AT WAGGUR (SIWEL) — Originaire d’Akbil ( Aqvil), Bouaziz Ait-Chebib est issu d’une famille installée depuis plusieurs générations dans un petit village, At Waggur (At Ouaggour), situé entre At Mislaine et At Laziz.
Comme beaucoup de kabyles de sa génération, il grandit dans une famille kabyle classique, imprégnée d’un engagement farouche en faveur de la liberté qui constitue une valeur intrinsèque à la Kabylie : D’abord, son père qui a pris les armes contre le colonialisme français et qui passe 3 ans dans les geôles françaises à subir les affres de la torture ; puis deux de ses grands frères qui ont très activement participé au printemps de 1980.
Bouaziz Ait Chebib est né après l’indépendance algérienne, le 23 février 1973 à Ait Saâda, dans la commune de Yatafène. Très jeune, il ne retient de cette indépendance qu’un profond sentiment d’injustice et une insupportable trahison du sacrifice de la Kabylie. Comme la plupart des kabyles des générations post indépendantes, il vit « l’Algérie arabe » comme une humiliation et une haute trahison du sacrifice énorme auquel a consenti la Kabylie. La négation identitaire et l’arabisation forcée sont vécues comme des actes d’agressions coloniales.
Imprégné du discours ambiant de la maisonnée familiale et des chants révolutionnaire de Kabylie de Ferhat Mehenni qui tournaient en boucle dans la maison familiale, il considère très tôt que « les kabyles sont passés, sans transition, de l’Algérie française à l’Algérie arabe en gardant le même statut d’indigènes ». C’est donc très tôt qu’il saisit l’ampleur de l’impitoyable guerre menée contre la Kabylie, contre sa langue et son identité. Dans son parcours militant, c’est l’Académie Berbère qui a marqué en premier sa plus tendre jeunesse. L’Académie berbère c’était le drapeau amazigh, les Tifinagh que les jeunes se passaient sous le manteau, la lutte pour la réhabilitation de la langue, de la culture et de l’identité amazighe.
Habité par un profond sentiment de révolte, c’est à l’âge de 8 ans qu’il apprend seul les Tifinagh en se procurant les revues clandestines de l’Académie Berbère. Cet apprentissage a constitué sa première action militante qui le prédestinait à être, plus tard, le plus jeune enseignant de Tamazigh. En effet, en 1990 il était, à l’âge de 17 ans, le plus jeune enseignant de Tamazight et donnait ses cours dans le cadre l’association culturelle « DJERDJER ».
A peine entré dans l’adolescence, il découvre un livre qui le marquera à jamais, le livre de Muhend Arab Bessaoud : « Heureux les martyrs qui n’ont rien vu ». Ce livre lui a brutalement fait prendre conscience de l’ampleur de l’injustice que l’on faisait subir à la Kabylie et ce titre, devenu une expression célèbre dans les milieux militants kabyles, s’est gravée très tôt dans sa mémoire. Le jeune Bouaziz est fasciné par Muhend Arab Bessaoud, cet ancien maquisard qui avait combattu la France, puis l’armée des frontières en 1963 et qui s’était donné corps et âme pour la défense de l’identité amazighe contre l’usurpation arabo-islamiste.
A l’âge de 12 ans, le 29 mars 1985, alors qu’un hommage au Colonel Amirouche devait être rendu dans sa commune par l’association des enfants de maquisard, dénommée « Itri », tout le village chuchote discrètement que Ferhat Mehenni, lui-même enfant de martyr, devait venir animer un gala. Le régime algérien, qui avait eu vent de la présence de l’indésirable fils de martyr, avait fait une intense campagne de dissuasion en faisant courir la rumeur qu’il y aurait des arrestations massives contre tous ceux qui se rendraient au gala de ce fils de martyr qui avait « mal tourné ».
