PARIS (SIWEL) — Le quotidien algérien, « la cité », vient de publier une interview du président du Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK). Pour qu’elle puisse être autorisée, le journal a été contraint de ne pas le présenter es-qualité. En raison du bannissement par les autorités algériennes de l’expression d »autodétermination de la Kabylie » dans les colonnes des journaux, le titre de l’interview a été transformé comme suit : « Ferhat Mehenni : voilà mon plan d’autonomie de la Kabylie ».
"Il a poussé le courage (ou la témérité) jusqu’à rendre public le contenu de l’entrevue que l’ex président du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie, M. Ferhat Mehenni a eu e 2003 avec le Général Toufik qui lui aurait dit en substance : « si les idées que tu défends sont celles d’un homme politique autonome, tu as tout le loisir de le faire. Mais s’il s’avère que tu es inféodé à une quelconque puissance étrangère, tu me trouveras sur ton chemin. » On devine que seul le Général en personne, pouvait souffler au journal en question cette phrase. Elle vise à présenter les tenants du pouvoir comme de vrais nationalistes qui n’acceptent aucune d’ingérence étrangère dans leurs affaires. Or, il est de notoriété publique, que ce sont les "décideurs" du régime qui se vendent au plus offrant sur la scène internationale du mercenariat politique et se mettent au service qui, des Américains, des Russes, des Français et des Italiens, voire des Chinois, des Coréens et des Moyen-orientaux…
Dans l’entrevue en question, la menace du Général Toufik a été toute autre : "si tu oses un jour mettre sur pied des réseaux, structurer le MAK pour en faire une force politique, tu le payeras très cher ». En effet, comme exécution de cette menace, le fils de M. Ferhat Mehenni, Ameziane (30 ans) a été assassiné à Paris le 19/06/2004, dans des conditions que la police française n’a jamais voulu élucider.
On relève au passage une certaine contradiction du journal qui titre « Mon plan d’autonomie pour la Kabylie » mais dans la question du jour pour alimenter le débat par deux "sociologues algériens" il est question du "séparatisme du MAK". Quant aux deux éminents sociologues, enseignants à l’université d’oran, M Souiyah et S Belhachemi, ils ont eu du mal à cacher leur anti-kabylisme. En parlant du RCD et du FFS comme des "partis à ancrage régional" ils ajoutent : "Et pourtant ils n’ont jamais été tentés par le séparatisme" . Ils leur attribuent ainsi la palme conjointe du jacobinisme et de l’islamo-baâthisme. Selon ces "sociologues", le FFS et le RCD sont les champions de l’unité nationale. Mais "si on se fiait aux thèses du MAK, l’Algérie subirait un véritable dépeçage. Aujourd’hui, c’est la Kabylie, demain ce sera le sud, les régions des Aurès, Mozabites, même du Hoggar qui vont appeler à se séparer de l’Algérie, une chose inconcevable même dans l’esprit des habitants de ces régions ».
En tous les cas, à leur corps défendant, ils démontrent que l’Algérie n’est pas un nation, mais une mosaïque de nations qui, un jour ou l’autre, prendront chacune leur indépendance quitte, ensuite à reconstruire entre elles un ensemble plus viable sur la base de leurs intérêts communs.
On le voit aussi, il est toujours difficile d’exercer son métier de journaliste. Entre la probité à laquelle tient globalement toute la profession, et les rédactions qui subissent les pressions de la censure du pouvoir, se diffuse une information qui n’arrive toujours pas à être suffisamment crédible.
Nous sommes désolés de ne pas pouvoir vous donner de lien internet pour lire en direct l’article en question. Le journal n’en a pas encore d’opérationnel.
Lisez l’entretien
M. Mehenni, après une longue absence, peut-on connaitre les raisons de votre exil et si vous envisagez de revenir un jour au pays ?
