CONTRIBUTION (SIWEL) — » A cause de cette valeur culturelle, le pouvoir politique algérien s’applique sans fin à stigmatiser les Kabyles pour en faire des boucs émissaires de toutes ses turpitudes et de tous ses échecs. En plus des représentants officiels de l’Etat (police, gendarmerie, commis de l’administration…), il a aussi entraîné une frange d’intellectuels arabophones dans sa dérive raciste.
L’Histoire tumultueuse de l’Afrique du Nord a été la cause de ce singulier paradigme qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans ce quasi continent d’Afrique septentrionale. Les envahisseurs successifs ont causé de nombreux ravages mais aucun n’a pu y enraciner sa culture ou sa croyance de façon pérenne. »
Extrait de la contribution d’Azru Lukad
UN SCEAU HISTORIQUE DE SOUVERAINETÉ KABYLE
« Neffeγ i sunna, nuγal γer wayla »
« Trop de parâtres exclusifs ont écumé notre patrie, trop de prêtres, de toutes religions, trop d’envahisseurs de tout acabit, se sont donné pour mission de dénaturer notre peuple, en l’empoisonnant jusqu’au fond de l’âme, en trahissant ses plus belles sources, en proscrivant sa langue ou ses dialectes, et en lui arrachant jusqu’à ses orphelins ! Ils devraient désormais comprendre qu’on peut faire beaucoup de mal avec de bons sentiments ».
Préface de Kateb Yacine pour Histoire de ma vie de Faḍma At Mansuṛ Amruc.
« L’idéal d’un gouvernement libre et à bon marché, dont nos philosophes cherchent encore la formule à travers mille utopies, est une réalité depuis des siècles dans les montagnes kabyles ».
(A. Hanoteau et A. Letourneux, La Kabylie et les coutumes kabyles, éd. Augustin Chalamel, Paris, 1893, p. 1)
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Il se confirme chaque jour que le peuple kabyle doit se résoudre par tous les moyens à restaurer tous ses attributs historiques en matière politique, économique, culturelle et sociale.
Il y a 268 ans, le 21 décembre 1748, la Nation kabyle, menacée par une expansion coloniale agressive de la Régence d’Alger a pris une résolution de sauvegarde de son intégrité territoriale en abolissant le droit de succession des femmes qui contractent mariage hors de la communauté.
L’enjeu était très important dans la mesure où c’était la survie même du peuple kabyle dans son territoire dont il était question.
Elle l’a fait lors d’un conclave de fédérations tenue à cette date et dont la résolution finale est résumée dans la célèbre formule : « Assa neffeγ si suna, nuγal ar lɛada ».
Il est inutile ici d’épiloguer sur une prétendue spoliation des droits de la femme. En son temps, Saïd Boulifa a largement expliqué les motivations de cette démarche dans son livre Le Djurdjura à travers l’histoire (depuis l’Antiquité jusqu’à 1830) – Organisation et indépendance des Zouaoua (Grande Kabylie), Alger, J. Bringau, 1925.
Notre but est de montrer qu’en ces temps pas si lointains, la Kabylie était bien indépendante et se donnait le droit d’État d’acter des décisions politiques qui s’appliquaient à plusieurs confédérations et qui les exécutaient. Et il est bien évident qu’en Kabylie pleinement souveraine, l’égalité des droits et devoirs entre la femme et l’homme sera totale et irrévocable.
La pratique de la laïcité en terre kabyle est une norme de vie hors temps et hors événements. C’est un art de vivre naturel qui a fondé une démocratie exemplaire ayant survécu à toutes les invasions.
« L’indépendance de la citoyenneté par rapport à la religion » – concept aujourd’hui largement dominant dans les états démocratiques – a toujours été un fait vivace en Kabylie.
Aujourd’hui, le peuple Kabyle est dans l’obligation absolue de formaliser un projet moderne et de lui atteler une autorité exécutive indiscutable capable de le mener au terme de son destin.
Le samedi 3 août 2013, soit plus d’un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, au cours du mois de ramadan musulman, a eu lieu simultanément à Tizi Wezzu et Awqas un déjeuner républicain à 11 heures. L’appel du MAK à ce déjeuner public est une manière ouverte d’exercer la laïcité, un fondement majeur de l’histoire moderne de la Nation kabyle. C’est également une forme de résistance populaire à l’agression du pouvoir arabo-islamique raciste d’Algérie. Ce n’est pas l’histoire qui se répète ou qui bégaie. Cet acte politique de résistance à l’oppression est l’expression logique d’un entendement kabyle qui ne compte pas dans sa culture la résignation et l’abdication.
