Il a 74 ans aujourd’hui : Portrait de Ferhat Mehenni, l’architecte de la Renaissance Kabyle (Contribution)

À l’occasion des 74 ans de Ferhat Mehenni, ce 5 mars 2025, Siwel publie une contribution passionnée sur le parcours de l’actuel Président de l’Anavad, dont l’histoire personnelle est intimement liée aux principaux jalons du cheminement de la cause Kabyle.

 

Le président du gouvernement kabyle en exil, Mas Ferhat Mehenni, est décidé à proclamer l’indépendance unilatérale de la Kabylie si l’Algérie continue à faire la sourde oreille, et ce une année après la proclamation de la renaissance de l’État kabyle devant le siège des Nations Unies à New York. C’est l’aboutissement d’un processus engagé par le peuple kabyle depuis un peu plus d’un siècle et demi sur la voie du recouvrement de sa souveraineté perdue en 1857. 

La Kabylie a toujours enfanté des femmes et des hommes qui, dans les moments les plus sombres de son histoire, jaillissent tel un étincelant joyau pour illuminer son ciel et guider les pas de son peuple vers son destin de liberté. Ferhat Mehenni en est l’exemple le plus récent.

Qui est Ferhat Mehenni ? Pourquoi fait-il autant trembler le régime militaire algérien ? D’où puise-t-il son énergie pour affronter une adversité cruelle et destructrice ? 

Ferhat Mehenni est né le 5 mars 1951 à Illoula Umalou. Son enfance a été marquée par la guerre. La mort de son père, combattant pour la liberté, l’a marqué et a ancré en lui le révolutionnaire qu’il allait devenir. Enfant, il regardait et se demandait pourquoi ce sont les femmes du village qui devaient enterrer le corps de son père mort au combat. Ce n’est qu’en 1963 que Ferhat Mehenni a rejoint les bancs de l’école, à l’âge de 12 ans et c’est à l’université qu’il a forgé ses armes politiques.

Engagement artistique et politique 

Sous la dictature de Boumediène dans les années 70, la Kabylie était muselée, terrorisée et tétanisée. Seuls quelques Kabyles s’exprimaient depuis la France (l’Académie berbère et la coopérative Imedyazen). Dans cette situation où il était impossible pour les Kabyles de revendiquer leurs droits linguistiques et culturels, émerge une génération de meneurs, parmi eux : Ferhat Mehenni.

Licencié en sciences politiques, il avait vite compris qu’à l’époque du parti unique, faire de la politique signifiait accepter le système dictatorial algérien, pire le cautionner. Il a alors choisi l’art, la chanson engagée. C’est grâce à cet outil qu’il a réussi non seulement à fissurer le mur de la peur, mais aussi à doter toute une génération de kabyles d’une conscience politique. Le grand dramaturge Kateb Yacine l’avait surnommé « Le maquisard de la chanson ». Il était conscient que Ferhat Mehenni ne se contentait pas de chanter mais réparait la mémoire du peuple kabyle, lui redonnait ses repères et le préparait à reconquérir sa dignité. 

Ferhat Mehenni a cette capacité à anticiper et à trouver les outils qui correspondent à son époque. Il avait été l’un des initiateurs du Mouvement culturel berbère (MCB). Il était à l’origine, avec d’autres, du printemps amazigh de 1980 et était membre fondateur de la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme en 1985. Cela lui a valu d’être emprisonné à douze reprises et souvent torturé mais il n’a jamais renoncé à son idéal de liberté. 

Ainsi il a été membre fondateur du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) en 1989 puis a lancé le boycott scolaire en 1994 qui avait pour la première fois uni toute la Kabylie. Ferhat Mehenni a essayé et utilisé tous les moyens à sa disposition pour ouvrir le champ des libertés. Il a réussi avec d’autres à faire instaurer le multipartisme, à imposer la reconnaissance officielle de l’identité et de la langue amazigh, à protéger la Kabylie de la déferlante islamiste et à résister contre le terrorisme.

Le printemps noir et la naissance du MAK

En 2001, lors de la célébration du printemps amazigh de 1980, l’Algérie avait décidé de massacrer la jeunesse kabyle à travers ses gendarmes, faisant 128 morts et des milliers de blessés. Les algériens n’ont manifesté aucune solidarité envers la Kabylie devant cet événement aussi dramatique qu’injuste. Ce printemps noir a fait comprendre à Ferhat Mehenni que la Kabylie était en réalité toujours colonisée.

Lorsqu’il s’était rendu dans une morgue où étaient alignés des victimes de ce sombre printemps, Ferhat Mehenni s’est souvenu des images de son enfance, celles de la guerre d’Algérie. Il avait revu des corps joncher les ruelles de son village. Un parallèle qui l’avait secoué. Cela a suscité en lui le devoir de rompre avec la position habituelle de la Kabylie face à la cruauté d’Alger. C’est durant ces émeutes sanglantes qu’il a créé, avec ses compagnons, le mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), le 05 juin 2001. 

