PISE (SIWEL) — C’est avec une aménité que Dahmane MAZED, un chercheur kabyle à l’Université italienne de Pise, a accepté de répondre aux questions de Siwel, pour dévoiler une des premières expertises mondiales dans le secteur thermonucléaire.
Dahmane MAZED : Notre recherche fait partie du projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), que j’avais intégré en Novembre 2013. Notre équipe de recherche de l’Université de Pise en Italie est impliquée dans une palpitante aventure, suscitée par l’éternelle fascination de notre étoile du jour, le soleil.
Concrètement, le projet ITER consiste à la construction du premier réacteur expérimental, de production et d’exploitation d’une nouvelle forme d’énergie: L’Energie de fusion thermonucléaire, exactement comme celle que nous recevons quotidiennement du soleil sous diverses formes : chaleur, rayonnement et lumière. Il s’agit de créer artificiellement sur terre une "goutte microscopique" (plasma de fusion thermonucléaire) du soleil sur terre.
Notre tâche principale primordiale dans ce vaste projet consiste à concevoir, étudier et réaliser une installation expérimentale à échelle réduite. En Effet, il s’agit d’une première étude mondiale de la condensation de la vapeur d’eau surchauffée, en contact direct avec de l’eau dans des conditions du vide. C’est ainsi que le 17 février dernier nous avions effectué avec succès le commissionning de l’installation expérimentale bourrée d’instrumentation unique en son genre. Elle a été étudiée, conçue et projetée pour éprouver la fonctionnalité du VVPSS (Vacuum Vessel Pressure Suppression System), un système de sûreté du réacteur ITER conçu pour sauvegarder l’intégrité du réacteur, au cas où surviendrait un accident du type ICE (Ingress of Coolant Event). Un événement accidentel hypothétique mais qu’on ne peut raisonnablement écarter, consiste en la brusque rupture d’une conduite de caloporteur, le fluide (eau) de refroidissement des matériaux de structure à l’intérieur, l’enceinte de vide du Tokamak, où se déroule la réaction de fusion thermonucléaire, extrêmement exoénergétique, et au centre de laquelle règne des températures de plusieurs millions de degrés Kelvin. Pour éprouver ce système de sûreté, il y a lieu donc de reproduire rigoureusement, en échelle réduite, la séquence accidentelle simulant l’ICE et ce, dans les mêmes conditions prévues pour le fonctionnement du VVPSS d’ITER.
Quels sont vos moyens financiers ?
Dahmane MAZED : Depuis 1988 à juin 2005, le projet ITER initialement muri et promu par l’Agence Internationale à l’Energie Atomique. Le 21 novembre 2006, les représentants de la Chine, de la Corée du Sud, des États-Unis, de l’Inde, du Japon, de la Russie et de l’Union Européenne ont signé un accord final sur la construction d’ITER à Paris. Cadarache, une ville située au sud de La France, a été choisie pour accueillir le site d’implantation du Réacteur ITER sur une superficie qui s’étend sur plus de 180 hectares, dont la phase de réalisation devrait durer jusqu’à 2019. Le cout global du projet est pour l’instant estimé à plus de 20 milliards d’Euros étalé sur une durée de 40 ans. Actuellement, il est financé et géré par une organisation internationale dénommée "ITER International Organization" dont le Siège Social est domicilié à Tokyo au Japon. L’équipe de l’Université de Pise, participe à ce projet au titre de la contribution italienne, à l’instar d’autres groupes d’universités et organismes de recherche italiens spécialisés dans d’autres domaines.
Pouvez-vous nous dévoiler les membres de votre équipe ? Quelle est la position que vous occupez au sein de cette équipe ?