Ferhat Mehenni : En fait votre question renvoie à une propagande que véhiculent depuis 4 ans tous ceux que ma liberté d’action dérange. Selon leurs rumeurs, je ne ferais l’objet d’aucune poursuite judiciaire de la part du pouvoir algérien. Selon eux, ce serait donc à moi d’apporter la preuve des intentions criminelles de mes potentiels geôliers ou assassins. Que vos lecteurs se posent juste sereinement cette simple question : le fait d’avoir mis sur pied un Gouvernement Provisoire Kabyle ne relèverait-il d’aucune disposition pénale, voire martiale du régime algérien ? Soyons sérieux ! J’ai été arrêté et incarcéré à 12 reprises pour beaucoup moins que cela.
J’entends bien rentrer chez moi un jour. Je le dirai le moment venu. Pour l’instant, ma priorité est de porter la voix de la Kabylie à travers le monde.
Votre visite en Israël a suscité une grande polémique, certains sont même allés jusqu’à demander qu’on vous déchoie de votre nationalité. Pouvez-vous revenir sur les raisons de cette visite et la polémique qui l’a suivie ?
Ferhat Mehenni : Notre visite en Israël, M. Lyazid Abid et moi en tant que représentants du Gouvernement Provisoire Kabyle en exil, est un acte de souveraineté kabyle qui ne se négocie pas. Désormais, la Kabylie ne saurait faire siennes les haines et les déraisons de la diplomatie algérienne. D’autres possibles existent pour nous, nous les explorons. Notre objectif est de faire de la Kabylie un acteur de la paix, du progrès et de la liberté en Afrique du Nord et autour de la Méditerranée. Un partenaire pour la stabilité dans la région.
Quand vous parlez de polémique ayant suivi cette visite je crois que vous usez d’un euphémisme. En réalité, il y a eu plutôt lynchage en règle du président de l’Anavad, par tous les journaux proches du régime et des islamistes. Qu’un écervelé comme Ali Benhadj demande au pouvoir algérien ma condamnation par contumace ou la déchéance de ma nationalité ne confirme qu’une chose : lui et ses islamistes travaillent main dans la main avec les tenants du système en place dès qu’il s’agit de s’opposer à la Kabylie. Le fait qu’ils se soient fait la guerre pour le contrôle du leadership arabo-islamiste en Algérie, et tuer au passage quelques 250 000 personnes, ne les empêche pas de fraterniser le temps de réprimer les aspirations du peuple kabyle pour sa liberté.
Les révolutions des sociétés de l’Afrique du nord semblent battre de l’aile, après le succès des islamistes aux différentes élections organisées. Quelle est votre analyse de cette situation ? Pensez-vous que l’expérience algérienne soit la voie obligée pour l’Egypte et la Tunisie qui basculent lentement mais sûrement dans la violence ? Plus globalement, quel est l’avenir de la région à la lumière des derniers développements ?
Ferhat Mehenni : Permettez-moi l’usage de quelques métaphores pour illustrer la déception de l’Occident et de quelques « progressistes algériens » qui croyaient au début de l’année 2011 que les révoltes populaires en Tunisie et en Egypte allaient accoucher de démocraties « arabes », là où l’on n’a trouvé jusqu’ici que des tentatives de califat moyenâgeux. Une révolution est toujours l’enfant de la discorde entre un pouvoir et une société. Elle est leur acte de divorce. Mais étant leur fruit commun, elle doit logiquement leur ressembler, porter leurs traits internes et externes. Les révolutions obéissent, elles aussi, aux lois de l’hérédité. Elles tiennent de leurs parents, de leurs rêves comme de leurs pratiques. De quoi peuvent accoucher ces révolutions si ce n’est, de ce dont a été nourrie chacune de leur société depuis 50 ans : l’arabo-islamisme avec son intolérance et sa haine du Chrétien et du Juif, du Berbère et du Copte, du Kurde et de l’Ibadite ? La dictature est la seule forme de gouvernance dont rêvent les forces organisées de ces révolutions ; la dictature comme instrument politique pour imposer leurs conceptions étriquées du pays et du monde, la dictature comme une revanche sur ceux, parmi leurs concitoyens (notamment les démocrates et leurs minorités « nationales »), qui ne leur avaient pas permis de le faire plus tôt.
