KABYLIE (SIWEL) — « Pourvu qu’il ne vous arrive point tel le sort de cet arbre lequel, une fois coupé de ses racines, ses feuilles vertes se faneront et dépériront. Un arbre sans racines est condamné à mourir. Ne soyez pas, vous gens d’aujourd’hui, tels des gens sans racines… Faîtes en sorte de ne pas devenir des éternels pauvres de la Connaissance la plus large d’esprit et de cœur…

 

Contribution/ Cause amazighe : Le message de Mammeri a-t-il été bien entendu et compris ?
Par Smaïl Medjeber

…J’ai pensé à toi, génération d’aujourd’hui et de demain… A présent, la Connaissance se puise dans les livres. C’est pour cette raison, que j’ai écrit ce livre : pour vous tous, pour qu’il vous soit une référence, un exemple à méditer, un fondement sur quoi vous appuyer, construire et transmettre la Connaissance … Nous avons défriché le terrain, à présent, c’est aux autres de continuer.» (In Poèmes Kabyles Anciens, Mouloud Mammeri, Editions Laphomic)

Comme je l’ai évoqué dans le n° 39 de la revue Abc Amazigh et rappelé dans mon livre qui porte le même nom, le message de notre Grand Maître Feu Mouloud Mammeri, a-t-il été bien entendu, lu et bien compris ?
Combien de « Mohand Azwaw et ceux de sa génération », auxquels Mammeri avait adressé ce message, l’ont-ils lu et compris ? Moi je l’avais bien lu et bien compris. C’était pour cette raison que j’avais fondé une maison d’édition dévouée à la langue et culture amazighe. Ce fut, pour moi, une manière aussi de prendre ma revanche vis-à-vis du pouvoir dictatorial algérien.

Je pensais, naïvement, que le fait de sortir de la clandestinité, de l’époque noire des années 1970, où, avec mes camarades, clandestinement et dangereusement, j’assurais la publication de la revue Idtij (Le Soleil)* – même feu Mouloud Mammeri me disait : « Comment tu arrives à faire ça, Smaïl ? – je pourrais continuer, légalement, librement et aisément, mon combat pour notre noble cause, avec un lectorat tout aussi militant et suffisant. Hélas !

Pourtant, comme l’avait si bien dit, aussi, notre Grand Maître feu Mouloud Mammeri : « Il était temps de happer les dernières voix avant que la mort ne les happe. Tant qu’encore s’entendait le verbe qui, depuis plus loin que Siphax et que Sophonisbe, résonnait sur la terre de mes pères, il fallait se hâter de le fixer quelque part où il pût survivre, même de cette vie demi-morte d’un texte couché sur des feuillets morts d’un livre. »
Notre langue et notre culture se doivent, par conséquent, pour survivre, de passer, vite, de l’oral à l’écrit, c’est-à-dire aux livres, « avant que la mort ne les happe ». Il y a donc urgence et péril en la demeure.

Mon défi pour éditer un livre chaque mois et pour un millier de lecteurs au moins, était la réponse – militante – que moi, je proposais, en réponse à ce cri d’alarme. Mon défi n’a pas été appliqué, respecté.
Notre langue est-elle condamnée à demeurer une langue orale ? Rezki Issiakhem, dans sa préface de l’œuvre de Saïd Iamrache, « Tasga n tlam ou l’Obscurantisme en plein jour» publiée après son décès, a confirmé en lançant ce même cri d’alarme : « C’est par la lecture de romans comme celui-ci que se développera le goût de lire notre langue et que l’on rejettera l’aberration d’un fatalisme qui voudrait l’enfermer dans une oralité réductrice et décadente… » Et de refuser à croire « Que les nombreux militants de la cause amazighe et les milliers de manifestants qui défilent lors du printemps amazigh ne seraient pas analphabètes ». Raison évoquée par des maisons d’éditions qui ont refusé de publier cette œuvre posthume « considérant que la rentabilité d’une œuvre en tamazight ne pouvait en être assurée. »

Je le répète aussi : acheter et lire des ouvrages de langue amazighe, c’est un autre militantisme, c’est prouver qu’il existe un lectorat de la langue amazighe, c’est prouver que «Ass-a, azekka, tamazight tella, tella » (Aujourd’hui, demain la langue amazighe existe, existera) n’est pas un slogan creux, vide de sens.
Je re-lance donc mon défi à tous les militants et militantes qui ont scandé ce slogan : y-a-t-il, dans toute l’Amazighie et la diaspora, au moins un millier de lecteurs (trices) du livre amazigh ?

