PARIS, DIASPORA (SIWEL) — Ce soir j’ai peur d’être Ferhat Mehenni. Je crains que ses pensées croisent les miennes et que soudain la douleur ne me fige. Si la vie est traversée continuellement par des hauts et des bas, certaines stations vous obligent à mettre pied à terre, se regarder jusqu’au plus profond de soi et se demander.

 

Ce soir, Ferhat est confronté à deux deuils : celui de la perte de son frère aîné et l’autre encore plus douloureux de ne pas le voir partir. De ne pas accompagner ses derniers instants. Entendre ses dernières paroles. Le serrer une dernière fois dans ses bras. Prendre sa main et le rassurer. Il ne sera pas là sur le pas de la porte, droit dans son burnous pour accueillir la Kabylie lui rendant visite. Il ne sera pas celui d’après, il ne remplacera pas le père, ni le frère aîné pour devenir le visage de sa famille. Il ne sera pas aux côté de Nna Wiza pour que la vie fasse son décompte et séparer l’espoir de ceux qui restent de la sérénité de ceux qui partent. Il ne sera pas là pour se laisser tomber dans les bras de sa mère et se rassurer mutuellement.

Quand la réalité se pointe sans crier garde avec sa balance précise et implacable. Elle se ramène arrogante, indécente blessante pour vous rappeler le poids de vos engagements. Elle vous arrache aux rêves et à la quiétude des certitudes pour vous flanquer de cette vérité amère. Quand à peine vous surmontez une épreuve difficile, vos résolutions les plus optimistes de ne plus souffrir, de ne plus vivre ça, fondent sous le soleil de l’inconsolable imprévu. Quand encore et encore vous êtes confrontés à vos propres limites, pour qu’enfin vous vous affaissez, vous affaler impuissant face à l’insondable avenir devenu soudain l’instant présent. Quand la personne, à qui votre vie durant, vous disiez Dadda rejoint ceux à qui vous n’avez pas assez dit Vava ou Mmi… quand ici au loin, la nouvelle tombe, vous n’avez que vos yeux pour pleurer.

La soixantaine révolue, Ferhat appelait toujours son frère aîné « Dadda Arezqi ». Malgré le prestige et la renommée acquis sur les pavés ardents de la lutte. Il est resté un homme politique à dimension humaine. Il est resté le père qui ne cache pas ses larmes quand le cœur se brise sur les récifs de la barbarie du pouvoir algérien. Le privant à jamais de l’affection de son fils aîné. Il est resté ce petit frère qui écoute l’aîné d’une oreille attentive les yeux plein de malices et de complicité.

Les yeux remplis de larmes de Nna Wiza ne rencontreront pas ceux d’un fils exilé pour que l’instant esquisse un dérisoire réconfort. Ce soir Ferhat n’a pas droit aux larmes libératrices. Chaque goute versée fera l’effet d’un chaudron de l’enfer se déversant sur la chair humaine mais ne pourra tiédir quelque peu le froid laissé par le défunt. Les larmes de l’absent ne soulage pas elles enfoncent, elle attristent, elles ne sont pas sereines.

Ce soir, Ferhat a perdu son frère aîné et l’exil son romantisme et sa douceur. Ce soir cette rive autrefois si proche, redevient si lointaine à ne plus la distinguer. Elle est noyée, engrisaillée noircie. Ce soir le chant se fait oraison funèbre.

Brel chantait « quand l’un des deux s’en va l’autre se retrouve en enfer ». Un enfer froid de solitude de cet aîné ravis à jamais. Ainsi de l’absence à la disparition, les êtres chers s’installent dans cette éternité propre à l’humain. Une éternité qui fait abstraction du mot fin et de la disparition fatidique de celui, qui hier encore s’inquiétait pour vous. Mais ya ddin errab jusqu’à quand les militants kabyles subiront-ils sans riposter ?

Zahir Boukhelifa

SIWEL 192358 FEV 16

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