La démocratie n’est pas un mécanisme numérique maîtrisé, mais une culture qui n’imprègne une société que sur une période de plusieurs générations. Il faut espérer que, dans l’immédiat, ces pays disposent d’élites acquises à la démocratie suffisamment armées politiquement pour l’emporter sur les forces obscurantistes. Le chemin restera très long.
La violence est le propre de l’écrasante majorité des révolutions et il n’y a rien d’exceptionnel dans ce que vivent l’Egypte, la Syrie, la Libye ou la Tunisie. Si les Occidentaux poussent ces pays à rééditer le cas algérien, on aura au bout du compte une défaite militaire de l’islamisme qui ne tardera pas à se transformer en sa victoire politique. Regardez autour de vous et vous verrez non pas une Algérie musulmane mais un pays islamiste.
Enfin, ces révolutions sont détournées de leur sens. Elles actent en réalité la faillite de l’Etat hérité de la colonisation. Mais il n’y a pas encore d’Etat de type nouveau. Il appartiendra aux élites politiques et au génie de chaque peuple pour s’en construire un, nécessairement mariant ses valeurs ancestrales et son insertion obligatoire dans la modernité. La Kabylie sera à coup sûr un modèle pour tous ces peuples qui composent des pays dans lesquels, pour n’avoir pas eu à être reconnus, ils ne se reconnaissent pas. On le voit déjà en Libye où les Amazighs, après avoir efficacement investi la révolution jusqu’à la chute de Kadhafi, ils se retrouvent avec un pouvoir arabo-islamiste qui tente de les renvoyer au statut de déni qui était le leur du temps de la Jamahiria. Ils viennent d’entamer un processus de désobéissance civile qui, nous l’espérons, les mènera à la construction d’un Etat amazigh qui leur soit propre.
La maladie du chef de l’Etat a conduit à la paralysie des institutions. Selon vous, comment on en est arrivé là ? Etes-vous partisan de l’application de l’article 88 de la constitution ? Quelle est votre position sur la révision de la constitution et la prochaine élection présidentielle ?
Ferhat Mehenni : L’Algérie n’a certes pas le monopole du ridicule, beaucoup de dictatures ayant succédé à la colonisation lui disputent la palme de l’absurde. Toutefois, elle vient de leur marquer quelques précieux points. Malgré l’état de santé grabataire de Bouteflika, il restera en poste jusqu’à la fin de son mandat, sauf si sa mort survient entretemps et que le régime n’arrive pas à la cacher.
Quant à l’article 88 que vous citez, il relève du pouvoir discrétionnaire de la junte militaire. Les rapports de force entre ses clans ne produit pas encore le déséquilibre nécessaire à l’application de cette disposition constitutionnelle au cas Bouteflika.
Personnellement, en tant que Kabyle, la constitution algérienne ne me concerne pas. Je signale au passage que Bouteflika n’a jamais été élu par la Kabylie, comme elle ne l’a jamais reconnu comme son président. C’était déjà le cas de tous ses prédécesseurs. Bouteflika et la Kabylie se sont toujours considérés comme des ennemis. Mais, pour elle, il n’est pas qu’un individu mais la personnification du régime. Et quel que soit celui qui lui succèdera, la Kabylie le traitera avec la même défiance, jusqu’à ce qu’elle dispose de son propre président élu et de sa propre constitution. Au vu de tous les combats qu’elle a menés, des lourds sacrifices qu’elle a consentis, le sang des martyrs du Printemps Noir, cette issue d’un Etat kabyle est inéluctable, quelles qu’en soient les obstacles.
La révision constitutionnelle dont vous parlez est, pour moi, une vieille illusion dont certains militants kabyles, pourtant sincères, n’arrivent pas à se départir. Comme si notre histoire s’était arrêtée en 1980, ignorant l’avènement de la revendication d’une autonomie régionale, puis celle du droit à l’autodétermination de la Kabylie, ils espèrent toujours voir intégrée dans la constitution algérienne l’officialisation de « tamazight ». C’était une attente du passé. L’avenir de la Kabylie est dans la mise sur pied de son propre Etat et non dans quelques miettes de « langue amazighe » que lui consentirait la si chiche Algérie. La Kabylie libre fera de la langue kabyle sa première langue. Elle n’attend plus rien de l’Algérie. Elle veut juste l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour qu’enfin, elle vive en paix et en bonne entente avec l’Algérie comme cela se fait entre de bons voisins.
