoncer.
-S’informent-ils de ce qui se passe en Kabylie?
Tahar Houchi : Naturellement, Salah cite aussi bien Slimane Azem que Si Mohand U Mhand. Avec l’internet, ils ont accès à l’information facilement. Il écoute la radio kabyle et regarde les télévisions d’expression amazighe. Ils m’ont beaucoup parlé de leur regret de ne pas avoir des écoles pour apprendre le kabyle.
-Quels obstacles rencontrent-ils?
Tahar Houchi : Ce ne sont pas des problèmes. Ils vivent un drame et une grande injustice. Ils n’ont aucun papier. Ils vivent dans des camps au Liban. Leurs droits élémentaires sont bafoués : voyager, travailler, étudier leur langue… Beaucoup se désolent de ne pas avoir les moyens de permettre à leurs enfants d’apprendre le kabyle.
Mon film pose ce problème sur la scène médiatique et publique. J’espère que les Kabyles puissent se mobiliser et les aider : parler d’eux, faire des pressions, collecter de l’argent, les soutenir. Ce sont des personnes à qui il faut rendre les honneurs. Ce sont les premières victimes du colonialisme. Ce sont eux qui ont semé les graines de l’indépendance.
Propos recueillis par Yidir A.
SIWEL 231349 Apr 17 UTC