Le 3 Août 2013, cet acte de foi éminent en la Liberté est surtout une initiative de sursaut républicain à l’adresse de toutes les femmes et les hommes d’ici et d’ailleurs qui subissent la férule d’un système politique bâti sur la terreur des armes, l’abrutissement de l’Ecole et la subordination prônée par la mosquée.
Le 3 Août 2013 est la révolte spirituelle qui, en aucun cas, n’est une bravade envers des citoyens qui pratiquent de bonne foi leur religion, et dont au demeurant, la majorité – silencieuse pour le moment – approuve l’initiative.
La laïcité est un fondement de l’esprit kabyle depuis toujours. Et quand Charles-André Julien parle de la propension des Berbères à l’apostasie dans son ouvrage de référence « Histoire de l’Afrique du Nord », il ne fait que rappeler leur attachement à la liberté de conscience qu’ils ont érigée en constante de leur conscience. Il va de soi que pour un peuple pétri par cette philosophie acceptée et défendue par tous, il n’y a pas de place dans la vie de la cité pour la religion qui, partout, fonde sa suprématie sur un droit prétendument divin.
« Ddin d nniya, taddart d rray », tel a été l’enseignement constant du grand penseur kabyle Ccix Muḥend Ulḥusin.
Le sécularisme de la Kabylie n’est fondé par aucun mouvement politique déclaré dans l’Histoire. Il est consubstantiel à l’esprit kabyle dont la quête de construction d’un Etat national libre et souverain a toujours été contrariée par des invasions étrangères récurrentes et ininterrompues.
A cause de cette valeur culturelle, le pouvoir politique algérien s’applique sans fin à stigmatiser les Kabyles pour en faire des boucs émissaires de toutes ses turpitudes et de tous ses échecs. En plus des représentants officiels de l’état (police, gendarmerie, commis de l’administration), il a aussi entraîné une frange d’intellectuels arabophones dans sa dérive raciste.
L’Histoire tumultueuse de l’Afrique du Nord a été la cause de ce singulier paradigme qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans ce sous-continent d’Afrique septentrionale. Les envahisseurs successifs ont causé de nombreux ravages mais aucun n’a pu y enraciner sa culture ou sa croyance de façon pérenne.
Aujourd’hui encore, le régime algérien qui se perpétue depuis un demi-siècle en lignager tient résolument à l’islamisme en tant que fondement de sa matrice idéologique pour contrer les laïcs qui se trouvent être majoritairement des Kabyles. En effet et récemment encore, durant la guerre du Mali, l’Algérie a tout fait pour ignorer le MNLA qui se revendique publiquement de mouvement laïc et se met en quatre pour sauver Ansar Dine dont il a reçu à bras ouverts 4 de ses responsables acculés à la débandade, ceci en parfaite connaissance des exactions qu’ils ont commis sur des populations civiles dans les villes qu’ils avaient conquises.
Actuellement, dans la majorité des pays arabes, la religion musulmane est érigée comme fondement général de la vie sociale. Cette originalité a un corollaire linguistique du fait que la langue arabe y est non seulement officielle mais également unique. L’amalgame langue-religion ne pose aucun problème aux dirigeants de ces pays. Au contraire, il permet aux rois, aux princes et de plus en plus aux ̏présidents̋ de tenir un pouvoir dynastique transmissible à l’infini dans la famille.
Là où l’idéologie arabo-islamique s’implante, l’histoire et la civilisation en pâtissent. Les exemples de destruction effective et de tentatives de destruction des vestiges de civilisation perpétrées par les envahisseurs musulmans sont légion.
C’est ainsi qu’en Égypte, les premières hordes des envahisseurs arabes ont tout essayé pour détruire les pyramides et démontrer ainsi leur puissance. Cet atavisme destructeur plus puissant que jamais avec des moyens de tout raser est de retour. En Syrie, le monde est stupéfait des actes de destruction de Daesh.
Maintenant, en Algérie et dans toute l’Afrique du Nord, il s’agit de casser le monopole de l’arabo-islamisme par la réhabilitation de tamaziγt et l’instauration d’Etats laïcs comme les sociétés les ont vécus depuis la nuit des temps.
