QUEBEC (SIWEL) — À l’occasion de sa tournée politique en Amérique du Nord, Ferhat Mehenni, président du Gouvernement provisoire kabyle (GPK), a répondu aux questions de Karim Akkouche.

 

«L’impérieuse nécessité d’indépendance de la Kabylie.»

Karim Akouche: Après une absence de trois ans, vous vous apprêtez à revenir en Amérique du Nord pour une tournée politique qui vous conduira jusqu’à Philadelphie et Washington D.C. Vous ferez une halte au Québec où vous animerez notamment une conférence à Montréal, le samedi 23 mai à 14 h, au Complexe William-Hingston. Le Québec, où vous comptez beaucoup d’amis et soutiens, vous a-t-il manqué?

Ferhat Mehenni : Ces trois ans d’absence sont dus à mon refus délibéré de reprendre un passeport algérien. Je suis de nationalité kabyle et il faut un État kabyle pour me délivrer un titre de voyage. Celui que je détenais jusqu’au 05/07/2012 m’était délivré en 2007 alors que je ne revendiquais qu’une autonomie régionale pour la Kabylie. La mise sur pied de l’Anavad (Gouvernement provisoire kabyle) le 01/06/2010 ne m’autorise pas moralement à revendiquer un passeport algérien. J’ai alors entrepris des démarches auprès des autorités françaises pour me reconnaître le statut de réfugié politique. Il a fallu trois ans de procédure pour que tout rentre dans l’ordre. C’est un vrai bonheur que de me retrouver de nouveau en Amérique. Mon attente pour bénéficier d’un nouveau passeport, sans être celle d’un détenu pressé que son jour de libération arrive, était insupportable. Enfin, il est là et c’est une victoire.

Par ailleurs, je m’excuse auprès de la communauté kabyle des États-Unis de ne pouvoir lui rendre visite cette fois-ci. Le temps qui m’était imparti pour avoir un visa n’était pas suffisant. J’y irai vraisemblablement à l’automne prochain pour faire un lever de drapeau kabyle devant le siège des Nations Unies. En attendant, je l’appelle à lever fièrement notre drapeau dans cette ville historique qu’est Philadelphie, le vendredi 29 mai à 18 h. Pour mon agenda au Québec, en plus des rencontres politiques avec nos amis, il y a, en effet, cette conférence sur « l’impérieuse nécessité d’indépendance de la Kabylie ».

Vous arrivez à une période charnière de l’Histoire des Québécois : en effet, Pierre-Karl Péladeau, un homme puissant et aux convictions souverainistes claires, tranchant avec l’ambigüité de quelques-uns de ses prédécesseurs, vient d’être élu chef du Parti québécois. Qu’est-ce que cela augure pour l’avenir du Québec?

L’homme que l’on désigne déjà par ses initiales (PKP) est vraisemblablement l’homme qu’attend le Québec depuis longtemps. Je suis sûr qu’il sera à la hauteur des défis qui attendent son peuple. Comme du courage, visiblement il n’en manque pas, je lui souhaite plus de chance que ses devanciers.

Le Parti québécois a essuyé un revers lors des élections qui ont suivi le débat sur la Charte de la laïcité. Vous qui défendez, entre autres, la laïcité et combattez l’intégrisme, le choix des Québécois d’avoir voté contre ce projet est-il une erreur ? L’élite a-t-elle failli ? Ou les politiques ont-ils mal expliqué le projet?

La laïcité est une valeur sûre dans laquelle, tôt ou tard, le Québec investira. Le contexte américain en général et québécois en particulier est celui de la liberté de conscience et du communautarisme. Le respect des religions et des identités est une donnée importante. Cependant, ce que les Occidentaux ignorent c’est le fait que l’islam, dernier venu chez eux, est animé de nos jours par des porteurs de haine à l’encontre de tous ceux qui ne sont pas musulmans. L’islamisme est violence. Il est pire que le nazisme. Il n’y a pas que les Juifs qu’il voudrait exterminer, mais aussi tous les chrétiens, tous les bouddhistes, les non-croyants… Il veut réduire en esclavage les femmes… J’ai bien peur que les attaques d’Ottawa ne soient que des coups de semonce et que le plus grave reste à venir !

