CHRONIQUE (SIWEL) — Quel est le français d’aujourd’hui qui ne se glorifie pas des noms de Guy Môquet ou de Jean Moulin, pour ne citer que ces noms-là. Les deux sont tombés en martyrs pendant la seconde guerre mondiale. Pourtant, leurs activités étaient discrètes avant l’occupation de la France par la Wehrmacht. Ils avaient juste fait le choix de manifester leur amour de leur patrie au moment où elle avait besoin de leur bravoure. Guy Môquet, militant de la jeunesse communiste, est passé dans l’histoire comme un des symboles de la résistance française pour avoir été le plus jeune des quarante-huit otages fusillés, le 22 octobre 1941, à Châteaubriant. Jean Moulin était préfet d’Eure-et-Loir, il avait rejoint la résistance en septembre 1941. Il avait été envoyé à Lyon par le général De Gaulle pour unifier les mouvements de la Résistance. Arrêté à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon, le 21 juin 1943, il mourra dans un wagon de train, suite aux tortures qui lui avaient été infligées.
Inversement, quel est le français d’aujourd’hui qui entend parler de Violette Morris ou d’Aimé-Joseph Darnand. La première a été abattue par des résistants sur une route de campagne et le second a été fusillé par la France libre au fort de Chatillon; leurs noms sont jetés à l’opprobre. Pourtant, ces mêmes noms avaient leurs lettres d’or avant la poignée de main entre Hitler et le maréchal Pétain. Violette Morris, féministe de gauche, était une championne olympique. Athlète spécialiste du Lancer du poids, elle était entre autre coureur cycliste, motocycliste ; pilote d’automobile ; aviatrice; fortement initiée au tir à l’arc, au plongeon , à l’haltérophilie et à la lutte gréco-romaine. Une sportive polyvalente devenue collaboratrice de la Gestapo. Joseph Darnand, militant de l’extrême droite, avait fait la une de Match à deux reprises, quand il avait gagné la médaille militaire puis la croix de la légion d’honneur. Il avait fini officier SS.
Ce petit rappel suffit pour expliquer que l’absurdité qui façonne le traître n’est pas fabriquée dans le placenta qui lui a donné naissance ni effet de l’idéologie qui le prédomine ni l’aboutissement des sentiers heureux ou malheureux où il a posé pied mais dérive du choix qu’il a eu à prendre en des moments des grands tournants, quelque grand que soit son passé, glorieux ou timide. Si pour cette chronique l’exemple français est choisi, c’est tout bonnement parce que la France sait conduire au panthéon ses héros comme elle sait ensevelir ses traîtres dans l’abîme de l’oubli et la honte.
En Algérie l’imposture fait ses lettres de noblesse d’un entrain à faire pâlir l’intégrité. L’indépendance qui avait commencé dans l’insulte se poursuivait dans l’ignominie dictée par des collaborateurs subitement devenus résistants après les accords d’Evian. Une ignominie où tout ce qui n’est pas arabe est forcément ennemi et qui a poussé bien des kabyles agités par leur frustration à se dresser contre la Kabylie avec une overdose de bouffonnerie. Depuis l’Etoile Nord-Africaine au FLN en passant par le PPA et le MTLD, les kabyles ont toujours été derrière la fronde et l’organisation des maquis, et parmi eux beaucoup d’héros dont les noms sont restés jusqu’à présent tabous.
Inversement, on honore bien la mémoire des traîtres quand ils ne sont pas kabyles, et c’est de cette outrecuidance que l’aéroport de Tlemcen a pris le Nom de Messali ! La mémoire n’est pas la vertu première de l’Etat Algérien. En 1978, le gigantesque Monument-aux-Morts qui dominait la baie d’Alger fut noyé sous une chape de béton, il rappelait la présence française qu’ils disaient… Pourtant, dans la place des Martyrs, Aziza Bent El Bey, le nom de la fille d’un tortionnaire turc qui ramait des gencives quand ses janissaires pendaient par dizaines des résistants kabyles s’étend triomphalement sur la place qui répond du nom de ses victimes. De beaux quartiers sont légués aux Ali Khodja, Baba Hassan, Mustapha Bacha et Baba Arroudj, des corsaires et janissaires, qui, durant des lustres, poursuivaient l’asservissement des peuples amazighs et, occasionnellement, des activités de piraterie en Méditerranée. Ou encore Hussein Dey, un turc qui, chasse-mouches aidant, avait fourni à Charles X le prétexte d’envahir Alger. La mémoire à l’algérienne est à juste titre le mal absolu que l’Algérie a pris comme gage de son avenir, si avenir y aura, car beaucoup d’indices montrent que sa pensée agit en sourdine pour sa dissolution, comme une entreprise qui dépose le bilan ou une fabrique en période de fin de mission.
Pour faire croire au Kabyle qu’il y a un moyen « pacifique » d’améliorer sa condition, d’autres kabyles qui brillent dans la mangeaille à s’en faire péter la sous-ventrière l’incite à prendre part aux élections dans une Algérie d’où il a été depuis longtemps exclu. Des politiques kabyles s’engagent dans des mascarades de scrutins qu’ils avancent d’avance entachés de fraudes. Pourquoi alors y concourent-ils ? Si ce n’est là une autre forme d’allégeance au régime qui les nourrit. Ils jouent à la Kabylie une mise en scène dont ils tirent l’usufruit qui leur permet de disposer des crédules pour les charmer avant de les jeter, conformément au pacte établi, à l’assaut du MAK, la force réellement kabyle et exclusivement au service de la Kabylie. Naufragés dramatiquement dans le jeu d’appartenance qui les rend suspects, ils se brodent sans cesse des alibis nécessaires à leur passion des excès morbides. Le plus insupportable c’est de les entendre hurler leur amour de la Kabylie. Aurait-il fallu leur attribuer la fameuse phrase qui a permis à l’actrice française Arletty de ne pas être tondue « Mon cœur est kabyle mais mon postérieur est international ». Ce n’est pas facile de répliquer avec sérieux à l’action comique des amateurs de la sottise. Tous les scrutins -ceux d’hier et ceux à venir- ne se déroulent que dans la perspective d’endormir la Kabylie. Ne soyons pas dupes, nous risquons de voir apparaître le couteau islamiste en Kabylie si nous faisons preuve d’obéissance à la démocratie algérienne.
La trahison ce n’est pas uniquement de vendre la Kabylie aux calculs vaudevillesques des algériens via des élections aussi crédibles soient-elles, c’est d’abord et avant tout de la proposer.
Djaffar Benmesbah
SIWEL 221202 Feb 17