Ne voulant pas gêner les Archs de Kabylie qui étaient le porte voix des évènements de 2001, le MAK nouvellement créé s’est fait discret jusqu’en 2003, laissant ainsi leur chance aux Archs. Ferhat Mehenni entreprend la structuration du MAK et développe de nouveaux outils pour sensibiliser la Kabylie. C’est à travers le livre « Algérie, la question kabyle » qu’il déroule un argumentaire solide, offre une base concrète et les fondations du projet libérateur de la Kabylie.   

Ce livre sortira le 11 mars 2004, soit 3 mois avant l’assassinat de son fils ainé Ameziane en plein Paris le 19 juin 2004, un assassinat qui n’a toujours pas été élucidé. Ferhat Mehenni a compris que les menaces du général algérien Toufik venaient d’être mises à exécution. Ce fut un coup dur pour le leader kabyle, mais il n’allait pas pour autant abdiquer.

Installation du Gouvernement Provisoire Kabyle et internationalisation de la question kabyle 

C’est en 2007 que Ferhat Mehenni a accéléré la structuration du MAK, qui revendiquait jusque-là une large autonomie pour la Kabylie. En 2008, il a envoyé un courrier à toutes les instances de l’État algérien pour les informer que la Kabylie n’acceptera plus d’être ignorée et encore moins méprisée. Dans le cas où Alger persisterait dans la négation de la revendication d’autonomie du peuple kabyle, le MAK allait installer un gouvernement provisoire. Alger avait sous-estimé cette mise en garde, pensant que quelques manipulations suffiraient à faire reculer le MAK.  

Le 1er juin 2010 fut installé à Paris le Gouvernement Provisoire Kabyle (Anavad). Pour le peuple kabyle, c’était la première pierre dans la reconstruction de son État et pour Alger une gifle inattendue. Commença alors le travail de sensibilisation des institutions internationales et des chancelleries. Il était temps pour la Kabylie de s’engager sur une voie qui la sortirait du huis clos avec Alger. 

En 2012, Mas Ferhat a planté un nouveau jalon en mettant en avant le passage à l’autodétermination. Le congrès du MAK tenu en Kabylie a approuvé cette nouvelle orientation. Pierre par pierre, il a conçu et mis en œuvre avec ses collaborateurs les attributs de la souveraineté d’un Etat Kabyle. Une carte d’identité kabyle a été émise, un hymne kabyle a été conçu. En 2015, un drapeau kabyle a été élu, après plusieurs mois de vote dans plusieurs villes de Kabylie, d’Europe et du monde.

Dépôt du mémorandum à l’ONU et la réaction d’Alger 

Le processus était en marche et le Président de l’Anavad a levé toute ambiguïté en explicitant l’objectif de l’indépendance. La Kabylie voyait se concrétiser son idéal sous ses yeux, et elle s’était mobilisée comme jamais dans son histoire en 2017 à l’occasion de “La Marche de l’Indépendance”. En effet, des centaines de milliers de kabyles ont marché dans les rues des trois capitales de la Kabylie : Tuviret, Vgayet et Tizi Wezu. Cela a marqué un tournant décisif et l’indépendance de la Kabylie devenait incontournable. C’est ce moment qu’a choisi Ferhat Mehenni pour déposer à l’ONU le mémorandum pour le droit du peuple kabyle à son autodétermination. 

Pour Alger, c’était la ligne rouge à ne pas dépasser. Elle a alors aiguisé ses outils répressifs en commençant par multiplier les convocations et les interrogatoires contre les militants indépendantistes. Face à cette perspective, Mas Ferhat Mehenni, lance le 03 juin 2018 ce que l’histoire retiendra sous le nom de l’appel de Londres, à créer une autorité kabyle capable de supplanter celle de l’Algérie. Il réveille par-là, l’Aanaya, une valeur de protection et de solidarité ancestrale. La colonisation algérienne s’en est saisie pour tenter, en vain, de pervertir cet appel et le présenter comme un appel à la violence.

Le temps donnera raison au président kabyle, car une année après, s’est tenu un congrès à Mostaganem, en aout 2019, pour lancer le projet « Zéro kabyle », une entreprise génocidaire initiée sous la protection des gendarmes algériens. Des députés et chefs de partis algériens lancèrent dans la foulée des appels à détruire la Kabylie qu’ils accusaient d’être des juifs ou des traitres à la solde de la France. Des cadres et des militants du MAK étaient arrêtés pour les libérer juste après.

Malgré la pression, le harcèlement des militants indépendantistes kabyles, la propagande et les provocations de toutes sortes, Ferhat Mehenni a continué à bâtir l’édifice institutionnel de la Kabylie. C’est ainsi qu’en 2020, le parlement kabyle, Imni Aqvayli, a été installé et un projet d’une constitution kabyle a été lancé. 

Tentative de génocide et criminalisation du droit à l’autodétermination

En 2021, l’État colonial d’Alger franchit une nouvelle étape dans sa logique criminelle. Le Haut Conseil de Sécurité algérien a classé le MAK comme organisation terroriste. N’ayant pas pu faire basculer le MAK dans la violence, il lui fallait l’impliquer dans des opérations que les services algériens avaient eux-mêmes orchestrées.  

