DIASPORA (SIWEL) — Étrange, françaises et français célèbrent chaque 8 mars sans évoquer le nom de Marie-Olympe de Gouges, la fondatrice des mouvements pour l’émancipation des femmes. Sur le sol des libertés, son combat est passé sous silence ; l’évoquer, c’est égratigner la sensibilité des Jacobins qui, aujourd’hui, se font fièrement porte-voix de l’homme qui avait transformé la révolution française en période sanguinaire, Maximilien Robespierre.
La célébration de la journée du 8 mars reste emplie plus de duperies que d’engagements. De manipulations. De la fourberie masculine que la femme prend, son corps défendant, comme une reconnaissance dans laquelle elle ne trouve pas le bon gout.
Les femmes ont conquis l’égalité juridique et législative dans beaucoup de pays du monde. Le combat à mener reste le prolongement de cet acquis dans les faits. Pour cela, il faut identifier les difficultés que les femmes doivent surmonter dans la société et se pencher sur les moyens à prendre pour améliorer leurs conditions. Toute intelligence a donc le devoir de décrire son objectif de bannir toute forme d’inégalité entre les sexes. Il faut que cela soit une activité assidûment réitérée mais pas transformée.
Il faut que cette activité s’émancipe en une tâche qui ne laisse pas 364 jours entre les écrits sur la femme et l’outrage qu’elle subit. Cependant, le principe de dédier une journée à la Femme est une opération plutôt arbitraire. D’anniversaires en commémorations, il n’y a pas une journée dans l’année qui n’ait pas son thème. Ainsi, des journées sont consacrées à l’eau, aux forêts, à la montagne, aux océans, aux zones humides, à l’environnement et à la couche d’ozone. Aux dauphins, aux animaux, aux oiseaux migrateurs. À la diversité biologique, aux espèces menacées, à la raquette des neiges. Au blog, à la télévision et au fromage. Aux lépreux, aux hémophiles, aux tuberculeux, aux aveugles, aux autistes, aux handicapés. Aux écrivains en prison, aux torturés et aux enfants violentés…
Dans ce laticlave de refrains, convergent en sourdine : souvenirs, pitié, charité, compassion, bienfaisance, examens, études et aussi, chroniques sur le monde secret. Et le 8 mars : journée internationale de la femme ! Quelle largesse, quelle bonté !
L’ambition de l’homme, plus précisément, le politicien calculateur qui a réfléchi à consacrer une journée à la Femme est de s’élever au-dessus des thèmes dont il a garni le calendrier. De fait, il a établi une hiérarchie dans l’esprit humain dans laquelle la Femme a pris le statut de mineur, la position ingrate d’éternelle assistée.
CONFONDUE, LA FEMME EST DONC CHOSIFIÉE
La femme à travers la journée du 8 mars subit continuellement des manipulations idéologiques. Pendant longtemps, des penseurs gauchistes ne dissociaient pas la lutte des femmes de celle de la classe ouvrière. Partout, beaucoup de femmes engagées dans des partis politiques s’organisent chaque 8 mars, leur lutte est soumise à l’intérêt de leurs regroupements, elles sont utilisées selon les besoins du moment puis rendues aux mains de l’oppression quand il n’y a plus besoin d’elles.
Passons sur la question d’accepter ou de refuser de lier le combat de la femme à une journée. Si l’on veut que cette journée symbolise les agrumes d’un large processus de luttes, cherchons dans quel épisode de l’histoire, cette journée du 8 mars trouve-t-elle son origine ?
Une légende destinée à donner des racines américaines à la tradition du 8 mars rapporte que le 8 Mars 1857 à New York, les femmes employées dans les usines de textile se mettent en grève et descendent dans la rue pour revendiquer de meilleures conditions de travail : journée de 10 heures, des crèches et un salaire égal à celui des hommes. Cette manifestation, continue la légende, oppose les femmes à la police de New York qui charge, tire et tue. Cet événement qui vraisemblablement n’a jamais eu lieu fut rapporté le 5 mars 1955 par le journal L’Humanité qui déclarait qu’en 1910, Clara Zetkin proposai de faire définitivement du 8 mars, la journée internationale des femmes. Ce qui était faux.
Une autre référence falsifiée affilie la date du 8 mars à la participation des femmes ouvrières à la Révolution Russe. La littérature soviétique nous apprend que le 23 février 1917, date du calendrier russe, ou le 8 mars dans le calendrier grégorien, des femmes travailleuses sont sorties dans les rues pour déclencher des grèves générales qui, plus tard, ont inauguré la Révolution Russe. La réalité est que des femmes à Saint-Pétersbourg manifestaient pour réclamer du pain et le retour de leurs maris partis au front. La rumeur d’une manifestation d’ouvrières contre le Tsarisme déclenchée par le parti Bolchevik est alimentée à nos jours par les militantes de l’extrême gauche qui ignorent peut-être qu’avant que des habiles ne s’attribuent la paternité et l’organisation de la journée du 8 mars une fois devenue politiquement rentable, c’était bien Trotski qui insistait sur le caractère spontané et indiscipliné de cette initiative "Sans tenir compte de nos instructions, les ouvrières de plusieurs tisseries se sont mises en grève et ont envoyé des délégations aux métallurgistes pour leur demander de les soutenir… Il n’est pas venu à l’idée d’un seul travailleur que ce pourrait être le premier jour de la Révolution" … Voilà ce que disait Léon Trotski.