L’arabisme qui se fonde sur l’islamisme a ruiné les fondements des sociétés séculières amazighes sauf en Kabylie où le dogme islamique n’a jamais pu s’incruster. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le régime algérien considère cette région et son peuple comme son ennemi numéro un.
Aujourd’hui, cette vérité se trouve en Kabylie où l’exercice de la laïcité est un fondement historique que ni le temps et ni les aléas n’ont altéré. Bien au contraire, certaines situations vécues l’ont réaffirmé et notamment en 1748. Sans doute à cause des velléités turques de conquérir la Kabylie par l’entrisme consanguin, les rapts d’enfants et les viols, les confédérations kabyles ont organisé un conclave exceptionnel dédié à la question de la sauvegarde du territoire et des populations.
La résolution de Tahemmamt (près du village actuel) est sans doute la seule manifestation politique nationale kabyle qui nous est parvenue par écrit.
Ainsi, à la fin du 18è siècle, une réunion d’une majorité de Confédérations kabyles s’est tenue à Taḥemmamt – au village actuel d’At Vumehdi – au cours de laquelle une décision politique, sociale et économique de la plus haute importance a été prise.
Le contexte de l’époque se caractérisait par des tentatives incessantes d’incursion des Ottomans dans le bastion kabyle par l’entremise de têtes de ponts incarnées par quelques traîtres à leur solde. Tout le monde sait la cruauté de la soldatesque ottomane qui a inventé les pires abominations au cours de leurs conquêtes (génocide, massacres à grande échelle, rapts d’enfants, enlèvements de bébés, …).
« Neffeγ i suna, nuγal ar lâada : nous renonçons à la Suna et réintégrons la Tradition », telle est la décision politique prise lors de ce conclave. À vrai dire, il s’agit plus de la réaffirmation d’un usage canonique aussi vieux que la formation du peuple kabyle lui-même que d’un quelconque reniement ou retournement.
Les islamistes de tendance wahhabite d’aujourd’hui sont plus enclins à favoriser les faits et dires de Mahomet que le texte fondateur de l’islam lui-même, c’est-à-dire le Coran. Il est clair alors que les Kabyles, imbus de démocratie, ne peuvent accepter la prétention de thuriféraires religieux qui veulent imposer des usages datant du 6è siècle. Et parmi eux, il y a des exégètes réputés. En l’espèce, les paysans et les montagnards de la Kabylie du 17è siècle étaient plus lucides et plus déterminés que leurs contemporains du 20è siècle.
Ce concile des Assemblées a pris sa décision en pleine souveraineté et elle s’est appliquée sur l’ensemble du territoire kabyle “ si Vudwaw ar Vuεrarij ”.
On ne finit pas de nous amadouer par des phrases mielleuses du genre : « les Kabyles sont le cœur de l’Algérie », ou « il n’y a pas d’Algérie sans la Kabylie » et d’autres fadaises encore. Et pour enfoncer le clou, c’est un ministre Kabyle-de-service (KDS) qui a été chargé de supplier pathétiquement Bouteflika afin de rempiler pour un 4è mandat avant même que ce dernier n’en exprimât le désir.
La décadence générale s’affirme aussi en milieu intellectuel et scientifique où on observe des universitaires qui, après être passés par le marxisme-léninisme, le berbérisme, ne rechignent pas à se faire appeler « Si quelque chose ». C’est dire toute l’étendue du travail de sape menée par le mysticisme de Bouteflika et relayé par des KDS dans la société kabyle.
Et au lieu de renforcer une « cohésion nationale » par un discours apaisé et des actes concrets de réconciliation, le pouvoir fait l’exact contraire. Il impose aux policiers de s’abstenir de parler en kabyle aux Kabyles (pour la gendarmerie et les commis de l’Etat, cette disposition date depuis toujours) et le ministère de l’Education en est arrivé à falsifier le plus officiellement du monde l’Histoire du pays en proclamant que l’Algérie est « arabe et musulmane » dans un sujet d’épreuve du baccalauréat 2013. Un peu comme si nous étions, il y a juste un demi-siècle, des Gaulois. La proposition du ministère de l’Education est une stupidité de crasse haineuse qui ne peut même pas convaincre un arabe d’Arabie.
