OUAGADOUGOU (SIWEL) — Il y a trente ans, le 4 août 1984, Thomas Sankara renommait l’ancienne Haute-Volta en Burkina-Faso, le « Pays des hommes intègres ». Un changement de nom officiel et très symbolique, destiné à rompre avec le passé colonial et à concrétiser les objectifs de la révolution sankariste dont l’objectif était « la défense des intérêts du peuple burkinabè, la réalisation de ses profondes aspirations à la liberté, à l’indépendance véritable et au progrès économique et social », c’est-à-dire libérer véritablement le pays.
Le drapeau de l’ancienne Haute-Volta, composé de trois bandes noire, blanche et rouge, est aussi remplacé. Le nouvel étendard national est désormais composé de deux bandes horizontales rouge et verte, frappées d’une étoile jaune à cinq branches. Le tout représentant respectivement les idéaux de révolution, de travail de la terre, et d’espérance.
Autre transformation : l’hymne national. La chanson Volta laisse la place au Ditanie, ou "chant de la victoire". La devise nationale est elle aussi modifiée, passant de "Unité-travail-justice" à "La patrie ou la mort, nous vaincrons".
Ce changement de nom de l’ancienne colonie française est célébré deux jours plus tard, le 4 août, jour du premier anniversaire de la révolution de Thomas Sankara. Ce jour-là, le Conseil national révolutionnaire (CNR) organise des festivités dans tout le pays en l’honneur du nouveau Bourkina Fâso. Outre les cérémonies officielles, des matchs de football et de boxe, ainsi qu’une course cycliste, sont organisés.
À Ouagadougou, les festivités sont menées par le capitaine Sankara en personne. Le jeune leader de 36 ans, qui a pris le pouvoir avec un groupe d’officiers un an plus tôt, jubile. Au petit matin du 4 août, après une nuit de fête avec une vingtaine de proches dans son quartier général, il attrape une guitare dont il commence à gratter les cordes. Un de ses ministres et un sergent-chef lui emboîtent le pas. Le petit groupe tire l’assemblée de sa somnolence.
Parmi les convives, un invité de marque : le président ghanéen John Jerry Rawlings, dont les grandes lunettes sombres ne masquent pas l’étonnement face aux talents cachés de son hôte. Comme l’écrit Mohamed Selhami, alors envoyé spécial de Jeune Afrique, "la révolution n’est pas seulement cette chose qui immobilise l’esprit, elle sait aussi l’égayer, surtout lorsque Thomas Sankara s’en occupe".
Muni de son inséparable revolver incrusté d’argent et d’ivoire, le capitaine anti-impérialiste expliquera au journaliste de jeune Afrique avoir changé le nom de son pays "pour mieux appliquer notre conception révolutionnaire". Selon lui, « il fallait prendre des initiatives audacieuses et radicales, entre autres effacer les traces du colonialisme. À commencer par l’appellation donnée par celui-ci à notre pays. Le nom Haute-Volta ne répondait ni à des critères géographiques ni à des critères sociologiques ou culturels ».
Trente ans plus tard, le Burkina Faso reste connu dans le monde entier comme le "Pays des hommes intègres".
Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara fut assassiné, dans des « circonstances troubles », lors d’un coup d’État organisé par celui qui était considéré comme son frère, l’actuel président, Blaise Compaoré. Mais Sankara est devenu une légende, adulé bien au-delà des frontières de l’ancien berceau de la révolution sankariste. Thomas Sanaka, assassiné pour avoir voulu véritablement décoloniser son pays, est devenu le Che Guevara de l’Afrique !
Avec jeune Afrique,
SIWEL 011753 AOU 14
Biographie de Thomas Sankara:
Son parcours :
Thomas Sankara.(Né le 21 Décembre 1948 à Yako et décédé le 15 Oct 1987 au Burkina Faso).
Militaire et homme politique panafricaniste et tiers-mondiste burkinabé, il incarna et dirigea la révolution Burkinabé du 4 Août 1983 jusqu’à son assassinat lors du coup d’état de son successeur Blaise Compaoré.
Figure incomparable de la politique africaine et mondiale , radicalement insoumis à tous les paternalismes et docilisations pourtant plus sûrs placements en longévité politique post-coloniale, Thomas Sankara a légué aux générations futures la verve et l’énergie de l’espoir, l’emblème de la probité et la conscience historique de l’inaliénabilité de la lutte contre toutes oppressions.
Né à Yako le 21 Décembre 1948, en pays mossi, il est silmi-mossi, une " sous-classe " méprisée par les féodaux mossi. Son père, Peul, est un tirailleur voltaïque, combattant " volontaire " qui a servi la France sur trois continents. De ses souvenirs d’enfance, il racontait avec humour les jours où son père se retrouvait en prison par sa faute. Comme la fois où, jeune frondeur, il s’était rendu aimable envers un enfant blanc dans l’espoir qu’il lui prête sa bicyclette et l’avait finalement prise sans autorisation pour faire le tour du village.
