DIASPORA (SIWEL) — A la suite de la Conférence nationale kabyle, initiée par le Mouvement pour l’autodétermination de Kabylie, SIWEL est allé à la rencontre du Président de l’Anavad, M. Ferhat Mehenni. Nous avons cherché à connaitre ses appréciations sur cet évènement important pour la Kabylie sur la situation des Amazighs de Libye dont une délégation du haut conseil des Amazigh est actuellement en tournée européenne afin d’évaluer les possibilités de l’avenir des amazighs en Libye. Nous avons également questionné le président de l’Anavad sur l’afflux incontrôlé des réfugiés syrien et malien que le pouvoir algérien a réorienté de manière totalement anarchique vers la Kabylie.
Ferhat Mehenni : La Conférence Nationale Kabyle qui s’est tenue à At Wa3van est un événement positif et de portée historique inestimable. Nous avons réussi l’exploit de réunir des citoyens kabyles que leurs différentes opinions politiques éloignaient jusque-là les uns des autres. Cela prouve que la Kabylie a muri et que le MAK est enfin devenu un cadre de rassemblement et de concertation de nos différents acteurs politiques. Cela prouve aussi que le pouvoir algérien n’exerce plus sa force d’attraction sur nos élites qui ont pris conscience de son racisme envers tout ce qui est kabyle. Regardez tous les généraux d’origine kabyles déchus de leurs fonctions en moins de cinq ans et ceux sur lesquels pèsent des soupçons de manque de loyauté à l’égard du pouvoir et de son régime dès qu’il y a lieu de traiter de la question kabyle.
Voyez tous ces hauts fonctionnaires kabyles dont personne ne conteste les compétences mais qui se retrouvent sur la touche du seul fait de leurs origines ! Aujourd’hui, même les cadres kabyles qui étaient victimes de l’idéologie algérianiste, ne rejettent plus l’idée d’une Kabylie libre. Le grand sage et doyen politique kabyle, Me Ali Yahia Abdenour, vient de prendre courageusement position en faveur du MAK. C’est là, un processus historique irréversible qui est à l’œuvre non seulement chez nous, mais aussi dans tous les pays issus de la colonisation. Ce processus ira à son terme et, j’en suis convaincu, la Kabylie deviendra tôt ou tard indépendante et aura besoin de tous ses enfants pour son développement et son rayonnement international.
Ceux, parmi les partis kabyles légaux, qui tentent de sauver l’Algérie se fourvoient. Ils ne peuvent sauver l’Algérie sans tuer la Kabylie. Je les invite fraternellement à réviser leurs options stratégiques. Gérer la carrière de leurs membres, leur sera plus aisé dans une Kabylie libre et démocratique que dans une Algérie qui ne peut exister que dans la dictature et le reniement du peuple kabyle. Les synergies kabyles vont toutes converger vers l’indépendance de la Kabylie. Autant s’y atteler tous ensemble dès maintenant.
Permettez-moi de saluer toutes celles et tous ceux qui ont eu le courage et la lucidité de prendre part à cette Conférence Nationale Kabyle à At Wa3van, ce village dont je connais le sens de l’hospitalité, du devoir et de l’honneur et que le pouvoir algérien a voulu salir à travers l’étrange affaire Gourdel.
Je propose à la Commission Nationale qui en est issue, ainsi qu’au MAK, de réfléchir sur la possibilité de faire de cette Conférence Nationale Kabyle un rendez-vous régulier dont la périodicité resterait à définir.
Siwel : Depuis la Conférence nationale Kabyle, le président du MAK,Bouaziz Ait-Chebib est la cible d’attaques anonymes sur les réseaux sociaux, qu’en pensez-vous ? Selon vous, à quoi ces attaques peuvent-elles être dues ?
Ferhat Mehenni : Monsieur Bouaziz Ait Chebbib est un homme de droiture et de valeur. Il a toute ma confiance. Tous ceux qui, dès le départ, voulaient tuer le MAK dans l’œuf, me conviaient déjà « amicalement » de l’écarter de la direction. Aujourd’hui, c’est pour ses résultats probants qu’il est de nouveau la cible de nos adversaires. Toute personne qui s’en prend à lui, cherche in fine, consciemment ou inconsciemment, à fragiliser et à saborder le Mouvement et l’Anavad. M. Ait Chebbib a été élu, en même temps que moi, en décembre 2011, à la tête du MAK. Tous les deux nous devons accomplir notre mission jusqu’à la fin de nos mandats respectifs. Le prochain congrès, en décembre 2015 ou janvier 2016, décidera de réélire le président du MAK ou de lui préférer un(e) autre. En ce qui me concerne, mon souhait est de passer la main, de ne pas me représenter. Les cadres qui se sentent en mesure de faire mieux que nous, le terrain ne peut que leur être favorable. Ils doivent agir non pas contre M. Ait Chebbib mais contre nos adversaires, l’Etat algérien et ses relais, les islamistes qui s’emparent petit à petit de la Kabylie. Il faut aller soutenir Ivervacen, cette commune qui, seule, défie l’autorité de l’Etat ; il y a lieu de se battre contre le redéploiement de la gendarmerie en Kabylie, dénoncer les militaires qui mettent le feu à nos forêts et à nos arbres fruitiers. Prendre des initiatives pour traduire en justice ceux qui avaient massacré les manifestants du 20 avril dernier…Les idées d’action ne manquent pas. Mais ceux qui complotent à l’intérieur du MAK pour le déstabiliser, sont mes adversaires avant d’être ceux de M. Ait Chebbib.