C’est à ce moment que le jeune Bouaziz redécouvre à nouveau les chants révolutionnaires de Ferhat Imazigjhen Imula qui avaient déjà bercé son enfance, mais cette fois il en saisissait pleinement le sens : « 20 sna di lƐerm-is », « Tizi-bwassa », « ilik ibaƐtiyen », « nnif d lherma », ou encore la mythique « Aqcic d uƐettar » ; autant de titres qui ont bouleversé l’adolescent et qui ont grandement contribué à son engagement militant en faveur de la démocratie et de l’identité amazighe qui était, à cette époque, indissociables. C’était le temps du parti unique, et l’on entendait beaucoup parler de Ferhat Imazighen Imula, qui sillonnait la Kabylie avec sa guitare, ses cassettes circulaient sous le manteau, tout comme l’alphabet Tifinagh et tout un tas de petits documents sur Massinissa, Jugurtha, et surtout les paroles des chansons kabyles engagées.
Passant toute sa scolarité en Kabylie, de l’école primaire au Lycée, c’est avec tout cela que Bouaziz Ait-Chebib grandit et se construit. Il évolue d’abord dans une filière mathématique avant de se reconvertir vers la filière scientifique pour obtenir en 1993, un BAC science. Puis il va sur Alger pour y poursuivre des études supérieures en sciences politiques à l’Université d’Alger où il obtient sa licence en 1998. C’est là-bas qu’en 2005, il passe et obtient un Diplôme d’études supérieures en management. Cependant, son parcours scolaire et universitaire reste marqué par un engagement permanent dans le militantisme qui est, au final, assez représentatif de l’évolution du combat politique kabyle. Celui-ci s’était, au départ, appuyé sur une vision démocratique globale où l’objectif était de faire prendre conscience à l’ensemble des algériens la nécessité d’une Algérie plurielle, respectueuse de toutes les composantes culturelles, linguistiques et identitaires qui la composaient et où l’identité amazighe aurait toute sa place.
Comme la plupart des Kabyles de sa génération, il milite au sein du MCB (Mouvement Culturel Berbère), puis à l’âge de 16 ans, alors qu’il est encore mineur, il adhère au parti politique considéré comme kabyle : le RCD, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie. Les jeunes militants kabyles avaient à l’époque deux choix possibles : adhérer au FFS ou au RCD. Bouaziz, issu de la génération d’après-guerre et fortement imprégné de l’Académie berbère et des chants révolutionnaires de Ferhat imazighen Imula qui faisait alors vibrer la Kabylie, opte sans hésiter pour le RCD mais il finit par le quitter en 1995 estimant que le parti commençait à « normaliser » un peu trop ses rapports avec l’Etat algérien qui demeurait, quant à lui, toujours aussi raciste envers les kabyles.
L’avènement du RCD divise profondément le MCB entre les deux partis kabyles : le FFS et le RCD . Bouaziz Ait-Chebib intègre le MCB Coordination Nationale (proche du RCD) où il occupe alors deux postes durant l’année du Boycott scolaire. Etant étudiant kabyle à Alger, il est élu vice-président du bureau d’Alger et président de la coordination des étudiants amazighs durant l’action héroïque du boycott scolaire où il a été l’un des rarissimes étudiants kabyles à avoir boycotté l’année universitaire 94/95 en dehors de la Kabylie. C’est durant cette année de boycott scolaire que Bouaziz Ait Chebib avait fait la connaissance du grand militant Said El Hadj Djilali, décédé en 1997 dans un accident de circulation que d’aucuns disent « suspect ». Ce grand militant qui lui était très proche était considéré par le jeune militant, comme un grand frère qui lui a servi d’exemple. Said El Hadj Djilali était aussi l’homme de confiance de Ferhat Mehenni avec qui il entretenait des relations étroites et privilégiées, des relations de confiance absolue.
Enfin, estimant indignes les entourloupes du RCD contre Ferhat Mehenni, dont il n’avait jamais douté de la sincérité et de l’engagement, Bouaziz Ait-Chebin crée avec F. Mehenni et d’autres militants kabyles, le MCB Rassemblement national avant d’être à nouveau élu président du bureau d’Alger et chargé de l’organique dans la direction nationale.