Au mois de juin de cette même année, la Kabylie fut dévastée par des feux de forêt, causant la mort de plus de 500 kabyles. Les preuves de l’implication de l’armée algérienne étaient là, mais Alger accusait le MAK, le Maroc et Israël. S’en est suivies des rafles et l’arrestation de centaines de militants kabyles injustement accusés. Les militants ont été torturés et jugés sur des dossiers vides puis emprisonnés. Ces feux criminels avaient pourtant été annoncés par Bensdira, un proche des services algériens, depuis Londres quelques temps avant leurs déclenchements. 

Ferhat Mehenni réfuta ces accusations et demanda une enquête internationale. Il déposa une plainte auprès du Tribunal Pénal International, accusant Alger de tentative de génocide. Face au ministre algérien de la justice dans l’enceinte de l’ONU, le président kabyle en exil, a dénoncé la criminalisation du droit à l’autodétermination par l’Algérie à travers son article du code pénal 87 bis. Cette prise de parole a permis de sensibiliser la communauté internationale sur les violations des droits humains perpétrées par Alger à l’encontre des militants kabyles.

Renaissance de l’État kabyle et reconnaissance juridique du droit à l’autodétermination du peuple kabyle

Le 20 avril 2024, Ferhat Mehenni a proclamé la « Renaissance de l’État Kabyle » lors d’une cérémonie à New York. Cette déclaration symbolise une étape significative vers l’indépendance de la Kabylie. La date choisie fait écho aux luttes historiques du peuple kabyle et marque un tournant dans sa lutte pacifique pour l’autodétermination.

Le 4 septembre 2024, le prestigieux cabinet d’avocats britannique, Brick Court Chambers émit un avis juridique reconnaissant les Kabyles en tant que peuple au sens du droit international. Cet avis, sollicité par le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) sous la direction de Ferhat Mehenni, s’appuyait sur des instruments juridiques internationaux tels que la Charte des Nations Unies. Il affirmait que les aspirations du peuple kabyle à l’autodétermination étaient conformes aux principes fondamentaux du droit international.

En janvier 2025, Ferhat Mehenni adressa une lettre au président du Conseil de Sécurité de l’ONU, pour inscrire le droit du peuple kabyle à l’autodétermination, à l’agenda international, tout en dénonçant les violations des droits humains commises par l’État algérien depuis juin 2021. C’est parce qu’il s’apprête à déclarer en cette année 2025, l’indépendance unilatérale de la Kabylie que l’Algérie a actionné ses influenceurs pour lancer ouvertement des menaces de mort contre les militants kabyles.

Prix et distinctions 

Pour son parcours riche et exceptionnel, Mass Ferhat Mehenni a reçu plusieurs prix. 

En 2013, il a eu le prix international de la paix, Guzi peace prize pour « Ses efforts inlassables à trouver des solutions pour le bienêtre des populations et pour ses contributions significatives au maintien de la paix. En 2015, lui a été discerné le 3ème prix de la résistance Fadhma n Summer. Le premier a été attribué à Benai Wali en 1947, le deuxième à Mouloud Mammeri en 1983. 

En 2021 il se voit attribuer le prix de la personnalité amazighe de l’année qu’il partage avec le courageux avocat du Mzab mas Salah Debouz, décerné par la fondation libyenne Tawalt. En 2023, il reçoit par l’université du Quebec, le premier prix indépendantium qu’il partage avec un autre grand homme, le président catalan Carles Puigdemont. 

Ferhat Mehenni a consacré sa vie à la lutte pour la justice, la démocratie, les droits humains et le droit du peuple kabyle à la liberté et à l’indépendance. Par la chanson engagée, par la publication de plusieurs livres et par la lutte politique pacifique, il fait trembler l’État colonial algérien. Il continue à déployer ses efforts pour attirer l’attention des institutions internationales afin de faire reconnaître le droit de la Kabylie à son autodétermination, tout en bâtissant l’édifice institutionnel de la Nation kabyle.

En ce jour anniversaire du président Ferhat Mehenni, nous lui souhaitons longue vie, nous lui témoignons toute notre admiration pour son courage, son intelligence et sa sagesse. 

Bon anniversaire monsieur le Président !

Contribution de Gaya Izennaxen et Tilelli Yelli-s Idurar 

Bibliographie de Ferhat Mehenni :

  • 2004 : « Algérie : La question kabyle » Editions Michalon
  • 2010 : « Le siècle identitaire, la fin des Etats post-coloniaux. Editions Michalon.
  • 2013 :“Afrique : le casse-tête français »  Editions De Passy
  • 2015 :  « Noël en otage. Editions Michalon
  • 2017 : « Kabylie, mémorandum pour l’indépendance » Editions Fauves
  • 2021 : « Réflexion dans le feu de l’action. Histoire de la renaissance du peuple kabyle » Editions Fauves

SIWEL 051217 MAR 25

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