TIZI-WEZZU (SIWEL) — « Nous avons fait un long chemin avant d’éprouver le besoin, depuis les origines, de retrouver nos racines au lieu de nous tourner le dos comme autrefois ou de nous dénigrer, les uns les autres, tout en niant notre existence en tant que peuple, culture ou civilisation. Au moins toi, condamné à mort, tu as donné la preuve que tu es digne de Jugurtha ».

 

Par Smaïl Medjeber

“Cher frère;

…Ta lettre si émouvante qui, pour moi, représente non seulement une prise de contact mais un appel ou, plutôt, une réponse à un appel de la pensée et du cœur que je ne cesse de lancer depuis ma tendre enfance.
Il y a, en nous, tant d’espaces à combler, de contraintes à effacer comme de mésententes à conjurer. Il est temps, c’est vrai, de nous rencontrer, de nous voir en profondeur et, surtout, de nous comporter en frères, car le temps passe et nous n’avons plus beaucoup de temps pour sauver ce qui doit l’être.
Nous avons fait un long chemin avant d’éprouver le besoin, depuis les origines, de retrouver nos racines au lieu de nous tourner le dos comme autrefois ou de nous dénigrer, les uns les autres, tout en niant notre existence en tant que peuple, culture ou civilisation. Au moins toi, condamné à mort, tu as donné la preuve que tu es digne de Jugurtha.

A ce propos, j’ai eu l’insigne “tristesse” de visiter, à Rome, le lieu où il avait vécu captif et crevé de faim… dans la même cellule où, enchaîné tout comme lui, Vercingétorix, le Gaulois, avait péri. Deux colosses de l’histoire qui servent de jalons sur le chemin de la liberté.
Voici ce que j’en pense frère… toi que je connais sans t’avoir jamais vu parce que de toi émane le même écho que celui que j’essaie de faire répercuter…”
Cette lettre que m’a adressée M. Mahdjoubi Aherdan, un grand militant de la cause identitaire et culturelle amazighe au Maroc, m’a, je dois l’avouer, incité, encouragé, au sortir de mon calvaire carcéral, à reprendre mon combat. Et c’est, modestement, en hommage à ce grand frère, que j’ai choisi de reprendre tel un flambeau, le titre « Amazigh » de la revue fondée par lui au Maroc.

Certes, j’ai rêvé depuis bien longtemps d’un projet : fonder une maison d’édition au service exclusif de la langue et de la culture amazighes.
J’étais et je le suis toujours, persuadé que seule l’édition des œuvres amazighes, sous toutes les formes, permettront à notre langue et à notre culture de survivre, de se développer et d’être réhabilitées.
Pour ce faire, le beau et ambitieux projet en tête mais les poches – hélas ! – vides, j’ai sollicité l’association de quelques nantis. En vain…
Déçu mais non découragé, à défaut d’une édition multiforme, pleine et entière, à défaut de capital donc, j’ai fondé les Editions Tizrigin Yuba Wissine (du nom du roi amazigh Juba II) et créé, sans aide aucune, ce modeste bulletin de communication destiné à la promotion, à la connaissance de la langue, de la culture, de l’histoire, des traditions, de l’identité et des mouvements de luttes amazighes.

La création d’Amazigh Bulletin de Communication est également une revanche personnelle sur le pouvoir inique, dictatorial algérien de l’époque noire des années postindépendance, lequel pouvoir outre qu’il détenait le monopole absolu de l’édition, interdisait la reconnaissance et la promotion de la langue amazighe. Ce qui nous obligeait, moi, les défunts Mohamed Haroun et Mokrane Roudjane, ainsi que Hocine Cheradi et d’autres camarades de lutte, à publier clandestinement, à Alger, des bulletins tels : Ittij (Le soleil), Taftilt (La lampe)…
L’un des monstrueux exemples de cette répression fut la mise sous scellés du Fichier de Documentation berbère fondé, en Algérie, par feu le Révérend Pére Jean-Marie Dallet, auteur de nombreuses recherches sur la langue et la culture berbère dont deux dictionnaires, pour le seul motif que les services de la répression militaire ont trouvé chez moi les publications de ce Fichier.