Il apparait clairement que plus le peuple kabyle s’affirme en tant que tel et revendique des droits nationaux, plus le pouvoir se radicalise dans le déni. Ceci est révélateur tout simplement d’une panique au sommet d’un pouvoir arrivé à un état de dégénérescence qui le rend incapable de la moindre projection.
̏ La fraternité arabe ̏ envers les Amazighs et les Kabyles s’est manifesté de façon claire par 2 fois au cours de ces dernières années :
La première a eu lieu en Kabylie, à Asqif (ex-Michelet), où le père d’une jeune palestinienne, qui maîtrise totalement le kabyle et qui évolue comme un poisson dans l’eau parmi ses camarades de classe et de loisirs, a demandé au chef d’établissement de faire dispenser sa fille des cours de Tamazight, sans autre raison. Naturellement, le chef de l’établissement a refusé cette demande incongrue et le père, plus déterminé que jamais à préserver sa fille de Tamazight a demandé l’intervention de l’ambassadeur de Palestine à Alger qui a intercédé sans se poser de questions auprès du Ministre de l’Education algérien, tout heureux de rendre service à un frère arabe au détriment de la souveraineté de son propre pays.
La deuxième est le fait d’un riche prince d’Arabie saoudite qui a proposé 500 millions de dollars à la firme Microsoft pour la faire renoncer à l’introduction de Tamazight dans ses logiciels de bureautique. Les responsables de Microsoft ont été sidérés par une telle demande qu’ils ont naturellement refusée tout en faisant comprendre à l’Emir bédouin que son puits de pétrole, s’il procure satisfaction jusqu’au rot à sa propre boulimie alimentaire, ne peut et ne doit servir à entraver le génie humain dans sa quête perpétuelle du progrès scientifique et technique au service du monde entier.
L’Algérie officielle d’aujourd’hui est arabe et musulmane et seulement ça. « L’Algérie une et indivisible » est basée sur cet humus où ne doit pousser rien d’autre. Dans l’esprit, cette doxa algérienne justifie les actes de Daesh (Etat islamique) qui détruit tous les vestiges de la civilisation. Et d’ailleurs, n’est-ce pas à coups de bulldozer que le ministère algérien de la Culture a voulu « restaurer » le mausolée de Massinissa érigé il y a 1 800 ans dans sa capitale Cirta ?
Dans de telles conditions, aucun Kabyle normalement constitué ne peut accepter de se fondre dans ce fatras arabo-islamique qui, dans l’incapacité à suivre la marche du monde, mobilise tous ses ressorts pour annihiler la civilisation.
Bien sûr, il y a encore des Kabyles qui s’acoquinent avec cette Algérie qui les nie. Ce sont des anciens et actuels agents qui ont occupé ou occupent encore des postes subalternes, jamais de commandement, dans les rouages de l’État algérien. En un mot wid iteţţen si lmedwed, espèce en voie d’extinction à cause de l’étiolement de la rente et la voracité insatiable de leurs maîtres.
Avril de cette année 2016 à vécu une célébration du Printemps berbère et du Printemps noir inédite. Malgré les menaces, les intimidations, les séquestrations arbitraires de militants de la part de la police et de la gendarmerie algériennes, malgré les tentatives de parasitage de certaines associations vendues, en dépit de la concurrence d’un parti politique kabyle qui se veut désespérément « national », le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie, le MAK, a réussi sous ses slogans habituels une formidable mobilisation citoyenne à travers Tuvireţ, Vgayet et Tizi Wezzu. Toute la Kabylie a vécu l’événement avec le recueillement de toujours en mémoire de ses martyrs mais surtout avec une détermination chevillée au corps que la résurrection de la Kabylie éternelle est proche.
En écho, notre diaspora a organisé pour la première fois, avec une remarquable réussite, d’importantes marches à Paris, Montréal et New York et des dizaines de conférences et autres manifestations à travers plusieurs capitales et villes occidentales.
Au fil des jours, le souverainisme kabyle s’amplifie. D’ importantes personnalités des sciences, de la culture et de la politique ont fini par admettre la justesse du combat pour l’autodétermination de la Kabylie.
Ass-a, il reste deux partis politiques nés sur son sol qu’un égotisme bravache empêche de se rallier à la majorité du peuple.
N’insultons pas l’histoire. Peut-être qu’un jour proche …
Azru Loukad