PARIS (SIWEL) — Antoine Menusier, journaliste a Paris, correspondant de journaux suisses et collaborateur de médias français, a rencontré à Paris le leader kabyle, Ferhat Mehenni, fondateur du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, Président du Gouvernement kabyle. Faisant état de sa rencontre avec Ferhat Mehenni, il délivre comment cette « Grande figure kabyle exilée en France, Ferhat Mehenni commente la manifestation laïque et la contre-manifestation religieuse, samedi et lundi à Tizi-Ouzou. ». Nous reproduisons l’article dans son intégralité.

 

Le courrier de Genève rencontre une «Grande figure kabyle exilée en France, Ferhat Mehenni »
Indépendantisme et laïcité à l’assaut du ramadan en Kabylie
MERCREDI 07 AOûT 2013,

Antoine Menusier rencontre une grande figure kabyle exilée en France, Ferhat Mehenni commente la manifestation laïque et la contre-manifestation religieuse, samedi et lundi à Tizi-Ouzou.

«C’est une première mondiale dans un pays musulman.» Leader du «Gouvernement provisoire kabyle» qu’il a créé en 2010, Ferhat Mehenni, figure indépendantiste exilée en France, commente en ces termes le rassemblement qui s’est tenu le 3 août à Tizi Ouzou, fief de la Grande Kabylie, en Algérie. Samedi dernier, place Matoub Lounès, à l’appel du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) et de son président Bouaziz Aït-Chebib, trois cents manifestants ont désobéi au dogme religieux et coutumier: certains ont bu de l’eau, d’autres mangé des sandwiches, d’autres encore fumé des cigarettes, en plein jour. Toutes choses interdites en période de ramadan entre le lever et le coucher du soleil. Un acte subversif, «contre l’inquisition et pour la liberté de conscience», martèle le MAK, dans un pays où jeûner durant le mois sacré musulman – qui se termine demain – revêt une dimension à la fois sainte et patriotique – moins, sans doute, en Kabylie, justement.

Cette «rupture» du jeûne à des heures indues au regard de l’islam se veut une réponse à une décision prise par la gendarmerie quelques jours plus tôt dans la région. «Le 28 juillet, rapporte Ferhat Mehenni, un restaurateur de Tigzirt, sur la côte kabyle, qui avait osé ouvrir son établissement à d’éventuels clients, a été contraint de le fermer. Des citoyens ont fait le siège de la gendarmerie et ont obtenu la réouverture du restaurant.»

Les autorités algériennes auraient-elles la main moins lourde qu’elles ne l’avaient il y a peu encore? En 2008, à Biskra, loin d’Alger et de la Kabylie, six hommes accusés de ne pas avoir respecté «un fondement de l’islam, celui du ramadan», avaient été condamnés à quatre ans de prison ferme. Les années suivantes, d’autres non-jeûneurs ont écopé également de peines de prison assorties d’amendes, au grand dam des défenseurs algériens de la liberté de conscience.

La manifestation de Tizi-Ouzou n’a, elle, pas été réprimée. Mais le lendemain, le numéro deux de l’ex-Front islamique du salut (FIS), Ali Benhadj, est venu au même endroit «pour effacer le sacrilège commis (…) par les ennemis de Dieu». Il a été interpellé par les forces de l’ordre. Et lundi soir, un «ftour collectif» (rassemblement religieux à l’heure de la rupture du jeûne) a donné la réplique à l’opération du samedi. Les participants, des jeunes pour la plupart, dont le nombre varie grandement selon les sources – «une vingtaine», «5000», en tout cas plusieurs centaines si l’on se fie aux images –, ont tenu à rappeler leur attachement aux «valeurs de l’islam»: «Allah Akbar. Nous sommes musulmans», «Nous sommes des Amazighs (Kabyles) musulmans», ont-ils scandé.

Rencontré hier à Paris, Ferhat Mehenni estime qu’il s’agit là d’une manipulation ourdie par «les islamistes». Peut-être, mais les réseaux sociaux ont semble-t-il fait leur office, ce qui pourrait laisser penser que cette contre-manifestation était plus spontanée que l’indépendantiste kabyle ne le prétend. Quoi qu’il en soit, il a fallu du courage à ceux qui, deux jours plus tôt, ont bravé l’interdit religieux.

Ferhat Mehenni, qui a créé le MAK en 2001, milite aujourd’hui pour l’autodétermination du «peuple kabyle». Né en 1951, cet ancien chanteur à textes, belle gueule à la Jean Ferrat, fils d’un combattant de l’indépendance algérienne «mort au champ d’honneur en 1961», fut l’un des chefs de file du Printemps berbère de 1980, durement réprimé à l’époque. Un voyage en 2012 en Israël, «à l’invitation des autorités israéliennes», lui a attiré les foudres des nationalistes algériens, de tout temps «solidaires» des Palestiniens. «Israël a le droit de se défendre dans un environnement hostile», dit-il, comme par bravade.

Son grand combat, bien sûr, reste la Kabylie, qui a «une longue pratique de la laïcité». «L’imam n’a pas voix au chapitre dans les assemblées villageoises, affirme-t-il. Au début de la guerre civile, en 1992, la Kabylie n’était pas touchée par le conflit. C’est à la suite d’un accord entre le pouvoir et l’Armée islamique du salut, dans la deuxième moitié des années 1990, que le terrorisme s’y est installé et n’en est pas vraiment reparti, avec ses poches résiduelles qui subsistent. Cet argument du terrorisme permet à l’Etat de maintenir une forte présence militaire en Kabylie. Mais ce n’est plus l’islamisme qu’il craint, c’est la revendication indépendantiste.»

SIWEL 071836 AOUT 13

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