AGADIR (SIWEL) — Invité par les organisations amazighes au 13ème Festival de Timitar qui s’est tenu du 13 au 16 juillet 2016 à Agadir, le président de l’Anavad (Gouvernement provisoire kabyle en exil), Mas Ferhat Mehenni devait participer à cette rencontre entre peuples amazighs avec une contribution relatant le parcours de la Kabylie allant « des revendications identitaires et culturelles au droit à l’autodétermination ». Néanmoins, les autorités consulaires du Maroc en France ont tout bonnement refusé de lui délivrer un visa.
Siwel publie ci-après l’intégralité de la contribution du président de l’Anavad, Ferhat Mehenni, qui a été lue au festival Timitar d’Agadir.
"La Langue et la Culture amazighes entre les défis et les attentes de la société"
Des revendications identitaires et culturelles au droit à l’autodétermination
Ou
De l’amazighisme au kabylisme
Par Ferhat MEHENNI
La marche de la Kabylie vers elle-même a été longue et déroutante. Égarée dans la nuit idéologique algérienne depuis 1857, elle a longtemps cherché, en tâtonnant, à (re) trouver un chemin qui la ramène vers sa propre lumière.
Ce n’est qu’à partir de la fin des années 40 que l’amazighisme, qu’on appelait alors « berbérisme », allait devenir l’arbuste auquel elle s’était cramponnée pour ne pas être emportée par les flots tumultueux de l’algérianisme dans lequel elle s’était pourtant généreusement et dangereusement investie. Très vite évacué des rangs militants, notamment après la crise antiberbère de 1949, pour mieux engager la Kabylie dans la lutte armée pour l’indépendance de l’Algérie, le courant amazighiste va renaître de ses cendres au lendemain de la guerre perdue par le FFS (1963-1965).
Porté par trois ténors aux orientations politiques en apparence contradictoires, (Mouloud Mammeri, Kateb Yacine et Mohand Arav Bessaoud) l’amazighisme va devenir le courant majoritaire de la société kabyle du Printemps Berbère (1980) au Printemps Noir (2001).
Aujourd’hui, le kabylisme a succédé à l’amazighisme que la Kabylie continue néanmoins d’entretenir aussi bien pour ne pas perdre de vue l’ensemble de sa famille identitaire que dans la perspective d’une future et nécessaire construction politique nord-africaine, celle de Tamazgha
Bien que le chant « Ekker a mmi-s (n)umaziɣ» ait été écrit vers la fin des années 40, la notion d’amazighité n’était pas vraiment diffusée dans la société. C’était le fait exclusif de quelques militants kabyles lettrés qui s’opposaient à la dérive arabo-islamiste de la direction du PPA-MTLD, le parti indépendantiste algérien dans lequel les Kabyles étaient largement majoritaires au niveau de la base militante (80%) mais très minoritaires au sein sa direction.
Dans leur écrasante majorité et jusqu’en 1980, les Kabyles n’avaient pas conscience, ou si peu, de leur parenté linguistique et culturelle avec d’autres peuples nord-africains. Il a fallu attendre l’indépendance de l’Algérie et, surtout, la défaite militaire kabyle sous la bannière du FFS, face à l’armée algérienne, pour que ce courant culturel réapparaisse comme solution à l’impasse politique dans laquelle s’était retrouvée la Kabylie.
Les défis et les attentes de la société kabyle au plan amazigh ont évolué au fil du temps. En retracer les périodes est d’autant plus aisé, ma génération est celle qui a porté l’essentiel de ce combat fortement marqué par chaque contexte sociopolitique traversé : La dictature du socialisme arabo-islamiste de Boumediene, la dictature arabo-islamiste de Chadli, l’amazighité à l’épreuve de la démocratie, et enfin, le combat du nouveau siècle inaugurant l’actuel millénaire par un recentrage du combat sur l’avenir politique de la Kabylie.
1)- La période de Boumediene (1965/1978) : La dictature du socialisme arabo-islamiste
La dictature de Boumediene se caractérisait par la terreur politique que faisait régner sa Sécurité Militaire contre ceux qui exprimaient des avis contraires aux options politico-culturelles et identitaires officielles. Celles-ci étaient arabo-islamo-socialistes. La censure était à son comble dans une Algérie vivant en vase-clos. Dans les années 70, pour sortir du territoire algérien, il fallait obtenir un document administratif appelé l’ASTN (autorisation de sortie du territoire national). Aujourd’hui, elle est remplacée par une ISTN (Interdiction de sortie du Territoire National) signifiée uniquement à des opposants, des journalistes ou des membres du pouvoir tombés soudainement en disgrâce. Les généraux kabyles déchus depuis deux ans sont de ceux-là. Ceci étant une autre histoire, revenons à l’ère Boumediene
Durant tout le règne de ce dictateur (1965-1978) l’amazighité était majoritairement le fait des universitaires kabyles qui étudiaient à Alger. Ils se regroupaient autour de l’écrivain Mouloud Mammeri respectueusement appelé, Dda Lmulud.
