MEDIAS (SIWEL) — Le journal algérien Liberté a ouvert ses colonnes au président de l’Anavad, Mas Ferhat Mehenni, pour la première fois depuis plusieurs années. Le Président a répondu à neuf questions du journaliste Mourad Fenzi. Pour des raisons de volume, des réponses ont été escamotées par le quotidien algérien. A préciser que tous les exemplaires de Liberté ont été vendus dans la matinée.
Ferhat Mehenni : D’expérience je sais que la mise sur pied et l’installation du gouvernement kabyle de dissidence en exil, l’Anavad, constituent aux yeux des autorités algériennes une atteinte caractérisée à la sûreté et l’autorité de l’état, et un coup grave porté à l’intégrité du pays. Chacun de ces chefs d’inculpation constitue à lui seul un motif d’emprisonnement immédiat et justifie l’application de la peine de mort, de leur point de vue. Le point de vue de la dictature, bien évidemment.
Ma situation vis-à-vis de l’Algérie est celle d’un voisin, d’un potentiel partenaire étranger. Je suis le citoyen kabyle et non l’ex-citoyen algérien qui n’a jamais véritablement existé. Le statut de Kabyle algérien est celui d’un colonisé que je refuse.
Comment expliquez-vous la genèse du MAK, de l’idée de fédération algérienne, plus ou moins partagée d’ailleurs par d’autres courants politiques, à la revendication de l’autodétermination de la Kabylie ?
Je ne connais pas de courant politique crédible se battant pour l’idée d’une fédération algérienne. La régionalisation que réclament certains du bout des lèvres n’est pas une demande de fédéralisme et celui-ci ne signifie nullement la souveraineté de la Kabylie pour laquelle nous nous battons.
L’évolution dans nos actions politiques sont dictées par les contingences et les contraintes du terrain, celles-ci nous imposent d’adapter nos modes d’organisations et nos méthodes de travail afin d’ajuster la portée de nos revendications.
Les élites politiques kabyles nous ont jusque-là placés dans une voie sans issue. Leur zèle dans l’algérianisme était tel que l’autodétermination du peuple kabyle leur paraissait inimaginable.
Ils ont beaucoup et même trop cru en l’Algérie. C’est le bain de sang perpétré par l’Algérie en 2001 en Kabylie qui nous a définitivement ouvert les yeux sur l’impérieuse nécessité de séparer notre destin de celui des assassins de nos enfants et de notre identité. Le feu de paille des Archs a ôté les dernières illusions aux nôtres, quant à la volonté du pouvoir antikabyle de satisfaire les revendications minimalistes de la Kabylie. Ensuite, la réalité du terrain a fait que notre revendication a évolué d’une simple autonomie à une affirmation d’une volonté ferme d’autodétermination pour fatalement culminer en une franche revendication d’indépendance. Le pragmatisme et la pédagogie ont prévalu.
Ne pensez-vous pas que vous avez quelque peu joué le jeu du pouvoir en séparant la Kabylie, bastion de la contestation démocratique et sociale, du reste du mouvement démocratique algérien et maghrébin ?
Ceux qui font le jeu du pouvoir ne sont pas les indépendantistes kabyles mais tous ceux qui s’opposent à l’indépendance de la Kabylie et qui confortent par leur positionnement le pouvoir en place.
L’Algérie, à l’opposé de la Kabylie, est globalement arabo-islamiste, aux antipodes des valeurs de la laïcité et du pluralisme politique. Lors des élections, les partis politiques dits Kabyles n’obtiennent des sièges électoraux en dehors de cités kabyles que grâce de quotas généreusement octroyés par la hiérarchie militaire, davantage par crainte de les voir grossir les rangs du séparatisme que d’une quelconque volonté de rééquilibrage des forces politiques en présence.
De plus, si la revendication d’indépendance était un instrument dans le jeu du pouvoir, comme prétendent d’aucuns, pourquoi celui-ci n’y accéderait-il pas ? Les arrestations des militants du MAK, leur licenciement de l’administration et la fermeture de leurs commerces sont là pour prouver le contraire. Il faut dire à ces démocrates prisonniers de leurs œillères que la Kabylie n’est pas un cobaye pour leurs lubies et leurs chimériques desseins. Ceux qui la voient en tant qu’instrument politique pour leurs intérêts personnels ne sont rien d’autre que des criminels.
La Kabylie n’est pas là non plus pour être le souffre-douleur des clans qui règlent leurs comptes au sommet de l’Etat par des troubles dont les Kabyles essuient les plâtres.
Désormais, que tout le monde sache que la Kabylie n’est pas une région d’Algérie. C’est un peuple, une nation et un pays aspirant à vivre en liberté comme tous les peuples dignes de ce nom.
Une chose est sûre : Le discours des militants du MAK, tel qu’il se décline sur la toile, est en tout cas franchement raciste, disons-le sans tabou ! Est-il vraiment celui de vos militants ? Ou y aurait-il volonté de nuire à l’image du Mouvement ?