Dahmane MAZED : Le groupe des chercheurs de Pise qui prennent part à ce projet est encadré par des professeurs émérites, de notoriété internationale tels le professeur Francesco D’Auria, Professeur Donato Aquaro (Responsable du groupe et directeur du Département DICI), Professeur Marino Mazzini etc… Pour ma part, je suis responsable scientifique au sein du groupe. Précisément, mon rôle consiste à définir les paramètres du projet, le cahier des charges de l’installation ainsi que les conditions opératoires et critères de sûreté durant la phase de conception et de réalisation de l’installation, et pour la phase exécutoire, je suis chargé de l’implémentation du plan qualité et de veiller à ce que toutes les activités et mesures s’y conforment rigoureusement, la planification et le suivi d’exécution des testes d’expérimentation et d’acquisition et le traitement des données, la présentation et l’analyse préliminaire des résultats et, enfin, la rédaction des documents techniques et rapports publiables. Toutes ces phases achevées et celles qui seront exécutés en stricte conformité au plan de qualité requis par ITER/IO.
A votre avis, Qu’est ce qui a amené à la réussite de ce projet ?
Dahmane MAZED : Je crois qu’il est encore prématuré de parler de réussite d’un projet qu’on vient à peine d’entamer. Cependant, si nous considérons pour l’instant uniquement le défi de concevoir et de faire fonctionner une installation expérimentale capable de reproduire les conditions exactes de fonctionnement, de sureté VVPSS système en grandeur réelle, notre première phase, je vous l’accorde, est auréolée d’un succès éclatant. Les journaux locaux avaient largement médiatisé la prouesse. Cela nous a d’ailleurs valu des compliments élogieux des responsables d’ITER/IO qui pensent d’ores et déjà à nous confier le futur projet de réplique à pleine échelle (1 :1) du simulateur du système VVPSS, prévu pour équiper ITER.
Ce succès, bien que partiel je le répète, est surtout le fruit de l’engagement dévoué et l’abnégation de l’ensemble des membres du groupe, ingénieurs et techniciens, qui ont travaillé sans relâche sur ce projet pour le mener à terme et qui continuent de le faire toujours avec la même détermination, sans jamais douter de leurs capacités, afin de relever les défis futurs. Je saisis justement l’opportunité que vous m’offrez, pour saluer ici leur abnégation exemplaire !
Pouvez-vous nous décrire brièvement votre parcours ?
Dahmane MAZED : Mon parcours n’a absolument rien d’extraordinaire. Je suis un produit de l’école kabyle. J’ai acquis toute ma formation académique en Kabylie. A 23 ans, après l’obtention du diplôme de fin d’études du deuxième cycle (DES en physique), option de physique des rayonnements, j’avais rejoint Paris en 1987 pour m’inscrire au troisième cycle en Astrophysique et techniques Spatiales, à l’Université Paris VII et l’Observatoire de Paris. Ensuite, je suis rentré en Algérie lors du lancement de son programme nucléaire en 1991. J’ai travaillé pendant 10 ans à Commissariat Algérien à l’Energie Atomique (HCR à l’époque), pour constituer un noyau de recherche au niveau d’un centre de recherche nucléaire dans la région de Ain-Ousséra. En 2002, j’ai quitté l’Algérie pour rejoindre l’Université de Pise. Institution à laquelle je suis rattaché jusqu’à ce jour.
Comment êtes-vous arrivé à l’université de Pise ?