Les lycéens, eux, étaient surtout pris en charge par l’Académie Berbère qui, basée à Paris, leur envoyait sa revue clandestine « Agraw Imazighen » par la poste. Pour cette période, l’amazighisme avait plusieurs défis à relever. Que ce soit dans la presse du parti unique (El Moudjahid et Algérie Actualité), l’édition, le théâtre, mais aussi et surtout la chanson, les défis majeurs étaient la censure et la répression auxquelles il fallait échapper.
Dans ce sombre contexte :
a)- Traverser les mailles de la censure relevait de l’exploit, tant les gardiens du temple agissaient partout. C’était un monde orwellien. La chaine de radio kabyle, appelée la Chaine 2, était le lieu stratégique de la diffusion des messages militants. Elle était le média le plus surveillé d’Algérie. Pourtant, un certain nombre d’animateurs dont les émissions quotidiennes ou hebdomadaires étaient les plus suivies, avaient acquis une popularité que seul Hamid Hamici avait réussi auparavant sur les ondes courtes de l’ORTF. Ils s’appelaient Ben Mohamed et Ouardia, Mohand Arezki Himeur, Mohamed Guerfi, Tayeb Bacha, Mohamed Belhanafi, Belkacem Messaoudi, Abdelkader (Abdeladim), Belkacem et Tahar Ait Hamou, les frères Medjahed, Madjid Bali …
b)- Echapper à la répression permettait de continuer à produire des œuvres et des discours amazighs.
c)- Faire prendre conscience aux Kabyles à travers la radio, la chanson, la poésie, le théâtre et les revues clandestines de la nécessité de rester attachés à leur identité kabyle, c’est-à-dire de ne pas s’arabiser, de ne pas s’aliéner.
d) Sur le plan linguistique, il y avait deux chantiers stratégiques. Le premier était de faire évoluer la langue kabyle d’une dimension concrète vers une dimension abstraite. Le kabyle a des mots pour tous les objets et les gestes de la vie quotidienne mais ne disposait pas de vocables pour des abstractions d’ordre philosophique, politique, économiques ou scientifiques. En bref, pour conceptualiser. C’était Mammeri qui s’était attelé à la tâche entre 1973 et 1976.
Malgré le silence de l’auteur sur la méthode et les sources ayant servi à confectionner son « Amawal Atrar » (Lexique moderne), la plupart des quelques deux mille mots qu’il avait créés ont acquis aujourd’hui valeur académique.
Le deuxième était justement de faire passer ces néologismes dans la langue courante. C’était essentiellement la radio et la chanson qui allaient se tenir la main pour leur vulgarisation. Toutefois, les premiers textes littéraires qui firent leur apparition étaient timides ; leurs auteurs ayant pour souci principal de donner naissance à une littérature accessible. à la fois inédite et accessible. Ils ne réussirent toutefois pas à capter un lectorat populaire important.
Toutefois, la pièce de théâtre de Kateb Yacine, traduite en kabyle, mise en scène par Mohand Ait Ahmed et servie par le jeu exceptionnel de Mummuḥ Loukad, intitulée « Ddem tavalizt-ik a Muḥ » remporta un succès phénoménal là où fut jouée (Vgayet, Tizi-ouzou, Draa El Mizan…). Mais son exploit, incroyable mais vrai, fut double au Festival International du Théâtre de Carthage en 1974 : y représenter l’Algérie qui croyait avoir délégué une troupe théâtrale arabophone et y décrocher le deuxième prix, en jouant en kabyle. Incroyable !
En termes d’attentes, la Kabylie espérait des émissions et des chansons de qualité, en harmonie avec ses valeurs, son identité. Elle voulait respirer un air moins vicié que celui de la dictature du socialisme arabo-islamiste. Un air de liberté.
