CHRONIQUE (SIWEL) — À l’attention des lectrices et des lecteurs.
Dans la chronique publiée la semaine dernière, une petite faute d’inattention s’est glissée. J’avais bien écrit IDIOLOGIE au milieu du texte, un néologisme personnel que je me suis permis d’introduire avec le jeu de mots qui certainement ne vous a pas échappé. À présent, je vous livre la chronique hebdomadaire à laquelle certaines et certains ont pris l’habitude depuis, déjà, quelques petites semaines. Merci à toutes et à tous pour votre compréhension et pour vos commentaires qui sont, souvent, très enrichissants.
Cette anecdote, vraie, s’est passée à Paris il y’a environ une dizaine d’années.
Un oranais, d’une instruction et d’une culture générale fulgurantes, est attablé en face d’un kabyle moins instruit et moins cultivé que lui. Sauf que le kabyle, curieux de nature, passa sa vie à lire, à se cultiver par lui-même compte tenu du manque de moyens financiers qui ne lui ont jamais permis d’aller au delà des études primaires du milieu des années 60.
Les deux hommes entament une discussion, autour d’un soda pour l’un et d’un whisky pour l’autre, sur des sujets aussi nombreux que variés.
Le kabyle, qui devait s’attendre à ce que son vis-à-vis l’entraîne sur le sujet délicat de la religion, l’écoute et fait mine de boire ses paroles.
Cela ne devait pas tarder à se produire.
L’oranais : Quelle est ta religion ?
Le kabyle : Désolé, mais cela relève de mon intimité.
L’oranais : Est-ce qu’au moins tu es croyant ?
Le kabyle : J’insiste sur le fait que cela relève de l’intimité.
L’oranais : Vous les kabyles, vous êtes toujours spéciaux. On vous parle de choses simples, et vous cherchez des complications.
Le kabyle : Quelles complications ?
L’oranais : Je veux, en toute simplicité, t’entendre dire si tu es musulman ou pas ?
Le kabyle : Je vis dans l’être, pas dans le paraître ! Ce qu’il y-a dans mon coeur et dans mon esprit n’appartient qu’à moi.
L’oranais : Je suis d’accord avec toi, mais tu peux tout de même me dire qu’elles sont tes orientations de croyance ?
Le kabyle : Un kabyle qui se respecte ne fait ni dans l’affichage, ni dans la démonstration visuelle, ni dans l’exibitionnisme, encore moins dans le prosélytisme !
L’oranais : Reconnais, tous de même, que les kabyles sont, majoritairement, musulmans.
Le kabyle : Ce que tu fais mine d’ignorer mon cher, c’est que la majorité écrasante, des kabyles, est croyante par tradition, et non par conviction. À cela, je te rajoute que la religion, à laquelle tu tiens mordicus, n’est pas arrivée avec des fleurs en Afrique du Nord !
L’oranais : Je déduis, tout compte fait, que tu es athée, n’est-ce pas ?
Le kabyle : Tu peux arracher mon coeur, mais tu ne pourras jamais arracher ce qu’il y’a dedans !
L’oranais : Et si je te disais qu’il y’a des intégristes kabyles, tu le reconnais ou pas ?
Le kabyle : J’irai même plus loin que toi, je pense que les pires des intégristes sont originaires de la Kabylie.
L’oranais : Là, tu commences à raisonner sérieusement.
Le kabyle : Si je ne reconnais pas la réalité d’un mal, comment veux-tu que je le combatte ?
L’oranais : Le fait que tu reconnaisses cette vérité t’honore.
Le kabyle : Je n’attends ni honneur ni médaille. Je ne cherche qu’une seule chose, c’est participer à la libération de la Kabylie pour la guérir de tous ces maux.
L’oranais : Est-ce que cette opinion est partagée par la majorité des kabyles ?
Le kabyle : Est-il nécessaire d’apporter à ta connaissance qu’au 1er novembre 54, il n’y avait que cinq cents maquisards armés, ce qui était déjà considérable. Le Paris où nous sommes ne s’est pas construit en un jour, à ma connaissance.
L’oranais : Permets-moi de revenir sur l’intégrisme, aussi partiel soit-il. Qu’allez-vous faire de ce phénomène qui gangrène aussi bien l’Algérie que la Kabylie ?
Le kabyle : Nous sommes déterminés, avant tout, à refonder notre école avant tout autre aspect sociétal.
L’oranais : Comment comptez-vous vous y prendre ?
Le kabyle : Je pense que vues ta culture et ton instruction, tu n’es pas sans savoir que la Kabylie est une société multiforme, où dans une même famille, une même fratrie, on peut en trouver un croyant, un intégriste, un agnostique, un athée… Etc, qui vivent harmonieusement, contrairement à votre société algérienne qui est uniforme et où, seule la Oumma a le droit de citer.
L’oranais : Je reconnais que là, tu as tapé dans le mille, mais j’ai envie de te poser une autre question qui me brûle les lèvres depuis le début de notre conversation.
Le kabyle : Je t’écoute.
L’oranais : Est-ce que tu n’as pas peur d’aller en enfer ?
Le kabyle : Je te réponds sous forme de question.
Est-ce que tu peux m’expliquer comment vous, croyants, faîtes pour voir ce qu’il y a sous terre, et que vous ne voyez pas ce qu’il y a au dessus ?
L’oranais : Là mon ami, tu m’as scotché.
Le kabyle : Moralité, nos valeurs sont diamétralement opposées !
A-T
SIWEL 171742 SEP 17 UTC