DIASPORA (SIWEL) — « La Constitution algérienne ne nous concerne pas. Elle ne concerne pas la Kabylie ». Tous ceux qui s’agitent pour faire adhérer le peuple kabyle à cette révision constitutionnelle travaillent pour l’Algérie contre la Kabylie. Nous en connaissons qui n’ont, parmi ceux claironnant la bonté d’un Bouteflika en état végétatif, non pas la moindre conviction d’être dans le vrai, mais le désir de gagner un poste académique. Ils s’empressent d’applaudir en espérant se faire remarquer par les « décideurs », pour ne pas dire par les « recruteurs » de la future académie amazighe dont la révision constitutionnelle annonce la création. Importe peu pour eux le statut insultant fait à cette famille de langues et aux peuples qui en sont les locuteurs. Le poste et le salaire passent chez eux avant la dignité, la leur et celle des leurs. ».
Interview avec Mme Sakina Ait-Ahmed, Ministre de la langue et de la culture kabyles au sein du Gouvernement Provisoire Kabyle
Mme Sakina Ait-Ahmed : En réponse à votre question, pour bien comprendre la situation présente, il y a lieu d’abord de remonter dans le temps afin de démontrer la constance maléfique de ce pouvoir dictatorial qui gouverne l’Algérie, cette création coloniale, depuis plus d’une cinquantaine d’années.
Déjà en 1963, puis la Charte d’Alger de 1965, la Charte Nationale et la Constitution de 1976, la Constitution de Chadli en 1989, celle de Liamine Zeroual en 1996, avaient toutes ignoré par mépris et par racisme l’existence d’une quelconque bribe linguistique amazighe en Algérie. En revanche, elles ont toutes affirmé la primauté de la langue arabe sur toute autre langue usitée chez nous.
Zeroual avait promis dans son programme électoral de 1995 de réparer cette injustice en écrivant : « Notre identité serait incomplète sans sa dimension amazighe, langue et culture de nos ancêtres depuis l’aube de l’histoire » et de souligner plus loin que « l’amazighité avait été occultée par le fait d’attitudes frileuses et par le fait d’un débat prétendument politique et souvent politicien ». Promesse non tenue ! Il a fallu le boycott de toute l’année scolaire 1994/95 pour la création du cadavérique Haut-Commissariat à l’Amazighité et le début d’un enseignement au compte-gouttes de quelques langues amazighes.
En fin de compte, ce n’est qu’après les massacres de jeunes manifestants lors des dramatiques événements du Printemps Noir (2001) que la donne changea sous le poids de la rue kabyle et du multimédia. Bouteflika qui, pourtant, avait juré publiquement en 1999, que de son vivant, tamazight ne serait jamais langue officielle, a été forcé de lui reconnaître en mars 2002, un statut de « langue nationale », avant la proposition faite fin décembre dernier.
Aujourd’hui, après que le voisin marocain ait « officialisé » ses langues amazighes, le pouvoir colonial algérien ne pouvait être en deçà de ce qu’il y a au Maroc.
De toutes les manières, à regarder de plus près les termes de cette officialisation on se rend compte qu’elle n’en pas une.
Les articles 3 pour l’arabe et 3 bis pour tamazight montrent clairement qu’il y a une langue officielle qui est l’arabe et une sous-langue qui est tamazight :
Article 3 : l’Arabe est la langue nationale et officielle.
L’Arabe demeure la langue officielle de l’Etat
Article 3 bis : Tamazight est également langue nationale et officielle. L’Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes les variétés linguistiques en usage sur le territoire national
Pour garantir la primauté de l’arabe sur tamazight, l’article 3 ajoute :
« Il est créé auprès du Président de la république un Haut Conseil de la langue arabe. Le Haut Conseil est chargé notamment d’œuvrer à l’épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans les domaines scientifiques et technologiques, ainsi qu’à l’encouragement de la traduction vers l’Arabe à cette fin ».
Tandis que pour le tamazight, il est annoncé la création d’une Académie algérienne de la langue Amazighe (…) qui s’appuie sur les travaux des experts, pour « réunir les conditions de promotion de Tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle.". Dans un demi-siècle, peut-être, réunirait-elle les conditions de son officialisation subordonnée à une « Loi Organique », une loi qui n’est adoptée qu’à 75% des deux assemblées supérieures.
Donc en réponse à votre question, je me réfère et j’adhère totalement à la déclaration de Monsieur Ferhat Mehenni Président du Gouvernement Provisoire Kabyle lors de la tenue du Prè-Congrès MAK-Europe : « La Constitution algérienne ne nous concerne pas, elle ne concerne pas la Kabylie. » Désormais, nous ne voulons qu’une seule chose : notre droit à notre autodétermination en tant que peuple kabyle.
Quelle est votre position sur la proposition de la création de l’Académie de Tamazight, et sur le bilan du HCA ?
Mme Sakina Ait-Ahmed : Comme pour cette infériorisation constitutionnelle de tamazight, il faut là aussi revisiter le passé, particulièrement par un retour à la création de son ancêtre, en l’occurrence le Haut-Commissariat à l’Amazighité lors de la première proposition de sa reconnaissance sous la présidence de Monsieur Liamine Zéroual. Le pouvoir y avait mis d’indus occupants qui sévissent à ce jour contre la langue kabyle. Déjà en 1997, soit deux années après sa mise en place, certains de ses défenseurs avaient crié à la mascarade et à l’escroquerie politique. D’ailleurs, le Ministre de l’Education d’alors, avait refusé de signer le document ministériel introduisant l’enseignement de tamazight dans le cursus scolaire algérien. Son successeur, Slimane Cheikh a adopté une démarche identique en confiant à son chef de Cabinet le soin de parapher la circulaire portant sur la création des « classes pilotes » le 7 octobre 1995.
De même, il faut rappeler la polémique née autour de la prise en compte de la note de tamazight dans la moyenne générale de l’élève, réclamée par les élèves, les enseignants et les parents d’élèves amazighs. Le ministère avait rapidement publié en 1996 un démenti affirmant que la note devait simplement apparaître sur le bulletin sans être pour autant prise en compte.
Par ailleurs, ce pouvoir colonial perfide, actionne toujours en sous-main les partisans d’une arabisation totale pour s’opposer à Tamazight. Lors de la tenue du premier séminaire sur l’amazighité en 1996, celui-ci avait donné lieu à une levée de boucliers des islamo-terroristes appelant à l’empêcher , « y compris par la force .
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Sinon sur le bilan actuel du HCA je vous renvoie aux déclarations récentes de ses propres dirigeants qui portent un regard très négatif sur lui.
Nous concernant, au MAK/GPK, nous portons de toutes nos forces le projet de l’Académie de la Langue et de la Culture kabyles dont j’ai l’insigne honneur d’être en charge actuellement.
Ce projet d’une Académie de la langue et de la Culture Kabyles n’est pas parti de rien, il a été minutieusement préparé par mon excellent prédécesseur Monsieur Lhacène ZIANI aujourd’hui Vice-Président de l’Anavad et dont je salue l’engagement et le dynamisme malgré sa maladie. Je suis soulagée qu’il soit en voie de guérison.
Sinon, pour finir cet entretien, il y a lieu de relever la deuxième mission, aussi inepte que criminelle assignée à l’Académie Algérienne de langue amazighe, celle de « créer une seule langue tamazight imposée à tous. Qui avait dit que le ridicule ne tuait pas ?
SIWEL 182310 JAN 16