La Période de Chadli (1979-1992) : La dictature arabo-islamiste
Chadli, prit très vite ses distances d’avec le socialisme de Boumediene. Du legs de son prédécesseur il ne garda que l’arabo-islamisme, imposée comme jamais aux Kabyles. Mais confronté au « printemps Berbère » de 1980, juste un an après son arrivée au pouvoir, son régime n’avait rien trouvé de mieux pour combattre l’amazighisme kabyle que de recourir à deux stratagèmes : arabo-islamiser davantage les Kabyles et émietter la Kabylie en essayant de casser son unité.
Cela s’était traduit immédiatement par la signature de la circulaire présidentielle N° 37 augmentant le volume horaire de l’enseignement quotidien de la religion musulmane dans les écoles primaires, tandis qu’il faisait appel au chef de file égyptien des Frères Musulmans, l’imam Al Ghazali qui, lors d’un colloque islamiste officiel à Vgayet (Kabylie) avait dénié à l’islamologue kabyle, de renommée internationale, Mohamed Arkoun, le droit de s’exprimer chez lui. Vinrent ensuite deux redécoupages territoriaux des wilayas kabyles dont tout le pourtour, environ le tiers de la Kabylie, fut rattaché aux départements limitrophes.
N’ayant pas la maîtrise politique de leur destin, mais aspirant à contrecarrer les visées culturellement génocidaires du régime algérien, les Kabyles ont poussé leur avantage du Printemps Berbère en créant une organisation semi-clandestine, le MCB (Mouvement Culturel Berbère) dont le succès va atteindre les Amazighs de l’ensemble des pays d’Afrique du Nord. L’amazighisme est porté aux nues. La prise de conscience des Kabyles sur leurs origines était largement achevée. Les défis changèrent de nature. Il ne s’agissait plus, comme au temps de Boumediene, de fuir la censure ou la répression qui désormais étaient défiées, mais de préparer l’avenir qui se dessinait sur plusieurs tableaux : Littéraire, politique, sociétal… C’est une véritable révolution qui s’amorça dans de nombreux domaines.
a)- Mettre en échec la répression à travers le recours aux textes et conventions internationaux ratifiés par l’Algérie (Charte des Nations Unies, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de janvier 1976, Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948…) La création de la 1ère Ligue Algérienne des Droits de l’Homme en 1985 fut un moment fort de cette étape du développement de l’amazighisme principaux animateurs dont certains avaient été condamnés à des peines de prison allant de six mois à trois ans de prison.
Cette incarcération avait cependant mis en péril la cohésion du noyau central du MCB et, une fracture se produisit entre ceux qui étaient en prison et ceux qui devaient assurer la continuité de l’action à l’extérieur.
Ce sera la base de la division des rangs sur laquelle allaient s’édifier plus tard, le RCD et le FFS..
b)- Le passage sociétal de l’oral à l’écrit. L’enseignement assuré de manière clandestine dans les lycées kabyles commençait à porter ses fruits et le grand poète et dramaturge Muhand U Yehya produisit ses grandes œuvres théâtrales dont Tacvaylit, A m win yettrajun Rebbi, Si pertuf, Muḥend U Ca3van…
Inaugurée par Rachid Aliche (1953-2008) avec son premier roman « Asfel », la littérature kabyle commençait à se développer, S. Sadi (Askuti) Amar Mezdad (Tafunast Igujilen) … Le recueil de contes, de proverbes et de poèmes anciens sont à l’honneur, mais aussi de nouveaux lexiques spécialisés sont à l’honneur : Hend Sadi (Tusnakt s wurar), Abdenour Abdeslam avec un lexique sur l’architecture, la réédition du dictionnaire français-kabyle du Père Dallet…
Ce travail est à ce jour inlassablement poursuivi. Amar Mezdad, Murad Irnaten Islam Bessaha publient régulièrement des romans. Les attentes en termes de production littéraire sont toujours là, mais malgré les progrès politiques réalisés depuis le départ de Chadli du pouvoir (1992), le travail qui reste à fournir est colossal même s’il est contrebalancé par le développement de l’audiovisuel qui sied mieux que l’écrit à une société de tradition orale comme la Kabylie.
Sous les coups de boutoir de l’amazighisme kabyle, d’événements nationaux (émeutes d’octobre 1988) et internationaux (chute du Mur de Berlin en 1989) le pouvoir algérien avait fini par céder, malgré lui, des espaces à la démocratie.
L’amazighisme à l’épreuve de la démocratie (1989-2001)
L’avènement de la démocratie en Algérie a impacté l’amazighisme kabyle de manière contradictoire, négative et positive. La démocratie tant attendue comme la solution aux revendications amazighes depuis 1980, a amené ses partisans autant à déchanter qu’à connaître des réalisations jamais connues jusque-là. Elle a révolutionné la donne amazighe en Kabylie.
