LA KABYLIE SOEUR D’ISRAËL
Interview de Ferhat Mehenni par Bernard Koch :
Ferhat Mehenni, Président du Gouvernement provisoire kabyle en exil : « De retour d’Israël, la Kabylie, à travers ce geste, réaffirme sa propre souveraineté par rapport à elle-même »
Cette Kabylie, cette région montagneuse tout au Nord de l’Algérie, au bord de la Méditerranée, n’en finit pas, depuis près de deux siècles de réclamer, haut et fort, son indépendance. De vouloir se défaire de sa tutelle, l’Algérie. Etat qui dès sa décolonisation, n’a cessé de malmener cette région, de maltraiter ses habitants, les Kabyles.
« Liberté pour la Kabylie, éternité pour Israël ». C’est ce que Ferhat Mehenni a déclaré au quotidien israélien de langue anglaise, The Jerusalem Post, durant la visite qu’il vient de rendre, non sans un certain enthousiasme, à l’Etat d’Israël.
Vif opposant au régime actuel algérien d’Abdelaziz Bouteflika, Ferhat Mehenni, le Président du Gouvernement provisoire Kabyle y est interdit de séjour, tout en étant menacé à l’extérieur. Plus déterminé que jamais, il continue à traverser la planète pour que la cause d’une Kabylie libre, indépendante, laïque et non arabe soit pleinement entendue et partagée à travers le monde.
C’est en Israël où la cause Kabyle a reçu, à ce jour le meilleur écho, le plus sûr soutien.
De retour de ce voyage au pays de Canaan, du 20 au 24 mai 2012, Ferhat Mehenni a bien voulu accepter de répondre à mes questions :
La Kabylie ne se sent pas partie intégrante du monde arabo-musulman. Elle s’y refuse au nom de son identité et de ses valeurs. Un intellectuel vient de donner sur un site internet la conclusion de cette visite, et selon laquelle "la Kabylie n’est pas prête à rendre les armes". Disons qu’elle n’acceptera jamais d’être soumise. La Kabylie, à travers ce geste, réaffirme sa propre souveraineté sur elle-même. Nous préférons cultiver l’amitié entre les peuples à la place de la haine que l’on prête, à tort ou à raison, à cette nébuleuse arabo-musulmane.
Quel était le but de cette visite ? Le message que vous vouliez transmettre ?
Notre objectif était une simple prise de contact. Israël a son siège à l’ONU, contrairement à la Kabylie du fait d’une injustice historique qu’elle cherche aujourd’hui à réparer. Nous voulons nouer des relations d’amitié entre nos deux peuples, kabyle et Israélien.
Nous cherchons aussi des soutiens politiques et diplomatiques en mesure d’inscrire la question kabyle à l’ordre du jour de l’ONU.
Quelle importance donnez-vous à cette visite ? Qui avez-vous rencontré ? Comment avez-vous été accueilli ? Qu’attendez-vous de cette visite ?
Nous avons rencontré le Vice Président de la Knesset M. Danny Danon, des responsables au ministère des Affaires Etrangères chargés des dossiers nord-africains, et au niveau ministériel par le Ministre des Infrastructures, M. Uzi Landau. Nous attendons de cette visite une meilleure connaissance de la Kabylie de la part de nos partenaires israéliens et le développement de notre coopération culturelle et politique entre nos deux gouvernements et nos deux peuples.
Comment a été reçu cette initiative dans la communauté kabyle que vous représentez ? Avant et après votre voyage ?
La Kabylie respire enfin : cette visite est vécue par le citoyen kabyle comme une délivrance. Le peuple kabyle en est heureux et espère que cela ne va pas s’arrêter à un simple formalisme protocolaire. De notre côté, nous avons des projets. Etant donnée la qualité de l’écoute de la part de nos interlocuteurs, je peux affirmer que l’horizon est souriant.
"LA RECONNAISSANCE D’ISRAËL PAR LES PAYS ARABES FERA TOMBER LES TENSIONS ET REGLERA LA QUESTION PALESTINIENNE"
Quelle(s) observation(s) faites-vous de ce pays ? A la suite de votre visite qu’auriez-vous à dire à ceux qui s’en prennent à Israël, qui jugent de façon unilatéral le conflit israélo-palestinien ? Vous-même, votre communauté, avez-vous un point de vue sur ce conflit ?
Israël est un pays très développé. C’est un modèle sur le plan économique. Ses investissements dans la recherche scientifique et dans des pôles d’excellence font de lui une nation en avance sur la plupart du reste du monde.
