VGAYET (SIWEL) — Le Café littéraire de Vgayet a invité, samedi dernier, le brillant intellectuel, historien, linguiste et chercheur kabyle: Younès Adli. Les travaux de cet universitaire de haut niveau portent essentiellement sur « la pensée kabyle » dont les fondements sont étroitement liés aux valeurs universelles imprégnées d’humanisme, de tolérance, et même d’écologie, comme il le démontrera tout au long d’une conférence qu’il mènera avec brio, dans une salle archi-comble et face à un public totalement subjugué.
C’est effectivement dans un langage fluide et accessible que Younes Adli expliquera les grandes lignes de son dernier ouvrage intitulé « Les efforts de préservation de la pensée kabyle aux XVIIe et XIXe ».
Universitaire de renom et brillant orateur, Younes Adli se soucie de préserver la personnalité kabyle face aux multiples dangers qui menacent sa disparition et ne craint de se mettre au service du peuple kabyle.
Le 31 octobre 2014, il avait favorablement répondu à l’invitation du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie qui l’avait convié à la Conférence nationale kabyle d’At-Ouabane. Cette conférence sera couronnée par la mise en place d’un Conseil national kabyle à la tête de laquelle Younes Adli, sera, à l’unanimité, élu président.
Animant une conférence-débat de très haut niveau, Younes Adli a fait le bonheur de son auditoire en lui décrivant ce qu’il entendait par la pensée kabyl; une pensée qu’il dépeint comme étant une « survivance de la pensée amazighe » ayant échappé aux agressions et aux ravages des invasions successives subies par l’Afrique du Nord depuis l’antiquité à nos jours.
Expliquant la situation d’une agression permanente en Afrique du Nord, dans une quasi continuité historique, Younes Adli n’a pas manqué de préciser que ces agressions continuent encore de se perpétuer en Kabylie après l’indépendance algérienne, notamment par une arabisation forcée, menée d’une main de fer, et un déni historique et identitaire alors que jusque-là «La Kabylie, par son unité linguistique et sa résistance aux incessantes colonisations, a pu se préserver de l’assimilation et, par conséquent, de perdre sa pensée forgée à travers les siècles»…
Puis entrant dans le vif du sujet, l’universitaire kabyle, en brillant orateur qu’il est, a captivé l’attention d’un auditoire auquel il explique que « la pensée kabyle est une pensée aux valeurs universelles », où la laïcité était déjà en usage dans les villages de Kabylie, notamment dans la gestion des affaires de la cité et où les villageois faisaient une nette distinction entre le politique et le religieux. Younes Adli rappelle que la société kabyle appliquait déjà des principes de laïcité et de démocratie villageoise à l’époque où l’Europe baignait dans la sauvagerie et les guerres, notamment de religions.
Citant des exemples historiques concrets, l’orateur a également évoqué l’organisation économique, juridique et sociale particulière de la Kabylie ainsi qu’une véritable pensée philosophique kabyle, imprégnée d’un attachement certain à la liberté, comme à la résistance permanente. Prenant par exemple l’exécution d’Arezki Lvachir, Younes Adli précise que pas moins de 15 journaux français ont dépêché des envoyés spéciaux pour couvrir l’événement et que cela constitue bien la preuve de l’existence d’une véritable pensée kabyle qui permettait justement l’émergence de ce genre de héros avec un attachement si fort à la liberté, à la justice, à la lutte contre la soumission et la spoliation. Si Arekzi Lvachir n’avait été qu’un simple « bandit », il n’aurait pas suscité tant d’intérêt pour la presse coloniale française.
