DIASPORA (SIWEL) — » Ceux qui œuvrent pour la destruction de l’âme touarègue ne se donnent aucune limite. Et l’Azawad est le théâtre où se concrétise ces dernières années ce projet d’éradication de Temmujgha. Pour briser l’élan et la détermination des femmes et des hommes décidés à recouvrer leurs libertés et dignité, tous les moyens ont été mis en œuvre. « , rappelle d’emblée la rédaction de Tamazgha qui est allée à la rencontre de Habaye Ag mohamed, Président de la Coordination de cadres de l’Azawad et militant de longue date cause touarègue, pour avoir un éclairage sur les derniers événements et la situation globale dans l’Azawad », précise encore la rédaction de Tamazgha.
Voici, ci-après l’interview accordée par Habaye Ag Mohamed, président de la Coordination des cadres de l’Azawad aux confrères de Tamazgha.fr
Habaye Ag Mohamed : Je suis convaincu qu’il est très tôt pour parler de bilan de l’accord. J’ai toujours plaidé au moment des négociations à ne pas s’enfermer dans des délais intenables notamment lorsqu’il est question de construire la PAIX… Je n’ai pas été entendu, comme sur beaucoup de points qui reviennent aujourd’hui à la face des dirigeants du MNLA et de ses factions factices. Par conséquent, l’Azawad comme le Mali ou encore la sous-région sont plus que jamais dans la tourmente, dans l’incertitude et la peur en dépit de discours officiels incantatoires et lénifiants.
Le pire est à venir. Depuis Ouaga [1] (juin 2013) tout a été fait pour démanteler le MNLA en contraignant ses premiers responsables à s’asseoir à la même table que les fossoyeurs de sa cause. Par la suite, les dysfonctionnements du mouvement, noyauté de toute part, ont fini d’achever ce mouvement véritablement populaire. L’épisode de Razelma, avec la déclaration d’adhésion d’Abass au HCUA en date du 26 novembre, n’est qu’un énième soubresaut de la déliquescence d’un formidable mouvement mis à terre par ses propres responsables qui ont constamment tendu le bâton avec lequel ils se font battre.
Malgré tout, le MNLA reste un état d’esprit. Et comme tel, il est immortel et sa force va au delà des turpitudes d’individus, des manipulations de puissances et des vulgaires primes et intéressements en espèces sonnantes et trébuchantes.
Objectivement, le MNLA reste le seul interlocuteur sur la voie du règlement politique du conflit. Toutes autres considérations ne sont que des détours incongrus. Reste à savoir combien de temps encore ceux qui décident mettront à s’en convaincre ?
Nous avons vu que sur le terrain, les populations, les combattants et nombres de cadres de l’Azawad n’ont pas adhéré à cette signature. Comment expliquez-vous l’entêtement des responsables notamment du MNLA à signer et à aller rejoindre Bamako ?
Depuis cette signature, les Azawadiens – ceux qui luttent pour la liberté, la dignité dans la justice pour l’Azawad – ont adopté plutôt une attitude responsable face à la fuite en avant des dirigeants, notamment du MNLA, qui ont choisi d’être plus au service de Bamako que la cause de l’Azawad et des Azawadiens. C’est la preuve que ces Azawadiens, que l’ont ne fait que compter, sont mûrs et veulent la PAIX. Une paix que, malheureusement, l’accord d’Alger est incontestablement incapable d’apporter.
Ils attendent dans la soif, la faim, l’ignorance, les épidémies, les exactions, l’insécurité et la peur, les premiers signes de changements attendus de l’accord… Le mépris, le mensonge, la manipulation, la division, le dilatoire et la violence leur sont offerts en retour avec la complicité passive ou active des responsables de la CMA. Le Mali et ses partenaires préparent activement le terreau du troisième soulèvement de la plus grande ampleur qui soit.
Fin novembre, la région Ouest de l’Azawad a vu un mouvement de foule pas loin de Tombouctou : d’un côté il y a eu un rassemblement qui a permis la désignation du dit "chef général" des Kel-Ansar, de l’autre une "rencontre de concertation pour renforcer la cohésion sociale entre les Touaregs eux-mêmes et leurs voisins, pour apporter leur soutien indéfectible à la mise en œuvre de l’Accord". Pourriez-vous nous éclairer un peu à ce sujet ?