La journée du 8 mars étant la carte privilégiée des adeptes de la IV internationale, celles-ci en l’officiant, glorifient la première défaite de leur maître à penser Léon Trotski et les conditions humiliantes qui lui étaient imposées quand il fut contraint de signer un traité honteux avec l’Allemagne. La révolution en Allemagne sur laquelle il avait misé tardait à venir et les troupes allemandes reprenaient leur avancée en Russie et occupaient l’Ukraine. Il démissionnait de ses fonctions de Commissaire du Peuple aux Affaires étrangères le 8 mars 1918.
La révolution, dans le lexique marxiste, tend à faire participer pleinement les femmes à la vie économique, sociale et politique et Lénine décrète en 1921, le 8 mars journée des Femmes sans faire vœu de parité, aucune femme ne figurait parmi les responsables de l’état, pas même dans le plus insignifiant des soviets municipaux.
Le bambin se montrera tout de même déconcerté si vous lui posez la même question sur Valentina Terechkova ! Mais, dirions-nous, une ville, des rues, des places, des avenues, des centres de recherches, des centres culturels, des promotions militaires portent le nom de Youri Gagarine, ce qui est une bonne chose. Mais en ce qui concerne Valentina Terechkova ! Oulach, rien, Nada, niet, Wallou, si ce n’est un timbre-poste qui n’a pas survécu à l’effondrement de l’Union Soviétique. Valentina Terechkova, une ouvrière du textile, était restée pendant longtemps la seule femme à avoir effectué un voyage en solitaire dans l’espace. Le 16 juin 1963, à 26 ans, elle était la plus jeune cosmonaute juste deux ans après Gagarine et SIX ANS avant que l’américain Neil Amstrong ne pose pied sur la lune.
Les articles qui seront consacrés à partir de 1920 à la Journée internationale des femmes feront référence soit à la grève de New York soit à celle de Saint-Pétersbourg mais donneront des versions variables à l’origine de cette journée et à sa signification, selon la conjoncture et de l’organisation qui en parle. Le nom de Clara Zetkin est rarement cité. Celui de Marie-Olympe de Gouges reste tabou.
Aujourd’hui, les images qui s’ouvrent sur le 8 mars à propos de la condition de la femme dans les démocraties avancées sont en totale contradiction avec les discours pompeux des dirigeants qui restent beaucoup plus conservateurs. Sauf que ces images ne sont étalées que la journée du 8 mars. Les conquérants, les vainqueurs savent commémorer cette fameuse journée :
Le 8 mars 1933, c’était l’annonce officielle de la création de camps de concentration allemands dans l’indifférence générale des états européens.
Le 8 mars 1950, le maréchal Vorochilov annonce que l’Union soviétique possède la bombe atomique.
Le 8 mars 1965, trois mille cinq cents Marines américains débarquent au Sud-Vietnam.
Le 8 mars 1989 : La Chine impose la loi martiale au Tibet.
Le 8 mars 2002, les forces russes sur ordre de Poutine assassinent le chef indépendantiste tchétchène Aslan Maskhadov.
Dans le tiers-monde la condition des femmes est indescriptible. Dans les pays arabes, les femmes restent confinées au rôle traditionnel de la mère et de l’épouse dont l’objectif reste la procréation. Lorsqu’une femme est séquestrée, privée de liberté et de parole, toute forme de pouvoir peut s’exercer sur elle.
La journée 8 mars devrait changer de thème et devenir simplement une journée pour l’égalité des sexes, sinon, tant que l’égalité entre les hommes et les femmes ne sera pas atteinte, égalité convenablement réussie, nous n’aurons pas besoin de la célébrer.
Dans l’historique de cette journée, de maigres acquis sont à noter, certes, mais elles ne sont l’œuvre que des femmes seules, il n’y aura aucune victoire, aucun triomphe et aucun bonheur à fêter cette journée si elle n’entraîne pas femmes et hommes dans une même impulsion démocratique. Autrement, qu’elle attrait aurait-elle sur l’opinion ?
La femme donne la vie, la femme perpétue la vie, la femme et la vie sont donc synonymes .À ce titre, comment une journée peut-elle la contenir ?
Djaffar Benmesbah
Notes:
Clara Zetkin, de son vrai nom Clara Eissner, avait rencontré un russe, Ossip Zetkin, elle ne l’avait pas épousé mais avait pris son nom, et ils avaient eu, ensemble, deux enfants. À la mort de Zetkin, elle avait rencontré le peintre Friedrich Zundel et l’avait épousé, mais sans porter son nom. Zetkin elle était restée. Clara Zetkin joua avec Rosa Luxembourg un rôle déterminant dans création du parti communiste allemand. Emprisonnée et plus tard élue au Reichstag, elle lutte contre le nazisme en Allemagne. Ironie de l’histoire, l’arrivée au pouvoir de Staline la met à l’écart de l’Internationale communiste. Elle meurt en exil à Moscou le 20 juin 1933 dans des conditions qui n’ont jamais été élucidées.
Olympe de Gouges écrivait ce qui suit dans son célèbre manifeste : « Le but de toute assemblée législative doit être de protéger les droits inaliénables des deux sexes : liberté, progrès, sécurité et protection devant l’oppression. Tous les citoyens et toutes les citoyennes doivent pouvoir participer directement et par l’intermédiaire de leurs propres représentants à la législation. Toutes les citoyennes doivent avoir un accès égal à l’ensemble des professions de la fonction publique ainsi qu’aux honneurs qui les accompagnent. ».
SIWEL 061701 FEV 16