Quant à dire qu’il y a rapport de cause à effet entre le débat sur la Charte de la Laïcité et les résultats électoraux du Parti québécois, je ne peux l’affirmer. Mais si de nombreux observateurs locaux en sont convaincus, il faudrait alors se rendre à l’évidence : le ver est déjà dans le fruit. Le démocratisme pervertit la démocratie que le manque de vigilance délite et anéantit.

Un peuple qui n’a pas voté pour ses propres valeurs – le projet de la laïcité était au départ baptisé Charte des valeurs québécoises – et qui, pis encore, a porté au pouvoir M. Philippe Couillard, un homme très proche du régime wahhabite d’Arabie saoudite, votera-t-il pour son indépendance?

Y aurait-il volonté de suicide politique collectif ? Non, je ne le crois pas. Le problème du souverainisme québécois est complexe. Il est à la fois juridique et politique et… numérique. Sa légitimité a du mal à se frayer son chemin dans un pays voué à une immigration continue, venant du monde entier. Il faut qu’il se (re)donne un socle juridique porteur. Sur le plan politique, démocratie ne rime pas avec unanimité et les intérêts des individus ont tendance à primer sur ceux de la communauté. Le projet souverainiste québécois a besoin de rassurer autant les anglophones que tous ceux qui ne sont pas francophones « pure laine ». J’en discuterai avec mes partenaires lors de nos rencontres.

En Occident, le camp des laïcs recule pendant que celui des multiculturalistes et communautaristes progresse. Partout, le politiquement correct gagne du terrain tandis que la liberté de parole en perd. Il ne se passe pas un jour sans qu’un libre penseur osant critiquer l’intégrisme islamique ne se fasse taxer d’islamophobe ou menacer. L’Occident a-t-il tourné le dos aux Lumières ? Vit-il son déclin ? Est-il malade ? Est-il dépressif ? Vit-il un désenchantement ? Si oui, comment le réenchanter ?

Le fait de parler d’Occident culpabilise moins les Québécois sur ce registre, puisque le phénomène est pan-occidental. Là, également, il faut remarquer que ceux qui ont fait le monde par la force et la colonisation ne se sont pas rendu compte de l’évolution qu’ils ont fait faire au monde. La terre s’est dérobée sous leurs pieds sans qu’ils s’en aperçoivent. Durban II montre que l’universalité des valeurs occidentales est entamée par les États qui s’accaparent de l’islam pour en faire leur base fondamentale.

Il serait bon que les élites occidentales prennent conscience que nous venons d’entrer dans un siècle identitaire. Le rêve d’une coexistence entre communautés est généreux. Les pays monde que sont ceux d’Amérique ont eu raison de sacraliser les principes de liberté et d’égalité devant la loi. Ils ne voient pas que les pays-monde qu’ils ont bâtis sont en passe de changer de nature humaine et religieuse. Tant que l’immigration était judéo-chrétienne, tout fonctionnait. Il n’y avait pas d’agents de la haine entre ses communautés. Avec l’ouverture sur le monde islamique, il y a l’islamisme qui s’y infiltre, en douceur dans un premier temps. Il commence par s’assurer des bases solides avant de partir à la conquête du pouvoir politique. Les élites occidentales, particulièrement celle de la gauche, sont d’une telle générosité qu’elles en sont aveuglées et anesthésiées. Elles ne voient aucun danger à l’installation solide de l’islam(isme) chez elles. Les penseurs et analystes qui décillent un peu sont considérés comme des ultras. Il y a perversion de la raison. Mais l’Occident s’en apercevra tôt ou tard. On ne combat efficacement le mal qu’une fois qu’on en a fait l’expérience.

Vous, dont le père révolutionnaire a été tué par les colons français durant la guerre d’Algérie, seriez-vous d’accord que, pour qu’il y ait paix et stabilité dans le monde, les peuples anciennement colonisés et les ex-colonisateurs devraient sortir de l’infernale équation repentance-culpabilité pour déchirer la page du passé et aller de l’avant?