La rencontre de Razelma, village de dunes de sable aux confins nord ouest de la région de Tin Buktu, qui s’est tenue du 20 au 23 novembre 2015 est l’archétype du rapt politique dont seul les renseignements généraux (RG) maliens et leurs alliés dans la sous région ont le secret, depuis les années 90, pour saborder l’application des accords de paix que l’Etat malien a pourtant librement signé avec la bénédiction de ses partenaires.
La rencontre, initiée par de jeunes cadres militaires et civils touaregs de la région à la demande de notabilités locales, avait pour objectif unique de ‘’consolider les liens sociaux entre les Kel-Tamacheq de la région de Tombouctou pour contribuer à la sécurité, à la paix et au développement de la région de Tombouctou. Cela dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de Paix… ».
De toute évidence, il n’était nullement question de confirmer ou d’infirmer la désignation d’un chef Kel-Ansar… La gouvernance politique chez les Kel-Ansar a ses procédures et son mode opératoire depuis 1782 jusqu’à la soumission de la confédération par la France coloniale après la bataille de Takembawt à un jet de pierres à l’ouest de Tin Buktu au cours de laquelle périt le colonel Bonnier et sa colonne (1893).
Le dernier Aménokal [2] de la confédération Kel-Ansar désigné conformément aux pratiques et coutumes politiques fut Ingonna. Il fut assassiné par les troupes françaises avec la complicité des siens parce que refusant la soumission. Depuis, c’est l’administration coloniale, puis à sa suite l’Etat malien, qui s’était octroyé ce choix. La différence entre la France coloniale et le Mali néo-colonial dans l’immixtion dans les affaires intérieures de la confédération est une différence de degré non de nature. Les Français y mettaient quelques formes, les Maliens ne se sont jamais embarrassés de tournures. A l’époque coloniale, la désignation de feu Mohamed Ali Al Ansari Ag Attaher, si elle était obtenue avec l’unanime assentiment de toutes les tribus, a été très rapidement vidée de son sens lorsque l’administration coloniale a décelé chez ce chef hors pair un visionnaire et un meneur d’hommes. Il fut rapidement éjecté et exilé pour être remplacé par quelqu’un de plus conciliant.
Ces pratiques des Etats sont fondamentalement l’une des raisons essentielles des soulèvements en pays touareg depuis 1960. Bamako continue encore au 21ème siècle de choisir les chefs des tribus maures et touarègues de l’Azawad. C’est inadmissible.
L’absence d’une écrasante majorité des sages, des érudits et des cadres de la confédération est si patente que l’on ne peut parler ni désignation, encore moins de confirmation. Certaines familles pivot de la confédération n’étaient pas présentes à Razelma. De nombreux cadres, et non des moindres, étaient absents à cette rencontre parce que simplement la question de la désignation d’un chef général n’y était pas à l’ordre du jour.
Nulle part au monde, sauf au Mali, jamais un chef tribal n’a obtenu sa nomination à coup d’articles de presse ou d’émission TV. La campagne médiatique effrénée de la presse malienne autour de la désignation du chef Kel-Ansar est plus que significative de la frilosité et de la dimension folklorique de la désignation du chef Kel-Ansar. Il n’y aura pas de passage en force. Ça se passera à Ariaw, non loin d’essakane (lieu symbolique d’intronisation des chefs de la confédération depuis le 18ème siècle.
Malheur à tout chef Kel-Ansar qui se fait désigner en catimini par les Renseignements généraux (RG) ou par le ministère de l’administration territoriale ou sous la pression de pétitions obtenues auprès de personnes venues à une rencontre communautaire comme des touristes ou attirés par la curiosité dans un bled où il se passe jamais rien !!! Une telle désignation est nulle et non avenue, les Kel-Ansar ne la reconnaîtront jamais… L’intéressé s’auto-assignera à résidence à Bamako.
La désignation d’Abdoul Majid Ag Mohamed Ahmad, dit Nasser, comme chef général de la tribu Kel-Ansar a coïncidé avec la décision du colonel Abass Ag Mohamed, frère de Nasser, de quitter les rangs du MNLA pour rejoindre le HCUA. Est-ce un hasard ?