LA première conséquence a été de transformer les divisions du MCB, survenue entre 1985 et 1987, en divisions partisans cristallisées autour du FFS et du RCD. Le FFS dont la création remonte à 1963 n’était pas à l’origine, un parti amazighiste. Son état-major s’en défend d’ailleurs à ce jour. Mais, à son retour sur la scène politique en 1989, face à la naissance du RCD sur les assises du MCB, il avait été contraint par sa base militante, largement plus populeuse, à se mettre sur le terrain de son rival afin de le délégitimer en créant une variante du MCB appelée « les Commissions Nationales ». La première marche de celle-ci, le 25/01/1990 à Alger, bénéficiant du soutien charismatique de Hocine Ait Ahmed, revenu d’exil pour la première fois depuis 1965, fut un succès qui renversa immédiatement la vapeur sur le RCD.
Il a fallu attendre mars 1993 pour voir la création du MCB Coordination Nationale au sein du RCD pour que soit enfin engagée une émulation fructueuse entre « les deux ailes du MCB ».
L’autre aspect inquiétant révélé par la démocratisation résidait dans le fait que les partis ayant émergé du tissu algérien, après octobre 1988, étaient tous idéologiquement à l’opposé des aspirations exprimées en Kabylie où on croyait avec une certaine naïveté, que les Algériens allaient majoritairement être en phase avec elle, notamment sur des fondamentaux comme la laïcité, la reconnaissance de la langue amazighe, l’égalité des droits entre femmes et hommes… Au final, ils s’avérèrent presque tous d’obédience antikabyle. Politiquement, la Kabylie et son amazighisme sont largement minoritaires. Le FFS et le RCD sont étiquetés, catalogués, à leur corps défendant, comme des partis kabyles et isolés de l’électorat algérien.
Le rêve vire au cauchemar. Du temps de la dictature, la Kabylie n’avait qu’un seul ennemi : le pouvoir. Avec la démocratie l’ennemi s’est démultiplié comme dans une galerie de miroirs brisés et déformants où chaque spectre se montre plus hideux que les autres.
Cependant, il n’y avait pas que du négatif dans l’avènement de la démocratie à l’algérienne. Les avantages, également, ont été nombreux. Le premier nous avait permis de porter la question amazighe sur la scène politique algérienne (pas de virgule) de manière libre et publique.
Le deuxième fut l’apparition d’un mouvement associatif amazigh sans précédent. Chaque village créa son association culturelle. Cela ne tarda pas à produire des effets.
Effrayé par la force des revendications identitaires et linguistiques kabyles, le régime algérien céda sur l’ouverture de deux départements de langue amazighe, l’un à l’université de Tizi-ouzou, l’autre à Vgayet. Un journal télévisé sur l’unique chaine du pays fut ensuite concédé, la veille des élections législatives de décembre 1991.
Un cinéma kabyle vit enfin le jour avec Abderrahmane Bouguermouh qui réalisa une adaptation du roman « la Colline oubliée » de Mouloud Mammeri, puis Azzedine Meddour avec « la montagne de Baya » et enfin Belkacem Hadjadj avec « Macahu ».
L’arrêt du processus électoral en janvier 1992 et l’apparition de la terreur islamiste qui ciblait les artistes allaient pousser le pouvoir algérien à tenter d’effacer les acquis de l’amazighisme kabyle. Après l’assassinat du président Boudiaf, le régime mit sur pied une CDN (Commission du Dialogue National) chargée de valider la désignation d’un nouveau président algérien sans passer par la voie des urnes.
A cet effet, il ne se trouvait pas une seule association favorable à l’arabisation qui ne soit consultée, même composée de deux ou trois membres seulement. Par contre, tous les ténors, toutes les associations du mouvement amazigh sensu lato furent sciemment ignorés, voire méprisés. Le résultat en fut un projet final officiel et rendu publique vers fin décembre 1993 dans lequel la question amazighe régressait au statut qui était le sien avant 1980, celui d’un tabou.
Le Boycott scolaire ou l’ultime combat du MCB
À partir de là, Deux défis au moins se présentèrent à la mouvance amazighe. D’une part, il fallait s’imposer face au régime algérien pour qu’il intègre la satisfaction des revendications identitaires et linguistiques dans le texte de la CDN, avant son approbation définitive ; d’autre part, réaliser l’unité des rangs kabyles.
