ALGER (SIWEL) — Saïd Mekbel, ancien directeur du journal Le matin, assassiné le 03 décembre 1994 a indiqué à la journaliste allemande Monika Bergmann, que l’assassinat des intellectuels algériens était l’œuvre du patron des services secrets algériens, DRS, en l’occurrence, le général Toufik.
Lors de leurs entretiens, Saïd Mekbel avait annoncé à la journaliste que des hauts responsables ordonnent l’assassinat d’intellectuels. « Il y a un projet pour liquider cette frange de la population, [parce qu’elle] sait ce que signifie la République, ce que signifie une démocratie », écrit la journaliste en page 29). Et d’ajouter en page 30 qu’« on veut tuer ceux qui détiennent l’héritage de la civilisation universelle ». « Il y a un cerveau quelque part qui choisit. Peut-être que les exécutants, ceux qui tuent, sont recrutés parmi les petits tueurs islamistes, chez les intégristes. Mais moi, je pense qu’en haut, il y a des gens qui choisissent. Ces choix sont faits très froidement », rapporte-t-elle en page 34). « Au début, je me disais que c’étaient les intégristes qui tuaient. C’était facile. […] Mais maintenant, je suis persuadé qu’il y a des gens qui font tuer un peu par pédagogie ! », enchaîne-telle en pages 37 et 38. « Si on me tue, je sais très bien qui va me tuer. Ce ne sont pas des islamistes. C’est une partie de ceux qui sont dans le pouvoir et qui y sont toujours. Pourquoi ? […] C’est que je suis le seul responsable d’un journal qui n’a jamais travaillé pour le régime », écrit-elle encore en page 74.
Devant ces révélations, la journaliste allemande lui demande d’être plus précis encore, en lui disant que « c’est quelqu’un de l’armée ? Je te demande ça parce que Khalida Messaoudi a rendu Toufik responsable ». Mekbel, sans ambages a répondu que « c’est ça, c’est lui. […] Son nom est [Mohamed] Médiène. […] Quand j’ai découvert ça, j’ai essayé de rassembler, de faire le puzzle. […] Ce qui est terrible chez cet homme-là, c’est qu’il semble être l’auteur d’une théorie qui affirme que certains pays doivent sacrifier leur élite à un moment donné de leur histoire. […] Et selon cette théorie, il faut commettre des actes choquants pour réveiller les masses, pour réveiller la conscience, la société civile. […] C’est un terrorisme pédagogique ». (p. 100-104).
Selon Rue89 qui a publié des extraits du livre, « il faut dire que le paradoxe est vertigineux, car le journal de Saïd Mekbel, journaliste chevronné (il avait fait ses classes à l’Alger républicain d’Henri Alleg, après l’indépendance de 1962), était alors à la pointe du combat des « éradicateurs » algériens : ces intellectuels laïques, le plus souvent sincères, avaient fait le choix de soutenir sans réserve l’entreprise d’éradication des partisans de l’islam politique, en fermant les yeux sur les terribles exactions des « forces de sécurité » pour parvenir à leur but -torture généralisée, exécutions extrajudiciaires, disparitions. Et pourtant, au-delà des contradictions et des fulgurances de ce témoignage, son fil rouge, répété de façon obsessionnelle, est la mise en cause par Saïd Mekbel de la thèse officielle attribuant aux islamistes les assassinats en série qui frappaient l’intelligentsia algérienne depuis le printemps 1993.
aai/Rue89
SIWEL 031650 DEC 12