Dahmane MAZED : c’est après l’obtention d’un concours, que j’ai atterri à l’université de Pise. Avec d’une part le climat politique délétère que nous avions traversé durant l’éclatement du printemps noir kabyle, particulièrement, l’historique marche kabyle du 14 Juin 2001 à Alger et ses désastreuses conséquences que tout le monde connait. Et d’autre part, en conjonction avec certains événements décisifs d’ordre strictement personnels, j’ai été sournoisement poussé vers la porte de sortie de cette institution de recherche. Je me suis subitement senti vraiment étranger, tel un coopérant technique, dans ce que je considérais naïvement à l’époque être mon propre pays. Entre temps, ma détresse ne fut pas si longue, car par un heureux hasard, un professeur italien de l’université de Pise, responsable du laboratoire auquel je suis rattaché actuellement, ayant pris connaissance de mes travaux que je publiais sur les détecteurs nucléaires, m’avait proposé de rejoindre son propre laboratoire afin d’y préparer sous sa direction un PhD en sûreté nucléaire et industrielle. Ainsi, vu la précarité de la situation dans laquelle je me retrouvais à l’époque, vous comprenez bien que je n’avais pas mis une éternité pour arrêter ma décision. Avec le recul, si j’éprouve aujourd’hui encore beaucoup d’amertume d’avoir été contraint à l’exil, de quitter subitement ma Kabylie natale, ma mère patrie qui traverse sans doute l’épisode le plus dramatique de toute son histoire séculière, mes valeureux amis et mes ex-collègues que j’ai laissé seuls se débattre là-bas, en revanche du point de vue expérience personnelle, je ne pense vraiment pas avoir fait le mauvais choix. Mais en avais-je vraiment un ?!
Aujourd’hui, quels sont vos ambitions et vos projets pour l’avenir ?
Dahmane MAZED : Dans quelques jours, nous allons effectuer (mon équipe et moi) un programme expérimental tracé, en exploitant d’une manière optimale les performances uniques de l’installation que nous venons de mettre au point au sein de notre laboratoire. Pour le moyen terme, nous devons nous préparer efficacement à concourir pour l’attribution à l’Université de Pise du projet de réplique pleine échelle du système VVPSS d’ITER. A plus long terme, j’espère pouvoir collaborer dans un autre projet MYRRHA, un réacteur de fission classique à neutrons rapides, système hybride du type ADS piloté par un accélérateur de protons. Un projet tout aussi innovant et grandiose qu’ITER, initié et dirigé par un compatriote kabyle, le professeur Hamid Ait Abderrahim, physicien nucléariste de notoriété internationale en ce domaine. Il est directeur du Centre d’Energie Nucléaire de Mol en Belgique (CEN-SCK) et avec lequel je suis en contact permanent.
Nous caressons l’espoir de pouvoir donner la mesure de ce que le know-how kabyle peut produire et accomplir comme prouesse technologique, lorsque nous lui donnons la liberté de son expression et des moyens financiers adéquats.
Quel est votre conseil pour les kabyles d’aujourd’hui ? Quelles sont vos attentes pour la Kabylie de demain ?
Dahmane MAZED : Aujourd’hui, la Kabylie est le parent pauvre du bassin méditerranéen. Mais elle est riche en valeurs, en potentialités humaines remarquables, mondialement reconnues et appréciées. Elle possède tous les attributs qui lui permettent d’ériger son propre Etat et insuffler du sang nouveau à la culture méditerranéenne et universelle. Pour l’instant, ses enfants n’ont pas pris conscience de ce dogme. En attendant, mon conseil se résume en quelques mots : Vous pouvez remettre tout en question, mais gardez-vous, ne serait-ce qu’un fugace instant, de douter de votre propre identité, de votre héritage ancestral et patrimoine culturel, de vos capacités intrinsèques, de votre intelligence… Ne sous-estimez pas votre savoir et vos connaissances devant ceux d’autrui, aussi indigentes que vous puissiez penser qu’elles soient, il n’empêche qu’elles demeurent universelles. Aussi, attachez-vous toujours à les mettre en pratique, à donner corps à toutes les idées sous-jacentes qui traversent votre imagination, et dites-vous toujours que votre liberté, votre bien-être est juste au bout du labeur, au détour d’un chemin escarpé. Aujourd’hui, la Kabylie, notre mère patrie à tous, attend plus de nous que nous puissions attendre d’elle. Mais, disons-nous le, un jour, un beau jour, la mère patrie refleurira et nous le rendra en bien à profusion, car jamais la Kabylie n’a déçu, abandonné ou trahi ses propres enfants et ce des siècles et des siècles durant.
Entretien réalisé par Thiziri M.
SIWEL 122214 MAR 15