L’histoire est à apaiser. La repentance qu’exigent certains pays de la France aurait eu un sens au lendemain des indépendances formelles. C’est surtout pour masquer les crimes qu’ils commettent aujourd’hui sur leurs « propres » peuples que les tenants de ces États tentent de dévier le regard vers ceux du passé colonial. C’est avant tout affaire de diversion. Raviver les douleurs du passé pour faire oublier celles lancinantes du présent revient à faire l’impasse sur l’avenir. Or le crime d’hier est un acte périmé. Il y a lieu plutôt de se soucier de ceux qui se déroulent sous nos yeux et qui nous menacent physiquement aussi bien collectivement qu’individuellement. Devant le danger, le plus important est de sauver des vies et non de pleurer les victimes d’hier à l’égard desquelles nous avons un permanent devoir de mémoire.

Par ailleurs, cela fait maintenant plus de cinquante ans que les guerres de décolonisation sont terminées. Peut-on faire payer aux descendants des colons les actes criminels des générations précédentes ? Le droit et la raison s’y opposent. Il n’y a pas pour autant besoin de déchirer la page coloniale de l’histoire de l’humanité. Au contraire, la mémoire en aura toujours besoin. Le pardon est une chose, l’amnésie en est une autre.

Pour les géopolitiques et observateurs avisés, deux idéologies ont accaparé le terrain mondial, qui se résumeraient, pour reprendre la thèse du politologue et écrivain américain Benjamin R. Barber, à un combat entre le McWorld (le capitalisme sans-frontiériste et consumériste) et le Djihad (la Oumma, nation sans frontières) au détriment des défenseurs de l’État-Nation. Ces deux modèles de mondialisation, pourtant aux antipodes l’un de l’autre, se font-ils sur le dos des identités et des peuples fragiles tels que les Écossais, les Québécois, les Amérindiens, les Kabyles, les Kurdes, les Catalans, etc. ?

La thèse est séduisante dans l’absolu. On voit que la mondialisation progresse côté occidental par le consumérisme, autrement dit par le matérialisme qui fait fi de toutes les frontières, et côté djihadiste, par la volonté de détruire tous les pays musulmans qui devront tous se fondre dans un seul et même pays, celui de la « Oumma ». Toutefois, le consumérisme, basé sur l’attrait et l’utilité, s’accommode des États et passe par-dessus leurs frontières. Il n’a pas besoin de déconstruire la géopolitique. Il compose avec elle. Ce n’est pas le cas du djihadisme. Celui-ci préfère la violence à la persuasion et les États constituent pour lui un obstacle majeur. Donc, à détruire. Au-delà de cette dichotomie, il me semble que le problème de la violence islamiste qui, depuis Khomeiny, déstabilise l’Asie et l’Afrique peut être résolu par le retour au respect des identités bafouées par ces États-nations. Il n’y a pas d’État-nation en Afrique et en Orient. Il y a des États plurinations. C’est par ce qu’ils sont incapables d’élaborer leur propre nation sur la base des différents peuples niés en leur sein que ces derniers s’en remettent à la solution de facilité, la violence à laquelle l’islamisme offre une base idéologique. En Afghanistan, par exemple, si les onze peuples qui composent le pays étaient reconnus et avaient chacun son propre État et son propre foyer national, ils vivraient aujourd’hui tous en paix. Il en est de même en Somalie, en Côte d’Ivoire, au Burundi, au Mali, en Irak… Redonnez la liberté aux peuples et ils vous rendront leurs armes. Il y a lieu de réhabiliter le droit des peuples à leur autodétermination. La décolonisation a créé des États bidons dont les frontières sont artificielles, inadmissibles et criminelles. Ils sont de fait esclaves de leur mère patrie d’origine, leur métropole coloniale. Et leur stérilité nationale, leur impossibilité de créer leur propre nation les condamne à ne perdurer que sous forme de dictatures. C’est cette situation qui, après cinquante ans de vain endoctrinement « nationaliste » et de tentatives de gommer les bons repères identitaires des peuples, a livré ces derniers à l’islamisme qui prend la place de l’identité égarée.