Le hasard n’existe pas dans ce genre de situation. En tout cas, pas pour moi qui suis tout cela de près et ne suis pas dupe des tribulations de gros sabots par le truchement de petites mains, notamment depuis les rounds de négociations à Alger. L’histoire, une petite histoire, se répète. Le même phénomène de tragédie fratricide s’était déjà produit à la fin de l’année 1993 dans les mêmes circonstances et avec les mêmes acteurs. Mais le contexte de 2015 n’est pas celui de 1993. Toutes les cartes sont brouillées et la partie est loin d’être finie !!!
J’appelle ici, et solennellement, le colonel Abass à se ressaisir et ne pas céder à la colère et aux frustrations qu’il a toujours gérées avec beaucoup de sérénité. Les errements et les irresponsabilités des premiers dirigeants du MNLA ne doivent pas le conduire à des actes aux conséquences dramatiques pour lui et sa communauté.
J’exhorte les cadres civils et militaires, les notables, les jeunes et les femmes – fer de lance du combat pour la liberté et la dignité – à se démarquer fermement, par des déclarations claires, de ce qui n’est qu’une cabale et à resserrer les rangs autour du MNLA et de nos nobles idéaux avec responsabilité et dans la paix.
Au même moment, nous assistons au retour d’Ansardine par des déclarations de son chef Iyad Ag Ghali qui refait subitement surface…
Pour parler de retour, il faudra auparavant qu’il y ait eu départ…
Le moins que l’on puisse dire aujourd’hui, c’est que l’Azawad est dans l’impasse. Ses ennemis ne comptent pas en abandonner le plan de destruction. Dans ces conditions, que compte faire l’élite de l’Azawad ?
L’Azawad n’est pas dans l’impasse. C’est plutôt l’accord d’Alger qui est dans l’impasse totale. Le format, l’agenda et le mode opératoire sont totalement périmés avant même que l’encre de signature ne saigne.
Depuis combien de temps tout le processus est bloqué ? Certains délais de l’agenda sont dépassés. Le régime malien continue toujours à pratiquer le dilatoire en utilisant les ressources de la communauté internationale à diviser les mouvements et à créer des dissidences au sein de chaque mouvement. Le plus hilarant, est que cela se passe devant les yeux de la médiation et des autres parties prenantes de la communauté internationale.
Je préfère ne pas parler d’élite, mais d’opinion. L’opinion publique azawadienne – celle qui se bat pour la liberté et la dignité dans la justice – maintient son engagement et vit dans l’esprit du MNLA qui survit à toutes les pressions, les manipulations, les combines, les trahisons, les défections…. qui font partie des plans de destructions. Mais attention à l’effet boomerang… Le réveil sera dur pour ceux qui ne travaillent qu’à étouffer, écrabouiller ou divertir la marche de peuples vers la liberté.
Propos recueillis par Masin Ferkal.
P.-S.
Ansari Habaye Ag Mohamed.
Ansari Habaye Ag Mohamed, Président de la Coordination des cadres de l’Azawad (CCA), est natif de Tin Buktu. Avocat de formation, il milite très tôt pour l’identité et la culture touarègues et a assuré le lien au début des années 90 entre les militants touaregs et les autres composantes amazighes. Très actif dans le soulèvement des années 90, Habaye représente, avec d’autres, le courant indépendantiste du mouvement touareg. N’ayant jamais eu fait confiance aux différents accords signés entre les mouvements de l’Azawad et l’Etat malien, il est resté en exil où il n’a jamais cessé son combat.
Notes
b[[1]]b Le 18 juin 2013, et après près de deux semaines de négociations, un document intitulé "accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali" a été signé entre l’Etat malien d’une part et le MNLA ainsi que le HCUA de l’autre. Cet accord qui a prévu un cessez-le-feu a été voulu pour gérer l’urgence et surtout permettre la tenue de l’élection présidentielle malienne tant voulue par la Communauté internationale, notamment la France, qui devait conduire à la mise en place d’un gouvernement qui devait avoir pour mission, dans les soixante jours qui suivront sa mise en place, l’organisation de pourparlers plus consistants, notamment pour définir le statut administratif de l’Azawad et les stratégies de développement de la zone.
[2] Aménokal (amәnukal, emnokal) : Chef suprême d’une fédération ou confédération de tribus. Voir Encyclopédie Berbère
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SIWEL 081129 DEC 15