CHRONIQUE (SIWEL) — Pour punir Sisyphe qui avait déclenché leur colère parce qu’il avait osé les défier, les dieux de l’Olympe le condamnèrent à faire rouler un énorme rocher jusqu’en haut d’une montagne. Cependant, une fois au sommet, Sisyphe n’avait pas trouvé de place où bloquer son rocher qui menaçait sans cesse de retomber. Sisyphe s’y était accroché et tentait encore et encore de le faire remonter, perpétuellement.
Sisyphe est comme le berbériste d’aujourd’hui qui s’obstine vaille que vaille à hisser son identité jusqu’au sommet de l’Etat algérien qu’il considère le sien et qu’il sait pourtant définitivement établi dans la sphère arabo-islamique. Il s’acharne dans une lutte qu’il faut toujours recommencer pour un résultat nul ; un gaspillage d’énergie avec ses risques, ses périls et ses désespoirs ; un combat dont le prétexte du bon goût se transforme à chaque fois en sentiment de tristesse, de déception, de découragement et surtout, d’absurdité. Un labeur stérile qui n’aboutira à rien de positif ; un combat désormais vain de sens dans un pays obscurément incertain où le citoyen se fanatise à vau-l’eau. Par le jeu maléfique d’une démocratie de façade, les tenants du régime algérien conjurent le berbériste dans ses efforts en lui assignant l’insupportable difficulté de remonter au sommet la roche croulante qu’est la plateforme de ses revendications à chaque fois qu’il a l’illusion d’y arriver.
Bien sûr, dominer le Kabyle n’est pas tâche aisée, avouaient, képis baissés et chèches défaits, les conquérants qui s’étaient succédés. À leur corps défendant, ils s’étaient tous démarqués de la folle ambition de le gouverner en toute quiétude. Néanmoins, s’il a libéré l’Algérie du joug colonial français, cela n’empêche pas les mauvais traitements qui lui sont réservés de se durcir davantage chaque fois que sa voix se fait entendre dans une Algérie algérienne, avec ou sans vernis arabomusulman.
À quelques exceptions près, la haine du Kabyle est la cause commune de tous ceux qui se disent Arabes en Algérie. La réalité ne doit pas être masquée par de tristes prétentions qui ne génèrent aucune conséquence heureuse ni à celui qui les traine ni à la Kabylie qui les subit. De grâce, libérons-nous de l’aphorisme déroutant qu’on nous a inculqué comme un décalogue d’une réalité cruciale que l’algérien est Arabe parce que Musulman. D’où la débile déduction de Malek Benabi : nous sommes des Berbères arabisés par l’Islam ! Et s’ensuit l’honteuse déposition d’un renégat de service comme Belaid Abdeslam qui crut utile de rajouter : « je suis arabe parce que je suis Kabyle ! ». Qu’on ne se méprenne pas. Si le choix leur serait imposé, les Algériens qui se veulent Arabes – qu’ils se disent démocrates ou laïcs- opteront pour une Algérie arabe quand bien même elle serait chrétienne et combattront, haine en pompe, une Algérie berbère, quand bien même elle serait musulmane. Quoi que pensent nos vieux militants qui nous reviennent habillés du bleu de chauffe.
Pendants nos luttes passées dans les années 80, nous nous acharnions dans le combat berbériste avec l’idiote conviction que seuls les tenants du pouvoir refusaient l’idée d’une Algérie berbère. Nous nous disions que le travail ardu de Benbella et de de Boumediene d’arabiser la conscience du peuple algérien ne pourrait aboutir. Nos bonnes volontés de crédules prenaient le dessus sur toute expression de lucidité et nous incitaient à militer sans répit pour, pensions-nous, arriver à sortir le peuple algérien de sa léthargie. Qu’il n’y avait pas d’arabes en Algérie, qu’il n’y avait que des berbères arabisés et tôt ou tard, ils reviendront à leurs racines ! Comme l’avait dit Ferhat Mehenni dans sa « Lettre aux jeunes Kabyles : « la force d’une conviction écrase toutes les preuves de sa réfutation ! »
Le constat est amer : la damnation est complète. Au final, l’arabisation de la conscience algérienne est scellée et non négociable. Le premier indice a été cinglant, le jeudi 3 mars 1983, lors des demi-finales de la coupe d’Algérie de football où la JSK rencontrait le Mouloudia d’Alger. Les arabophones de tous les secteurs d’Alger avaient été chauffés à blanc et s’étaient donné la main pour huer violemment le Kabyle. La Kabylie venait d’être rejetée de la nation algérienne encore inconnue. À la sortie d’Alger, sur les panneaux routiers indiquant la direction de Tizi Ouzzou, on rajoutait Tel Aviv, comme pour spécifier au Kabyle qu’il est à jamais répertorié suppôt des Juifs. Il n’était plus question d’une rencontre sportive entre deux clubs d’un même pays mais d’une croisade lancée contre la Kabylie. La haine du Kabyle faisait le plein dans les rangs du Mouloudia et ses supporters seront nommés plus tard » Chnawa » (les chinois) en référence à leur nombre.
Le 26 mars 1991, le gala à la salle Atlas d’Alger du chanteur Ait Menguellat, poète connu pour sa quiétude et sa tranquillité, avait été taché de sang par des intégristes sous prétexte que le poète n’était pas musulman. Pourtant, dans la même salle, deux jours avant, le poète arabe Adonis, connu pour son athéisme militant, n’avait en aucun moment été inquiété.
Le 14 février 1989, juste quatre jours après la naissance du RCD, Saddam Hocine déclarait qu’un parti pro-sioniste venait de naître en Algérie. Apres l’invasion du Koweit par l’Irak, le 16 janvier 1991, les forces de la Coalition dirigées par les États-Unis interviennent et le RCD se retrouve dans des marches de soutien au même régime qui souhaitait sa mort. Les Islamistes soutenus par des millions d’Algériens manifestaient, colère à déraison, leur soutien à un Saddam qu’ils connaissaient laïc et ces mêmes islamistes et ceux qui les soutiennent toujours avaient exprimé la même couleur de colère criminelle contre un RCD. Ce n’était donc pas parce qu’il était laïc mais parce qu’il était né en Kabylie.
N’est-ce pas qu’un dirigeant irakien, Tarik Aziz – de son vrai nom Tarek Hanna Mikhaïl Issa, de confession chrétienne chaldéenne – déclarait le 19 mars 1992 que Hocine Aït Ahmed « qu’il respectait » commettait l’erreur de s’exprimer dans une autre langue que l’arabe ?
L’heure des taches précises résonne partout ailleurs, c’est le temps des nationalités. Le terrorisme, les religions, les guerres, les viols, les mises à mort, les tortures, les génocides, les crédulités, les souffrances, les horreurs, les inégalités, le délire, l’arbitraire, les darses d’insultes sont dans le camp de ton ennemi, camarade berbériste. Ne les assume pas. Aucune force ni forfaiture n’est capable aujourd’hui d’entraver la projection dialectique de la Kabylie vers l’avenir. Et, s’il te plait d’enfiler des perles dans un travail bénédictin à la gloire des autres, tes césures à perpète les oies ne font que te bivouaquer, mon frère berbériste, voire autonomiste, dans une rhétorique inféconde comme une ventouse sous le rocher de Sisyphe.
Djaffar Benmesbah
SIWEL 091913 FEV 17