Le printemps amazigh d’avril 1980 avait été provoqué à cause d’une conférence sur la poésie amazighe ancienne, n’est-ce-pas ? Un pouvoir amazigh et amazighophobe, bête et méchant avait interdit cette conférence, d’accord. Des milliers d’étudiants sont sortis pour manifester leur ras-le-bol contre cette injustice, cet outrage fait à l’encontre d’un écrivain, Mouloud Mammeri, en l’occurrence, et, d’une manière générale, à l’encontre de la culture d’expression amazighe. C’est bon, c’est juste, c’est héroïque, c’est historique. Mais, aujourd’hui, en 2013, ou demain, est-ce que ces mêmes milliers d’étudiants ou leurs enfants soutiendront un ouvrage de poésie en langue amazighe ? La question reste posée. En attendant, dans les librairies, il n’y a pas foule. Les émules de Mouloud Mammeri, quelques rares jeunes poètes qui parviennent à publier – à compte d’auteur** – un petit recueil de poésie, font du porte à porte pour proposer leurs ouvrages. C’est ce que je fais présentement, personnellement, via internet. Sans suite aucune.

Avant, les gens disaient : « Il n’y a pas d’écrivains en langue amazighe ! » A présent, ce sont les écrivains qui disent : « Il n’y a pas de lecteurs de la langue amazighe ! »
“ La langue amazighe n’est pas un dialecte archaïque qui ne mérite, comme on le croit généralement, aucune considération, mais un chef-d’œuvre linguistique qu’il faut à tout prix développer et promouvoir. Un jour, le nord-africain sera, j’en suis sûr, fier de sa langue.” C’était ce que souhaitait ardemment mon défunt compagnon de combat, Mohamed Haroun.

Durant les années 1970, pour faire adhérer quelqu’un à notre cause amazighe, il fallait, à sa demande, prouver que notre langue s’écrit. Où en est-on aujourd’hui ? Que font les réseaux associatifs kabylo-amazigho-berbéros, dans nos Pays respectifs et au sein de la diaspora, hormis de répéter, sans cesse, les mêmes slogans, les mêmes discours, les blas blas, les manifs, les fêtes, les danses, les sempiternels spectacles ?
Il faudrait d’abord prendre conscience d’un fait : d’où vient ce mal, cette absence de lectorat amazigh ? La question et la réponse sont en chacun et chacune de nous. Comme l’arbre qui dit à la hache : pourquoi tu me frappes ? La hache lui répond : ma main vient de toi.
Abc Amazigh fut, pour moi, une amère déception ; pire : une douloureuse expérience dont j’en souffre jusqu’à aujourd’hui.

Une revue, pourtant bien appréciée par ses quelques lecteurs (trices) et surtout par la presse nationale. Je cite, humblement, quelques extraits : “Le contenu scientifique de ce bulletin – dirigé par Smaïl Medjeber – l’un des pionniers de la revendication de l’identité amazighe de l’après-indépendance de l’Algérie -, confirme qu’aujourd’hui, il ne s’agit pas plus de réhabiliter l’amazigh, mais de produire cette langue… Cet éventail ouvert prend en charge avec bonheur – ce qui est rare dans ce genre de revue spécialisée – la tri culturalité des lecteurs auxquels la revue s’adresse : le français, l’arabe et l’amazigh se solidarisent pour développer, sans aucune susceptibilité culturelle la question majeure de l’écrit amazigh. ” Le Matin, 09/04/1996.“A distance des sirènes politiciennes : OUF ! Voilà une revue qui aborde la question de la langue amazighe sans se laisser aspirer par les sirènes politiciennes… Assurément la revue Abc Amazigh a choisi la voie du débat d’idées, de la construction. La plus sûre. ” (D. H.) Libre-Algérie n°13, 1 – 14/3/99. “Abc Amazigh que dirige l’infatigable Medjeber n’arrête pas de nous surprendre. Agréablement s’entend… Dans l’ensemble, Abc Amazigh se maintient. Avec peu de moyens, cette revue ne se laisse pas abattre par un environnement hostile. Que la résistance continue !” (A.L) Libre-Algérie n°33, 6-19/12/99.