Une gigantesque marche, le 17/01/1994, ponctuée par une proclamation lue du balcon de l’ancienne mairie de Tizi-ouzou, devant plus de 500.000 personnes, décréta symboliquement tamazight comme langue nationale et officielle. Cela encouragea à aller plus loin. Engager un boycott scolaire en Kabylie jusqu’à l’introduction de « la langue amazighe » dans l’enseignement. Entamé le 11/09/1994, ce boycott scolaire était observé par toute la Kabylie, du primaire à l’université durant pas moins de sept mois.
C’est cette action historique qui a fait sauter le verrou de l’officialité algérienne et à laquelle on doit la fin du déni qui frappait jusque-là l’amazighité. C’est grâce à ce boycott scolaire que l’on a arraché la reconnaissance officielle de l’identité et de « la langue amazighe » à travers la mise sur pied du HCA (Haut-Commissariat à l’Amazighité), et l’introduction de la langue amazighe dans le système scolaire algérien, toutefois, à ce jour limité principalement à la Kabylie.
La naissance du HCA et la mort du MCB
Toutefois, du fait de la division de ses rangs et des intrigues et ambitions politiciennes certes inhérentes à toute vie politique, la Kabylie ne fut pas enthousiaste devant les résultats de la « grève du cartable ». Le HCA s’est vu être confisqué au profit du pouvoir et du RCD. Le FFS s’était retiré des négociations en refusant de signer l’accord final sur le boycott scolaire avec les tenants du régime algérien. Par la suite, la désillusion s’empara des militants sincères. Le choix des membres de cette institution avait déçu et les moyens mis à sa disposition en faisaient davantage un instrument au service du pouvoir qui en a pris le contrôle que de la cause amazighe. Le MCB en est mort. Même si, jusqu’en 2001 et tous les 20 avril, ses acteurs appellent toujours à des marches commémoratives, force était de constater que la mobilisation s’effritait d’année en année.
En mars 1998, l’Algérie annonça la remise en vigueur de la loi portant généralisation de l’arabisation pour le 05/07/1998. Aussi étrange que cela puisse paraître, ni le HCA ou le RCD, ni le MCB ou le FFS n’avaient sérieusement protesté ou engagé d’action de rue contre cette décision scandaleuse qui avait choqué toute la Kabylie. Au moment où l’on croyait en avoir fini avec l’arabisation, la voilà qui revenait plus oppressante que jamais. Toutefois, à ce jour, cette loi est toujours en vigueur mais jamais appliquée. C’est la raison pour laquelle, il est fondé de croire qu’elle n’était pas l’initiative d’un rapport de force baathiste au sommet de l’Etat algérien mais juste un élément conjoncturel d’une tactique de coup d’Etat, non pas contre l’amazighité mais d’un clan contre un autre, de celui qui est au pouvoir depuis 1999 contre celui qui l’était jusque-là ; bref, du Clan de l’Ouest contre le Clan de l’Est. Les troubles espérés en Kabylie devant contribuer à fragiliser la partie adverse n’eurent pas lieu. Ils ne furent obtenus qu’avec l’assassinant du chanteur Matoub Lounes, le 25/06/1998. La colère de la rue kabyle suscitée par cet assassinat avait emporté deux victimes, le Clan de l’Est et le MCB. Absent des manifestations, embrigadé par le FFS et le RCD qui se disputaient le partenariat de la Kabylie d’avec le pouvoir, le MCB rendit l’âme sans que personne ne s’en aperçusse sur le champ. Devant ce vide organisationnel, c’est l’émérite professeur de berbère, M. Salem Chaker qui, le premier, fit le terrible constat du mur dans lequel la démarche du MCB avait mené la Kabylie. Il publia le 11/07/1998 une contribution dans « Le Monde » dans laquelle il qualifia de « faute » la voie empruntée jusque-là par la mouvance amazighe. Le texte revu, sur la pression d’un certain nombre d’amis, donne une version moins brutale mais sonne le glas de l’amazighisme tel que cultivé par la Kabylie depuis 1980. Il écrivit notamment : « Même le mot d’ordre du Mouvement Culturel Berbère, « berbère, langue nationale », repris par les partis politiques kabyles, paraît dangereux car aisément récupérable par l’Etat …»
L’ère du kabylisme
1)- L’autonomie régionale.