En plus d’Arezki Lvachir, Younes Adli ne manque pas de citer un certain nombre de repère kabyles tout aussi imprégné de cette pensée kabyle intimement liées à ces notions de liberté et de résistance. Il citera notamment Si Mohand ou Mhand qui était « lui aussi un résistant à sa manière », de même que Lvachir Amellah, cheikh Mohand Ou El-Hocine, de cheikh Ahedad ou Youcef Oukaci, …
Younes Adli évoque également un certain savoir-faire dont la plupart des kabyles d’aujourd’hui ne soupçonneraient même pas l’existence tant le discours ambiant consiste à leur faire croire que la Kabylie est dans l’impossibilité totale d’être viable par elle-même, par ses propres compétences et non par une hypothétique rente pétrolière ( qui du reste ne l’a jamais servi)
Younes Adli rappelle ainsi que durant la période ottomane en Afrique du Nord, la Kabylie (non occupée par les turcs) pratiquait l’extraction du fer dans la région de Timezrit ainsi que son conditionnement en barres qu’ils vendaient aux turcs à Alger, tandis que chez les At Abbas les femmes pratiquaient déjà la technique sophistiquée de la broderie au fil d’or.
Younes Adli explique encore que c’est aux kabyles d’At Wasif que les Turcs faisaient appels pour leur construire les retenues d’eau. Les tuiles, les armes, les munitions, les bougies n’étaient pas importées de l’extérieur, ils étaient bel et bien fabriqués en Kabylie. En citant tous ces exemples, Younes Adli apporte les preuves qu’il y a bien un savoir-faire local et une pensée proprement kabyle qui en est à l’origine (et donc que la Kabylie est capable de produire par elle-même)
Pour Younes. Adli, la pensée kabyle s’exprime dans tous les domaines de vie de la société et constitue une pensée originale, proprement kabyle découlant de la survivance de l’antique pensée amazighe.
C’est ainsi que prenant l’exemple de Laânaya, principe qui consiste à prendre quelqu’un sous sa protection, Younes Adli explique que ce principe a traversé les siècles et les millénaires puisque celle-ci existait déjà avant la fondation de Carthage. Pour illustrer ses propos, il raconte l’histoire d’Elyssa Didon de Tyr qui était venue chercher protection auprès du roi amazigh Yerbas, contre son frère, le roi de Tyr. Ayant obtenu Laânaya (protection) du roi Yerba, celle-ci s’établit sur les côtes d’Afrique du Nord et fonda par la suite Carthage.
Abordant d’autres domaines dans laquelle la pensée kabyle est omniprésente, Younes Adli évoque la gestion politique des affaires de la cité et le principe de la démocratie villageoise avec Tajmaât, l’assemblée du village. Il évoque également l’aspect juridique avec le droit coutumier (et non religieux).
Tout, absolument tout, en Kabylie était régi par une pensée qui lui était propre. Il évoque par exemple les pratiques économiques kabyles, notamment l’hypothèque et les transactions économiques entre les membres du groupe et rappelle que ces pratiques ont été saluées par de grands penseurs et intellectuels de renom tels que Durkheim, Kovalovski, Marx, Engels et Rosa Luxembourg.
Younes Adli explique que la pensée kabyle recèle en elle des valeurs universelles imprégnées d’humanisme (où le bannissement remplace la prison ou la succession des vendettas), de tolérance religieuses (ou le religieux ne s’impose pas de force à la société et où la raison l’emporte sur le dogme) et même d’écologie précise-t-il, expliquant qu’« un villageois n’avait pas le droit d’abattre un arbre, même s’il lui appartenant, sans l’autorisation de Tajmaât. Celle-ci devait vérifier la validité de la demande, et si la demande était justifiée, Tajmaât lui imposait alors de planter un autre arbre pour compenser celui qui serait abattu » …
Tout au long de la conférence, Younes Adli a dépeint la pensée kabyle comme étant la survivance d’une grande civilisation amazighe (numide ou libyque selon les époques), en tout cas celle dont a parlé Hérodote qui est à proprement parler le premier historien de l’humanité; une civilisation que les kabyles ont tout intérêt à valoriser et à se rapproprier.
A la fin de sa conférence, Younes Adli a répondu aux questions d’un auditoire totalement subjugué, avant de finir par une vente dédicace de ses ouvrages.
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SIWEL 041609 MARS 15