La déclaration de guerre ouverte du pouvoir algérien contre la langue amazighe s’est “illustrée” par la suppression de l’unique cours de langue amazighe que donnait feu Mouloud Mammeri à la Faculté d’Alger (1 heure par semaine !).
Et, comble de tout, en mars 1980, l’interdiction d’une conférence sur la poésie amazighe ancienne que devait donner Mammeri…
Nous ne le rappellerons jamais assez que la génération de militants précurseurs qui se retrouvaient, de ce fait, entre le marteau et l’enclume, entre la dictature omniprésente du pouvoir algérien et le terrain culturel en friche voire désertique hérité de nos ancêtres, a payé un lourd tribut pour sa résistance et sa révolte.

Bien-sûr, le diabolique pouvoir algérien ne rate jamais l’occasion de “diaboliser”, terroriser, persécuter et d’assassiner les militants de cette langue amazighe.
Sortir de cette infernale, indésirable, indésirée et insupportable clandestinité était mon leitmotiv : être inscrit au registre de commerce, être déclaré aux impôts, avoir pignon sur rue, écrire, imprimer, publier, distribuer, lire librement est, pour moi, de même que pour tous les militants de ma génération, une ineffable victoire sur le système oppressif et répressif algérien.

Quel bonheur de faire, à chaque parution d’Abc Amazigh, le dépôt légal à la Bibliothèque nationale, à Alger ! Quelle immense victoire !
Les grandes peurs que nous avons vaincues, ce sont la sortie de l’anonymat et la publication même des photos des auteurs, sur les “une” et dans les pages intérieures d’Abc Amazigh. Une manière d’exorciser les démons qui nous gouvernent. A noter également la participation féminime à visage découvert.

L’autre grand acquis, grâce à cette modeste publication, chemin – très difficilement – faisant, c’est l’adhésion militante, pionnière et généreuse d’acteurs économiques algériens, par le biais des pages publicitaires et du sponsoring des concours culturels que j’ai organisés : Laboratoires Sapeco – Venus Cosmétiques, Limonaderie Djurdjura, Limonaderie Hamidouche – Ithri, Laboratoire Laboref, G.t.a, Cevital, E.s. Batna, Imprimerie Hasnaoui, Vague de Fraîcheur, Sidesal, Abc Computer, Alpha Transit, Kabimex, A.s.f.a.m., Prodiglace – Magic – Glace, S.a.l.a.m., P.c. Plus Computer Algérie, l’Entreprise Egbase, le Cabinet de Comptabilité et de Gestion Sehad, et, pour la première fois, une entreprise nationale, l’Enap, avec, en première exigence de leur part, que leur slogan publicitaire soit traduit en amazigh ! Jetant, ainsi, les bases fondamentales et légales d’une stratégie socio-économico-culturelle, association vitale pour notre langue et culture.
La revue Abc Amazigh s’était bien faite connaître et appréciée par la presse nationale, et ce, à chaque parution. Certains quotidiens m’avaient même offerts gracieusement et généreusement des pages de publicités. Je les en remercie tous infiniment.Voici quelques extraits d’appréciations :
“Le contenu scientifique de ce bulletin – dirigé par Smaïl Medjeber, l’un des pionniers de la revendication de l’identité amazighe de l’après-indépendance de l’Algérie – confirme qu’aujourd’hui, il ne s’agit pas plus de réhabiliter l’amazigh, mais de produire cette langue… Cet éventail ouvert prend en charge avec bonheur – ce qui est rare dans ce genre de revue spécialisée – la tri culturalité des lecteurs auxquels la revue s’adresse : le français, l’arabe et l’amazigh se solidarisent pour développer, sans aucune susceptibilité culturelle la question majeure de l’écrit amazigh. ” Le Matin, 09/04/1996. “A distance des sirènes politiciennes : OUF ! Voilà une revue qui aborde la question de la langue amazighe sans se laisser aspirer par les sirènes politiciennes…Cette revue mensuelle de recherche linguistique, scientifique et littéraire, qui en est à son dix-septième numéro, fait une digression au pays de Galles pour nous parler des langues secondes dans les communautés bilingues ou plurilingues. On y trouve aussi une évaluation de trois années d’enseignement de l’amazigh dans des classes pilotes algériennes. Le bilan n’est ni glorieux ni désastreux. Beaucoup reste à faire à tous points de vue, notamment au plan du statut de la langue. C’est dit sans surenchère ni passion excessive. Si tous les numéros sont conçus dans cet esprit, assurément la revue Abc Amazigh a choisi la voie du débat d’idées, de la construction. La plus sûre. ” (D. H.) Libre-Algérie n°13, 1 – 14/3/99.