Qui a acheté et lu les revues Abc Amazigh, Izuran… ? Qui a acheté et lu les œuvres de : Si Amar-Ou-Saïd Boulifa, Belaïd Nat-Ali, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohand Lechani, Abdallah Mohya, Saïd Iamrache, Ahmed Nekkar, Kamel Naït-Zerrad, Amar Mezdad, Rachid Alliche, Halima Aït-Ali Toudert, Tassadit Tacine, Ramdane Achab, Hassane Ben Amara, Mohand Ouaneche, Mohand-Ouramdane Larab, Yahia Yanes, Salem Chaker, Malek Houd, Youssef Nacib, Mohand Aït-Ighil, Salem Zenia, Houcine Azergi, Ahmed Adghirni, Brahim Lasri Amazigh, Mohamed Akounad, Rachid Jadal, … (désolé pour les auteurs non cités) ?

J’aimerais bien avoir des réponses à ces questions, par courriel à : dé[email protected] , sur ma page Facebook, memoireamazighe, ou sur : amazigh blog de communication.WordPress.com (un blog qu’une généreuse personne m’a aidé à créer).
Il faut passer notre langue ancestrale de la bibliothèque orale multimillénaire, en voie de disparition, à une bibliothèque livresque immortelle.
Bien sûr, la langue amazighe a le droit naturel et légitime, en Algérie et dans toute l’Amazighie, d’être reconnue et traitée comme langue d’Etat, nationale, officielle avec tous les attributs et droits y afférents, son enseignement compris. Bien sûr, pour cela, il faut continuer le combat militant et politique jusqu’au bout.

Cependant, il faut exercer notre propre pouvoir personnel, responsable, tout aussi militant. Pour ce faire, nul besoin de décret pour acheter un livre, une revue qui transmet la langue et la connaissance de l’histoire amazighe. La langue amazighe n’a pas besoin du bla bla politicien et pseudo-militant ! Inutile de faire comme l’autruche. Ne plus utiliser cette cause culturelle et linguistique à des fins politico-personnelles. Que ceux et celles qui prétendent défendre cette noble cause brandissent, au moins, UN livre amazigh, comme preuve.
Le combat pour la langue et culture amazighe, se joue dans les librairies et par nos poches.

Comme je l’avais dit, un jour, à un « militant » que j’avais croisé à Alger, qui s’était soûlé parce qu’on avait empêché un honorable ancien combattant de faire son discours en amazigh, lors d’une conférence organisée à Tizi-Ouzou (en plus !) :
-Si tu es contrarié et choqué par cela, c’est simple, il te suffira d’aller dans la librairie d’en face et acheter un livre amazigh. »
Au lieu de faire comme je lui avais dit, il préféra aller dans le prochain bar pour s’y soûler encore plus.
Promouvoir le livre amazigh, c’est faire survivre notre langue et la transmettre aux générations futures. C’était le message, clair et net, de Feu Mouloud Mammeri.

Le prix d’achat d’un livre ne vaut pas le prix d’une vie, des vies sacrifiées par les militants (tes) et martyrs (yres) de cette noble cause.
La langue amazighe, les auteurs et les éditeurs ont besoin de vous, de nous. Pour reprendre le slogan de Coluche et des Restaurants du Cœur. Soyons des acheteurs et lecteurs de cœur. Pour notre langue. A bon entendeur, azul.
Amazighement vôtre, l’Ambulancier de la langue amazighe,

S M

* La première B.D et en amazigh créée par mon cousin Moh-d’où-Salem Medjeber, que j’imprimais chez moi avec la participation de mes compagnons de combat dont les défunts Mohamed Haroun et Mokrane Roudjane. Elle se vendait en cachette, de mains en mains, en Algérie.
Un jour mon voisin de palier me proposa de la lire et je lui avais dit, secret oblige, qu’elle ne m’intéressait pas. Il me dit alors : – Tu me déçois Smaïl. Tu n’es plus celui que je connaissais, un passionné de littérature, de bouquins, de revues et même de notre langue. »
** Une jeune auteur s’était confié à moi : elle avait vendu ses propres bijoux prévus pour son mariage, afin de payer les frais de publication de son petit ouvrage. Et ce, à l’insu de ses parents.

SIWEL 22 1653 OCT 13

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