Chef militaire et politique
Quant au mythe, Sankara trouve ses racines au Prytanée militaire du Kadiogo. C’est là que le démon de la politique le saisit, sous l’influence du professeur et mentor Adama Touré, militant communiste. Passionné, animé par ses convictions, le verbe exalté, il devient un orateur populaire. En 1980, alors secrétaire d’Etat à l’Information du gouvernement Saye Zerbo, il démissionne du poste avec fracas au cri de " malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! "
Zerbo renversé en 1982, le Conseil du Salut du Peuple (CSP), présidé par le médecin-capitaine Jean-Baptiste Ouedraogo, fait de Sankara son Premier ministre. Déjà, aux meetings, il enflamme les foules en scandant "Le néo-colonialisme, à bas ! L’impérialisme, à bas !" L’aile conservatrice du CSP prend peur de la radicalisation de Sankara et de son entourage. Il se retrouve emprisonné et sous la pression populaire il finit par être relâché. Vivant alors dans la défiance, il fomente un putsch avec son ami Blaise Compaoré qui débouche le 4 août 1983 sur l’instauration du Conseil National de la Révolution (CNR).
Un peuple " conscientisé "
Dorénavant, le jeune Président Sankara oeuvre pour rendre dignité, autonomie et indépendance économique à son pays . Il change alors le nom de son pays de Haute-Volta( hérité de la colonisation) en Burkina Faso , ce qui signifie "le pays des hommes intègres".Il applique des mesures inédites, certaines impopulaires, d’autres maladroites. Il supprime l’impôt par tête pour les paysans. Sur le critère " un ménage, un foyer ", il impose le lotissement des parcelles en ville. Une de ses plus célèbres directives reste la gratuité des logements pour l’année 1985.
Sur le plan social, il combat l’excision, réglemente la polygamie, améliore les conditions de vie de la femme et promeut l’alphabétisation des adultes. D’un autre côté, il musèle la presse et multiplie les emprisonnements politiques. Pour " conscientiser " le peuple, il n’hésite pas à licencier 2 600 instituteurs pour les remplacer par des enseignants révolutionnaires peu qualifiés.
En politique extérieure, il est très proche des autres régimes progressistes africains, celui de Kadhafi en Libye, de Rawlings au Ghana, de Museveni en Ouganda. Il souhaite s’affranchir de la tutelle française qu’il soupçonne fortement d’être à l’origine de son arrestation. Il relance le conflit avec le Mali en 1985 en provoquant la " guerre des pauvres ".
Hommes intègres
Pour combattre la corruption et l’embourgeoisement, il montre l’exemple avec les membres de son gouvernement : parkées, les Limousines et Cadillacs, désormais il faut rouler en Renault 5, des voitures qui consomment moins. Au placard, les costumes sur mesure, maintenant il faut porter du Faso dan fani, le tissu en coton burkinabé. Il n’a pas hésité à reprendre à son compte certaines thèses panafricanistes de Patrice Lumumba ou Nkwame Nkrumah.
Il a engagé une lutte contre la corruption, qui s’est traduite par des procès retransmis à la radio, mais sans condamnation à mort.
Le jour où il oblige les fonctionnaires à déclarer leurs biens pour faire l’objet d’une enquête, il est le premier à se plier à l’exercice publiquement et rit lorsqu’un journaliste lui fait remarquer qu’il est probablement un des chefs d’Etat les plus pauvres du monde. Chaque année, il dissout le gouvernement : " C’est une formule pédagogique révolutionnaire qui impose que soit rappelé à chacun qu’il est à un poste pour servir et qu’il doit en permanence se remettre en question ", explique-t-il alors.
Jeudi noir
Lors de l’anniversaire de la révolution, le 4 août 1987, Thomas Sankara fait un bilan. La révolution est une réussite entachée d’erreurs et de tâtonnements. Le peuple l’a suivi mais il sent bien qu’il faut faire une pause. " Il vaut mieux faire un pas avec le peuple que cent pas sans le peuple. " Le chef d’Etat annonce alors un adoucissement politique qu’il ne pourra amorcer : le jeudi 15 octobre 1987, il se fait mitrailler par un commando sur le parvis du Conseil de l’entente, siège du CNR, avec une douzaine de ses collaborateurs. Blaise Comparoé, ami fidèle et bras droit, prend alors le pouvoir, déniant être à l’origine de cet assassinat.
Que reste-t-il aujourd’hui de l’héritage de Thomas Sankara ? Sans doute plus qu’une légende et quelques nostalgiques…Un symbole de lutte et d’intégrité. Une icone de la décolonisation véritable de l’Afrique !