“Abc Amazigh que dirige l’infatigable Medjeber n’arrête pas de nous surprendre. Agréablement s’entend… Dans l’ensemble, Abc Amazigh se maintient. Avec peu de moyens, cette revue ne se laisse pas abattre par un environnement hostile. Que la résistance continue !” (A.L) Libre-Algérie n°33, 6-19/12/99
Même la télévision d’Etat lui a fait la pub, dans un journal télévisé, en affichant en plein écran la “une” du numéro 30 qui venait de paraître, avec pourtant un gros titre ultra osé : Le cahier de classe amazigh qui fait trembler royaume et république !
ABC Amazigh a servi également de relais en portant les messages culturels contenus dans d’autres publications qui paraissaient au Maroc, telles : Tifinagh, Tifawt…

La revue ABC Amazigh née en 1996, ne vivra que quarante numéros et deux hors-séries. Elle rendra l’âme en 2001. A cause, forcément, du défaut de lectorat donc de rentabilité. Hélas !
La réédition en France chez L’Harmattan, en deux volumes, d’une sélection de textes publiés auparavant, a retranscrit mon expérience éditoriale en Algérie. Une réédition appréciée par M. Bertrand Delanoê, le Maire de Paris en ces termes : « En retraçant l’histoire d’ABC Amazigh, vous témoignez utilement pour une revue qui fut un vecteur remarquable de la réflexion et de la culture berbères. Que cette expérience précieuse puisse nourrir demain de nouvelles espérances ! »

C’est aussi l’occasion de rappeler mon défi pour un millier de lecteurs de la langue amazighe, lancé à l’adresse des militants. La langue amazighe cherche, toujours, ses lecteurs et lectrices désespérément.
La création, récemment, d’un blog dont le nom est similaire à celui de la revue : Amazigh Blog de Communication, le mot « Blog » remplaçant le mot « Bulletin », est une opportunité. Plus : une résurrection aprés sa disparition. Et ce, afin de faire, un tant soit peu, revivre cette revue, les moyens de l’internet aidant. Avec la même ligne et rigueur éditoriale bien sûr.
Dans ce blog, il y a et il y aura – parce qu’il est encore en construction – différentes rubriques et des thèmes variés et riches : Histoire, Mémoires, Hommages, Littérature, Bibliothèque, Arts plastiques, Cinéma, Théâtre, Musique, Proverbes, Humour… Des rééditions et des actualités. Et ce, afin de faire le mieux et le plus possible connaître notre langue et notre culture. Vos contributions et avis y seront les bienvenus. Faisons, ensemble, de ce Blog, un bloc de béton, voire, mieux, un bloc d’Or.

Voici le lien direct de connexion à ce blog : http://amazighblogcommunication.wordpress.com
Le blog comprend aussi des vidéos dont voici des liens : www.youtube.com/embed/4HKNSEIHLeA ou bien : http://www.youtube.com/watch?v=4HKNSEIHLeA (Aperçu) Je vous y invite tous et toutes. Invitation à partager avec vos contacts et vos amis (ies).
Vous y êtes, tous et toutes, les bienvenus (es). En plus, c’est gratuit !
Amazighement vôtre,
Smaïl Medjeber ([email protected] )
P.s : Je remercie d’avance tous ceux qui publieront ce texte dans leurs sites. Je remercie aussi infiniment d’avance ceux qui accepteront d’insérer, continuellement, dans leurs sites le lien de mon Blog. Ce que je ferais pareillement. Solidarité oblige.

S. M
SIWEL 06 1705 NOV 13

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