Dans votre livre, La France va-t-elle perdre l’Afrique? , que j’ai eu l’honneur d’éditer en Amérique du Nord, vous dites que « la France ne connaît pas ses vrais amis en Afrique ». Est-ce parce que c’est elle qui a tracé des frontières donnant ainsi naissance à des États artificiels et dictatoriaux, et qu’elle refuse de soutenir les peuples qui luttent pour leur souveraineté?

Pour un gouvernement, seuls les intérêts du moment et ceux de l’avenir devraient être pris en considération. Par ailleurs, il ne doit avoir d’amis que ceux qui protègent ces mêmes intérêts. Malheureusement la France paraît davantage préoccupée par la validation permanente de son modèle d’État colonial jacobin semé en Afrique que par ses intérêts qui tiennent stratégiquement autant à sa prospérité économique, sa sécurité que son image, sa langue et son prestige. Les menaces qui la déstabilisent sont celles qui font de son ministre de la défense, le super ministre de l’Afrique. Autrement dit, ceux qu’elle prend pour ses amis sont ses pires fossoyeurs. La France devrait s’appuyer sur les peuples et non sur les États issus de la colonisation. En aidant les peuples francophones à devenir libres, l’amitié de ceux-ci lui sera éternelle. Toutes les dictatures érigées en Afrique pour y tenir les peuples en esclavage vont tomber. Paris sait qu’elles constituent un investissement politique hyper toxique pour la géopolitique française. Mais pour le moment, elles sont préférées aux peuples qui sont en train d’émerger. La Kabylie est le meilleur allié de l’Hexagone. Elle seule, si elle venait à devenir indépendante, est en mesure de stabiliser l’Afrique du Nord et d’y anéantir les menaces que fait planer sur elle le terrorisme islamiste et le nucléaire algérien.

La Kabylie, qui était de tout temps indépendante, a été annexée par la France à l’Algérie en 1857 et, un siècle auparavant, la Nouvelle-France, devenue le Québec d’aujourd’hui, a été livrée par la France également à la monarchie anglaise. Est-ce la faute en partie de la France si les Kabyles et les Québécois n’ont pas d’État aujourd’hui?

Absolument. Toutefois, sa responsabilité est celle d’une époque différente de la nôtre. Si, hier, elle n’avait peut-être pas tous les moyens pour une autre politique à l’égard de ces deux brillants peuples, aujourd’hui elle ne peut feindre d’ignorer leur problématique et leur aspiration à l’indépendance.

La communauté kabyle, attachée aux valeurs humanistes et universelles, prend de plus en plus d’ampleur au Québec. Elle y compterait environ 60 000 âmes. Avez-vous un message particulier à lui adresser ?

Je salue mes compatriotes kabyles que je sais très attachés à leurs origines et à leur terre ancestrale. Je suis fier de chacune et de chacun de ses membres. Ils sont les premiers à avoir levé pour la première fois et de façon officielle le drapeau kabyle. En tant que président de l’Anavad, j’ai besoin du soutien de chacune et de chacun pour édifier ensemble l’État souverain de la Kabylie, dans la solidarité et la démocratie. Ensemble, nous vaincrons.

J’ai déclaré à l’Assemblée nationale du Québec que le peuple québécois est un exemple d’espoir pour les Kabyles et le peuple kabyle, un exemple de courage pour les Québécois. Êtes-vous de cet avis ?

En effet, nos peuples sont solidaires et s’enrichissent mutuellement de leurs expériences et de leurs contacts. Nous devons mutualiser nos moyens, nos points forts.

Permettez-moi, pour terminer, de remercier la Société Saint-Jean-Baptiste, l’ex-président, Mario Beaulieu, de nous avoir toujours soutenus, et Maxime Laporte, l’actuel dirigeant, de nous avoir autorisés à lever le drapeau de la Kabylie à Montréal. Enfin, je rends hommage aux militantes et militants, cadres et dirigeants qui, chaque jour sur le terrain, exposent leur liberté et leur vie, pour que vive la Kabylie libre, indépendante.

Source: Huff post Québec, par Karim Akkouche

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