De mon point de vue, le racisme est à condamner quelle qu’en soit la forme ou la victime. Imposer aux Kabyles l’identité arabe, qu’elle soit linguistique ou culturelle, en est un. Accuser les miens de racisme au motif qu’ils se présentent en tant que Kabyles est le comble du racisme. Ce sont les Kabyles qui sont victimes du racisme. La Kabylie n’a jamais été raciste. Le racisme, faut-il le rappeler n’est pas dans le fait d’affirmer son identité mais dans celui de la refuser à ceux qui s’en réclament.
Il y a manifestement volonté de diaboliser un Mouvement noble dans ses objectifs et sa composante humaine. Nous savons tous que les services algériens ont développé toute une direction chargée de déverser de l’intox sur la toile pour faire porter à nos militants la responsabilité de propos qui ne sont pas les leurs.
Ceux qui font porter le chapeau d’une infamie aux innocents, ne font qu’inverser l’échelle des valeurs. Ils transforment les victimes en bourreaux et les bourreaux en victimes. Il m’arrive de faire un tour sur la toile algéro-arabo-islamiste où le discours de haine antikabyle s’y décline sur tous les tons. J’en sors à chaque fois traumatisé. Non, le discours du MAK n’est pas raciste. Le racisme est dans le traitement réservé par les autorités algériennes aux réfugiés syriens, maliens, nigériens… Lisez la presse algérienne pour vous rendre compte de la haine envers tout : les femmes, les “Afrincains”, les Egyptiens, les hommes de couleur… !
Le MAK a un discours de raison. Vous le trouverez sur nos sites officiels comme www.makabylie.org ou encore www.siwel.info. Ces deux sites sont les seuls réceptacles fiables de déclarations officielles de nos responsables.
Ne pensez-vous pas que le combat du MAK risque de déboucher sur de graves dérives, dont une guerre civile, vu surtout les enjeux régionaux et mondiaux ? C’est en tout cas là le sentiment de nombreux observateurs !
Ce n’est pas le combat pacifique du MAK qui va conduire l’Algérie à de graves dérives. Les prémices de celles-ci sont déjà en place et le MAK et la Kabylie n’y sont pour rien. L’Algérie a déjà connu la guerre civile et c’est grâce à la Kabylie qu’elle n’a pas sombré, durant les années 90. Alors, s’il vous plait, n’en rendez-pas la Kabylie responsable. Les observateurs sérieux souligent aussi que l’Algérie va de nouveau droit vers une guerre civile, guidée soigneusement par ses dirigeants, sans le MAK et sans la Kabylie. On en reparlera le moment venu.
Au contraire de ce que d’aucuns pensent, le combat du MAK offre une chance au monde de reconstruire les équilibres géopolitiques que la colonisation avait détruits, d’en finir avec les guerres et les génocides. Au lieu d’avoir des pays dont la composition ethnique hétéroclite les voue en permanence à la guerre civile, il y a lieu de réhabiliter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à créer des nations suffisamment homogènes pour que celles-ci soient paisibles et prospères.
Quant aux enjeux régionaux, ils ne sont dangereux que parce qu’ils sont le produit de la colonisation-décolonisation. Ces frontières artificielles dessinées par des apprentis-charcutiers qui, par ailleurs ne voyaient à travers elles que les intérêts de l’époque des puissances coloniales, sont la cause essentielle des tensions géopolitiques régionales.
L’émergence d’une Kabylie indépendante sera une chance pour la stabilité nord-africaine et méditerranéenne. Elle saura devenir le véritable trait d’union entre l’Orient et l’Occident, le Nord et le Sud, non pas comme une espèce de Casques Bleus, de zone-tampon mais en tant que liant, en tant que médiateur, facilitateur de contact et de dialogue.
Les nombreux observateurs auxquels vous vous référez finiront bien par découvrir que la démarche kabyle révolutionne leur vision du monde et de son avenir, les rend plus riches en éléments d’analyse et de prospective. Ils doivent avoir pour mission de conseiller les géostratèges à prendre des décisions qui préservent l’avenir de la liberté, des droits humains et du progrès technologique. Ils ne conseilleront plus jamais la sauvegarde des ensembles politiques incohérents, dictatoriaux, instables et dangereux pour l’humanité.
Êtes-vous pacifiste ?
Contrairement aux tenants du régime algérien, je ne suis pas un va-t-en-guerre. Je suis un homme de paix, de raison, attaché au droit international et à celui des peuples à disposer d’eux-mêmes. Je suis de ceux qui sont attachés au maintien de la paix. Mais il faut savoir que la paix est autre chose que l’absence de guerre et que la guerre elle-même a plusieurs visages dont celui de la paix militaire et/ou policière qu’imposent toutes les dictatures et les colonialismes. Il faut éviter de confondre paix et soumission. Un peuple écrasé, humilié, spolié de ses richesses, de sa langue et de son identité, un peuple colonisé n’est pas en paix. Ce peuple ne sera en paix que le jour où il reconquerra sa dignité en se levant et en décidant de se battre pour sa liberté.