Après ce constat d’égarement de la mouvance amazighe kabyle, Salem Chaker engagea une réflexion sur l’autonomie linguistique. Il partit du principe selon lequel une langue ne peut vivre que si elle dispose de son propre Etat. Inspiré par l’exemple catalan le Professeur Chaker et un certain nombre d’universitaires autour de lui ont entamé des réflexions en cercles restreints, sur la forme étatique qui conviendrait le mieux à la Kabylie en tant que région de l’Algérie. De l’autonomie linguistique on passa très vite à l’autonomie régionale. L’amazighisme est remisé et la voie est ouverte au kabylisme à partir du Printemps Noir (avril 2001).
Le printemps Noir de 2001 est le moment du basculement historique de l’amazighisme vers le kabylisme. Le 05/06/2001, alors que la Kabylie était à feu et à sang, la revendication d’une autonomie régionale est publiquement annoncée et assumée dans une conférence de presse tenue à la Maison des Droits de l’Homme de Tizi-ouzou. Désormais, la Kabylie ne revendique plus de statut officiel pour sa langue mais pour elle-même. En projetant de devenir maître de son destin, elle garantit aussi bien l’avenir de ses enfants, que celui de son identité ou de sa langue. La voie culturelle globalisante amazighe cède la place. La Kabylie se ré approprie « la chose politique » en évitant les pièges et les erreurs du passé pour proposer un projet immédiat par ailleurs contemporain et à l’ordre du jour aux quatre coins du monde.
Toutefois, même si, avec la naissance des Archs et leur « Plateforme d’El-Kseur, le MCB fut enterré tandis que les partis qui y puisaient leurs racines allaient finir par péricliter, l’idée d’autonomie de la Kabylie avait du mal à s’implanter, surtout les premières années de son apparition.
Le Mouvement des Aarchs avait une telle vigueur qu’aucun projet autre que le sien tel que défini par la plateforme d’El Kseur (11/06/2001), ne pouvait exister. Même si, parmi ses quatorze revendications huit ne concernaient que la Kabylie, sa direction collégiale et horizontale était d’une telle cécité politique qu’elle niait systématiquement son ancrage kabyle et la portée de son action en faveur de la Kabylie. Au lieu d’apporter des solutions à la Kabylie meurtrie et endeuillée il s’échinait vainement à les valider pour toute l’Algérie qui n’en avait pas besoin. Le Mouvement des Aarchs, était le maillon historique, la phase de transition indispensable pour que la Kabylie passe du MCB au MAK. Il fallait purger la société kabyle de ses lubies algérianistes et culturalistes pour enfin se consacrer à la construction de son seul avenir politique possible. Il en fut de même pour la revendication d’une autonomie régionale. La Kabylie devait passer par son étape avant d’entrevoir et de concevoir un avenir qui soit exclusivement le sien. Le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie était le passage obligé pour que le peuple kabyle passe d’une Kabylie algérienne à une Kabylie souveraine.
Le droit à l’autodétermination de la Kabylie est largement supérieur aux revendications linguistiques et culturelles du MCB et à celles des Aarchs. Les partis politiques Kabyles ne pouvant échapper à leur matrice qui n’est, au demeurant, plus qu’un souvenir, s’étiolent et se meurent dans un environnement qui ne les reconnait plus, qu’il soit kabyle ou algérien.
Le drapeau amazigh, créé par Mohand Arav Bessaoud vers la fin des années 70 est de plus en plus remplacé en Kabylie par l’anay aqvayli (le drapeau kabyle). L’Anavad, le Gouvernement Provisoire Kabyle et le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie sont des structures qui sont parvenues à acquérir la légitimité des mouvements de libération nationale.
Aujourd’hui, la Kabylie évoque l’amazighité davantage dans la perspective d’une construction politique plus lointaine et pour sa recherche sociolinguistique que dans celle d’une nouvelle dilution de son identité. L’urgence est au droit à l’autodétermination de la Kabylie qui commence à avoir ses premiers soutiens internationaux dont le plus important jusqu’ici est celui du Maroc.
Le cas de la Kabylie reste toutefois unique. Il n’est ni évident ni nécessaire qu’il fasse école chez les autres Amazighs dont l’évolution historique et politique a différencié les aspirations et les niveaux d’appréhension de leur propre existence. Quant à l’amazighité, elle a été pour la Kabylie un abri contre l’arabisation de ses enfants, un moyen de résistance contre sa dépersonnalisation, mais aussi, un moment d’égarement de 1966 à 2001. Elle redeviendra nécessairement, plus tard, un lieu de ressourcement et de construction d’un projet continental. Dans moins d’un siècle.
Agadir le 15/07/2016
SIWEL 181617 JUL 16