Siwel : Que pensez-vous du projet de Conseil national kabyle et du fait que la commission chargée d’y travailler soit présidée par une personnalité apolitique tel que Younes Adli ?
Ferhat Mehenni : D’abord, M. Adli est un home de principe et de valeur. Nous nous sommes côtoyés sur les bancs de l’Institut des Etudes Politiques de l’université d’Alger de 1973 à 1977. Ses publications parlent pour lui. Nul n’a autant conscience, comme lui, de la pensée kabyle à laquelle il a déjà consacré au moins deux livres. Il a toujours été droit. Il a tout mon respect et mon amitié. J’ai confiance qu’il fera en sorte que la Commission Nationale qui lui a été confiée par la Conférence Nationale Kabyle qu’il préside, fasse son travail dans la sérénité et la méthode. Nous aurons tous à en apprécier les résultats au bout du mandat qui lui a été confié. Ceci dit, mon souhait, et celui de l’Anavad, est de parvenir à terme à ce que nous mettions sur pied un parlement kabyle sur des bases que nous aurons à définir. Ce parlement, une fois désigné, aura entre autres missions, d’élaborer un projet de Constitution qui sera soumis au peuple kabyle par un processus électoral dont il faudra convenir d’ici là. La CNK a également décidé de la création d’une Ligue Kabyle des Droits de l’Homme (LKDH) et je salue cette initiative car les crimes commis contre les citoyens kabyles ne sont jamais dénoncés ou si peu. Mon souhait serait qu’une femme soit porté à sa tête, d’une part parce que les mentalités doivent changer et d’autre part parce que nous disposons déjà de ces compétences féminines tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos rangs.
Siwel : Que pensez-vous du travail accompli sur le terrain par le MAK ? Estimez-vous que le Mouvement évolue positivement ?
Ferhat Mehenni : C’était le grand Mouloud Mammeri qui avait écrit en préface d’Askuti de Said Sadi que : « Win ittṛuẓun asalu, iteddu akken yufa, maci akken yevɣa!”. Ceci étant dit, il est indéniable que Bouaziz Chebbib est un militant infatigable. Depuis qu’il a été élu, il sillonne quotidiennement la Kabylie et il est sur tous les fronts. Par rapport aux moyens dont dispose le MAK, il est évident que ce sont des pas de géant qui ont été accomplis depuis que M. Ait Chebbib en a pris la direction. Bien sur, nul n’est à l’abri d’une maladresse, moi compris. Mais tout se corrige et quand la volonté de bien faire est là, les militants lésés sont remis dans leurs droits. Mais quand une faute grave est commise par un militant, comme le fait de s’adonner à un travail de sape à l’intérieur du Mouvement, la sanction est inévitable. L’avertissement, le blâme ou une mesure plus grave sont du domaine de la discipline. Aussi, j’invite chaque militant à la retenue et à la responsabilité.
Siwel : Monsieur le président, une délégation du Haut conseil des Amazighs de Libye fait actuellement une tournée en Europe pour échanger avec les autres peuples amazighs sur leur propre situation en Libye. Quelle appréciation faites-vous du projet de constitution des Inefussen ? Selon vous, quel avenir est-il possible pour les Amazighs de Libye dans le contexte international actuel ?
Ferhat Mehenni : L’initiative prise par la délégation des Amazighs d’Inefussen pour nous rencontrer est en soi la manifestation d’une prise de conscience de l’existence d’un peuple distinct : le peuple Amazigh Aneffussi. Il se sent frère des autres peuples amazighs mais en sachant que chacun d’entre eux est doté de sa propre personnalité. C’est là une avancée considérable au regard du statut qui était le leur jusqu’à la chute de Kadhafi. C’est aussi le signe d’une sagesse politique comme d’une marque de respect à l’égard de tous les peuples amazighs. Le projet d’une constitution pour Inefussen marque une évolution significative dans la voie de sa réhabilitation et son émergence sur la scène internationale. Petit à petit, ils vont croire en eux-mêmes et fonderont une nouvelle Nation qui sera, tôt ou tard, consacrée par le droit international. Dans le contexte international actuel, tout leur est possible. Je ne manquerai pas de leur donner mon modeste point de vue sur l’éventail des possibilités qui s’offrent à eux. Mais vous comprendrez que je n’en dise pas plus ici.
Siwel : Ces derniers temps, des milliers de réfugiés maliens et syriens ont été redirigés par l’Etat algérien vers la Kabylie où un phénomène inédit de mendicité a envahie la rue kabyle ? Qu’en pensez-vous ?
Ferhat Mehenni : La Kabylie est hospitalière mais je ne savais pas que cette réputation était parvenue jusqu’en Syrie et au Mali. D’aucuns n’hésitent pas à pointer du doigt une malveillance du pouvoir algérien à réorienter ces réfugiés sur la seule Kabylie. Quel que puissent être les causes de cet afflux soudain de réfugiés chez nous, la tradition d’hospitalité ne doit en aucun cas faire défaut. Mais un cadre de sa gestion devra être mis en place. Aussi, je lance un appel solennel aux élus kabyles des APW et APC de Vgayet, Tuviret et de Tizi-Wezzu afin de créer des camps de réfugiés et de demander au HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU) de les superviser, de les subventionner et de les rapatrier lorsque les troubles dans ces pays auront disparus. Il est évident que la politique de l’Etat algérien n’a pas agi par simple bienveillance vis-à-vis de ces réfugiés en les déversant ainsi de manière anarchique dans les villes de Kabylie, sans aucune prise en charge ni aucune structure d’accueil. Une chose est certaine, c’est aux kabyles de gérer cette affaire parce qu’il s’agit de leur territoire.
zp,
SIWEL 211403 NOV 14