Le peuple kabyle subit l’inadmissible en étant sommé par l’Algérie de disparaître en elle. Il est violenté, régulièrement endeuillé par l’armée d’occupation qui totalise en Kabylie le tiers de l’ensemble des effectifs militaires algériens. La Kabylie tout en restant pacifique est réellement soumise à une guerre qu’elle refuse obstinément de livrer sous une forme violente. La seule réponse de la Kabylie, lors du Printemps Noir, était : “Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts !”
Vous savez, tout ce déploiement est vain. Si un jour la Kabylie venait à se soulever, aucune armée ne pourrait la réduire. C’est comme l’a dit le poète tunisien, Abou Al Kacem Echabbi : “Ida Ecce3bu yawmen arad el hayat…” Quand un peuple veut vivre libre, il ne peut que forcer le destin. Les Kabyles sont un peuple plein de courage et de bravoure, et non pas un peuple de lâches. Que ceux qui l’oppriment et le spolient de ses droits élémentaires sachent qu’ils ont plutôt intérêt à négocier avec lui les conditions de son référendum d’autodétermination que de continuer à lancer contre lui les assauts destructeurs et criminels de l’arabisation, la salafisation et le pillage de ses ressources naturelles.
C’est quoi ce conflit entre vous et Bouaziz ? Car enfin certains y voit un déficit démocratique !
Si déficit démocratique il y’en avait, personne n’aurait entendu parler de cette crise, elle aurait été tue, étouffée. Mais comme nous sommes une organisation démocratique, toutes les questions font débat.
En plus d’être un grand militant de terrain, M. Bouaziz Ait Chebbib est mon fils spirituel, mon disciple. Quel que soit ce qui peut nous opposer, nous considérons tous les deux que la Kabylie est au-dessus de nos égos. Il y a entente entre nous sur l’essentiel. Que les médias algériens poussent à notre séparation, nous en sommes conscients et nous ne sommes pas prêts à leur offrir le spectacle qu’ils attendent de nous.
Ces derniers temps, des relais du pouvoir et des infiltrés au sein de nos structures poussent nos militants à se rebeller contre l’autorité interne du MAK-Anavad. Rien de tel n’aura lieu.
On a l’impression qu’il y a chez vous une reproduction de l’ancien problème du mouvement national : on se libère et on verra !
Il n’y a aucune gêne chez nous à avoir des similitudes avec le mouvement national. Bien au contraire. Oui, on se libère d’abord. Une fois la Kabylie est libre, au lieu de se comporter comme le FLN et l’ALN qui ont confisqué la liberté si chèrement acquise, le MAK remettra les clefs du pouvoir au peuple kabyle qui va souverainement élire un président et des députés sur la base de leurs programmes respectifs.
Mieux encore, je vous assure que les droits démocratiques, les droits de la femme, des élections rééllement propres et honnêtes, la laïcité, la fin de la corruption et des passe-droits, tout cela est possible dès demain dans le cadre d’une Kabylie indépendante ! Voilà ce dont tous les Kabyles sont convaincus.
Êtes-vous raciste ? Non je plaisante. (Rire) Que pensez-vous de Majda Roumi, de Fayrouz et de Cheikh Imam et, tenez, d’El-Hadj El-Anka et Amar Ezzahi ?
(Rire) Oh ! C’est me faire injure que de croire que je suis raciste. Pour vous rassurer, j’adore les chansons de tous ces artistes que vous me présentez et de bien d’autres encore comme Fahd Bellan ou Abdelhalim Hafez…. J’ai même traduit et chanté une chanson de l’un d’entre eux, Cheikh Imam (Idha Echemsou ghirqet).
Parmi ces chanteurs, il y a deux Kabyles ayant chanté en arabe, El Anka et Ezzahi. Pour Amar Ezzahi, actuellement hospitalisé et auquel je souhaite prompte guérison, j’ai été content de savoir qu’il a bénéficié d’une prise en charge en France, ce qui n’a pas été le cas de Kheloui Lounes, décédé dernièrement de sa maladie. Un autre chanteur kabyle, lutte actuellement contre la mort à Tizi-ouzou, Taleb Tahar. Il est urgent qu’il soit, lui aussi, transféré pour bénéficier de soins adaptés.
Pour El Anka, j’ai une anecdote que je tiens de son médecin, le Dr Mezdad, qui avait recueilli ses dernières pensées avant de rendre l’âme ; le maître du chaabi n’avait formulé qu’un seul regret sur sa carrière, celui de n’avoir pas chanté assez en kabyle.
La version écourtée publiée par le quotidien algérien Liberté
PS : L’interview a été réalisée avant le décès du chanteur Amar Ezzahi. C’est pour cela que Ferhat Mehenni avait tenu à lui souhaiter un prompt rétablissement.
SIWEL 141318 DEC 16