Ces derniers temps, les organisations de la mouvance démocratique semblent vivre une phase de mutation, avec l’alternance organisée à la tête du RCD et du FFS et la création de nouveaux partis, à l’image de l’UDS. Comment analysez-vous ces changements ?
Ferhat Mehenni : La vie elle-même est une mutation quotidienne. Mais celle qui touche le FFS et le RCD pourrait faire croire à la fin d’un cycle ; celui d’une opposition entre les deux partis kabyles. Si on peut toujours le désirer, il n’en est rien pour le moment. J’ose espérer quand même que la revendication du droit à l’autodétermination de la Kabylie les rapproche de nous pour l’avenir de tous nos enfants. Dans ces sorties volontaires de la scène politique, de M. Hocine Ait Ahmed et du Dr Said Sadi, je vois plutôt la sagesse de deux hommes et leur fidélité à la culture démocratique ancestrale de la Tajmaat taqvaylit. C’est tout à leur honneur. Je ne tarderai pas, moi aussi, à prendre ma retraite.
Quant à la création de nouveaux partis, il ne me semble pas que ce soit un gage de démocratisation de l’Algérie. Leur manque d’ancrage fait d’eux, quand ils ne sont pas de véritables mercenaires contre la démocratie, des proies faciles du pouvoir en place. Tout le monde sait que ce dernier ne consent à légaliser un parti que lorsqu’il est sûr de le maîtriser. Nul parti en dehors de la ligne arabo-islamiste du régime algérien ne saurait être agréé.
Après avoir été un sanctuaire inviolable, la Kabylie est en passe de devenir un terrain conquis par les partis-Etat et les islamistes. A quoi cette situation est-elle due ?
Ferhat Mehenni : Vous voulez peut-être parler des élections en Kabylie où les partis antikabyles arrivent à rivaliser avec le FFS et le RCD. Le boycott des élections auquel appelle le MAK depuis sa création et qui est suivi à chaque fois par 80% de la Kabylie a sûrement empêché ces deux organisations d’avoir des scores supérieurs à ceux de leurs rivaux. Personnellement, je ne suis plus président du MAK mais mon successeur, M. Bouaziz Ait Chebib est un homme de qualité et de dialogue. Je ne pense pas qu’il soit hostile à discuter avec eux de l’avenir politique et institutionnel de la Kabylie, pour peu que les discussions aillent, bien sûr, dans le sens de l’intérêt de la Kabylie. C’est en tous cas, me semble-t-il, sa seule condition.
Comment voyez-vous l’avenir du combat démocratique en Algérie ?
Ferhat Mehenni : Jusqu’ici, le combat démocratique en Algérie n’a été porté pour l’essentiel que par la Kabylie. En désespoir de cause, après avoir été trahie et lâchée par tout le pays au « Printemps Noir » de 2001, lorsque les Algériens manifestaient en masse en faveur des Palestiniens mais pas des Kabyles qui, par dizaines, venaient de mourir sous les balles criminelles des gendarmes, la Kabylie investit dans l’avenir démocratique de son propre Etat et non dans celui de l’Algérie. Non pas parce qu’elle ne voudrait plus de ce dernier, mais par réalisme. D’abord, elle considère qu’elle n’en a plus les moyens. Ensuite elle en a perdu l’illusion et l’idéal. La Kabylie s’est rendu compte que pour un meilleur avenir de ses enfants, il est plus facile et plus efficace pour elle de construire un Etat kabyle démocratique que de continuer à s’épuiser à ce Rocher de Sisyphe qu’est l’improbable démocratisation d’un Etat algérien mafieux. Et puis quel intérêt aurait-elle à mener le combat démocratique à son terme en Algérie si, au bout du compte ce sera de nouveau son droit à l’existence qui sera bafoué ? Qui pourra lui garantir qu’à l’issue de ce fameux combat démocratique algérien, elle ne serait pas de nouveau sommée de s’arabiser ou de subir les foudres de guerre du nouveau régime ?
aai/la cité
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