Concernant le conflit qui l’oppose au monde arabe, nous pensons que la reconnaissance d’Israël par ce dernier est vitale pour la paix dans la région. Elle fera tomber toutes les tensions et réglera du coup la question palestinienne.
Le moment est venu de vous demander quelles sont les relations qui existent entre Juifs et Kabyles, en France en particulier. On sait qu’elles s’appuient sur une Histoire commune. Peut-être pourriez-vous nous faire un bref raccourci de cette Histoire ?
Les Juifs cachés à la mosquée de Paris durant l’occupation nazie était le fait de Kabyles. La pratique du judaïsme s’est évanouie en Kabylie, mais les noms de clans, de familles et de villages demeurent toujours. Il serait bon d’engager des recherches universitaires pour en connaître la réalité et dessiner peut-être des perspectives. La Kabylie, en tous les cas, sacralise toutes les croyances et les respecte au plus haut point. Le serment le plus inviolable des Kabyles est de jurer "au nom de toutes les croyance".
En France, l’intolérance, l’incivisme et le refus de l’altérité dans certains quartiers nous inquiète et nous interpellent de la même manière que la communauté juive de France. Nous avons en commun l’attachement le plus fort aux valeurs de la république, loin de tout prosélytisme.
Propos recueillis par Bernard Koch
Voici la retranscription en kabyle puis en français du tract, rédigé en 1942 par le "groupe kabyle" des Francs-Tireurs et Partisans :
« AM ARRAC NNAGH
Id’elli di lefjer hebsen udayen n’ Paris
Imgharen am tilawin am arrac
Di lgherba am nukwni, d-ixeddamen am nukwni
D-atmaten nagh. Arrac nsen am arrac nagh
Ma yiwen yufa yiwen weqcic nni,
i’laq as yefk n nsib at isebar attaadi lmehna.
A yargaz n’tmurt nagh, ulik d-amuqran. »
« COMME NOS ENFANTS
Hier, à l’aube, les juifs de Paris ont été arrêtés,
Les vieillards, les femmes comme les enfants,
en exil comme nous, ouvriers comme nous, ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants.
Si quelqu’un d’entre vous rencontre un de ces enfants,
Il doit lui donner asile et protection, le temps que le malheur passe.
Enfant de Kabylie, ton coeur est grand »
C’est le réalisateur Derri Berkani qui avait retrouvé ce tract (dont SIWEL dispose d’une copie envoyée par M. Berkani) en 2005 chez un comptable à Draâ El Mizan, en Kabylie. Ce dernier l’avait récupéré parmi des papiers administratifs du propriétaire d’un bistrot, rue Château des Rentiers, dont il s’est occupé des comptes.
Derri Berkani qui avait réalisé un film de 26 minutes pour France 3 "“La Mosquée de Paris, une résistance oubliée" déclare : « Les FTP algériens étaient désignés sous le vocable de « groupe kabyle » par facilité de langage en usage chez les FTP qui utilisaient les groupes de langues, pour permettre une sécurité de transmission des consignes. L’immigration algérienne de Paris, à l’époque, était le fait d’hommes jeunes, seuls, d’origine rurale, essentiellement de Kabylie. Ils étaient aux deux tiers analphabètes, ils vivaient dans la misère, mais par le travail ils avaient intégré un autre univers, celui du monde ouvrier, du prolétariat. Ils avaient acquis une conscience prolétarienne dans les usines où ils travaillaient. Ils étaient tous syndiqués, et ils participaient à toutes les luttes ouvrières, aux grèves… Une fois la guerre venue, ils se sont engagés dans les Francs-Tireurs et Partisans (FTP) »
Derri Berkani relève que la démarche de la Mosquée de Paris et de son recteur Si Kaddour Benghabrit obéissait à des principes religieux, mais les FTP algériens, qui ont amené des juifs pour les mettre à l’abri, étaient des laïcs, des ouvriers. Leurs motivations n’étaient pas religieuses, elles ont concordé avec celles des dirigeants de la Mosquée. Les FTP avaient agi par « conscience prolétarienne ».
Les juifs étaient amenés à la Mosquée de Paris avec l’accord et le soutien de son recteur, Ben Ghabrit, le temps d’organiser leur passage vers la zone libre ou le Maghreb. Aussi, la Mosquée n’était pas un lieu de séjour, mais de passage.
wbw/bbi
SIWEL 302054 MAI 12