C’est ainsi qu’en 1996, il avait été l’initiateur du comité algérois pour le boycott du référendum relatif à la révision constitutionnelle, (CABR) où il avait réussi l’exploit de regrouper les trois tendances du MCB dans une réunion qui s’était soldée par un appel au boycott commun et une grève générale le jour du référendum qui fut une réussite tant il était difficile de réunir les 3 tendances du MCB.
Bouaziz Ait-Chebib faisait déjà preuve d’un grand sens du dialogue et des responsabilités qui l’amènera quelques années plus tard à être un responsable important du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie avant d’en devenir le président.
Puis 2001 arrive, c’est le printemps noir. La Kabylie, gravement agressée par l’Etat algérien, réactive ses structures socio-politiques ancestrales et fait front à travers les Aârchs. Le 5 juin 2001, le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) est créé et Bouaziz Ait-Chebib en est le responsable organique. Le Mouvement adopte alors une attitude de soutien au mouvement citoyen des Aârchs mais il ne partage pas ses options algérianistes et estime que la plate-forme d’El Kseur était abusivement qualifiée de « nationale » alors que les revendications qui y étaient inscrites ne dépassaient pas les limites géographiques naturelles du pays kabyle qui, du reste, faisait face seul à la féroce répression du régime algérien, et dans une totale indifférence algérienne.
Mais, face à la gravité de la situation, et pour favoriser la cohésion kabyle, le MAK soutient le mouvement des Aârchs et estime que l’heure est à l’urgence tout en sachant d’avance que la démarche algérianiste ne peut pas aboutir. Le fossé entre la Kabylie et le reste de l’Algérie est déjà immense mais l’absence totale de solidarité des algériens face à l’assassinat des jeunes kabyles alors qu’au même moment, ils manifestaient à Alger leur solidarité sans condition avec leurs « frères palestiniens », puis le lynchage des manifestants kabyles à Alger le 14 juin 2001, sont venus achever la rupture déjà engagée par Bouaziz Ait-Chebib avec les réflexes nationalistes algériens et l’ont définitivement conforté dans la nécessite de mener un combat exclusivement Kabyle.
Aujourd’hui, il se définit avant tout comme un citoyen et un militant kabyle. Il est âgé de 41 ans et est membre de la direction du MAK depuis sa création en 2001. En décembre 2011, au second congrès du MAK, il est élu président du Mouvement et y consacre depuis toute son énergie, sillonnant inlassablement la Kabylie pour faire connaitre et expliquer le projet d’autodétermination pour la Kabylie. Il rencontre une écoute de plus en plus attentive et intéressée, en particulier de la part des jeunes générations.
La dernière manifestation du 27 avril 2014 apporte la mesure du chemin parcouru depuis 2001 et met en évidence l’adhésion, de plus en plus manifeste, de la Kabylie à son autodétermination. Il a fallu beaucoup de conviction, de courage et d’abnégation pour en arriver là. Bouaziz Ait-Chebib y a grandement contribué. Il est très apprécié par la base militante pour sa constance, son discours franc et sans détour ainsi que la maitrise parfaite qu’il a de la langue kabyle qu’il emploie systématiquement dans toutes ses allocutions publiques.
zp,
SIWEL 031746 DEC 14
NB: Suite à la publication de la Biographie de l’actuel président du MAK, Bouaziz Ait Chebin, Siwel a été interpellé par un fin connaisseur de la militance kabyle qui nous a signalé une omission importante dans la biographie du président du MAK, notamment le rôle important d’un autre grand militant kabyle, Djillali Said El Hadj, qui a grandement contribué à la qualité du parcours militant de Bouaziz Ait Chebib qui le considérait par ailleurs comme un grand frère et un modèle. La malheureuse omission a été réparée dans le texte de présentation du Président du MAK, Bouaziz Ait-Chebib.