Le témoignage de Rachida Ider sur une journée de torture dans un commissariat algérien
GOUVERNEMENT PROVISOIRE KABYLE

MOUVEMENT POUR L’AUTODÉTERMINATION DE LA KABYLIE

MAK-ANAVAD

RAPPORT D’AGRESSION D’UN MILITANT PAR LA POLICE/GENDARMERIE COLONIALE

Rachida Ider, présidente de la Coordination régionale Ouest du MAK-Anavad

Cela fait sept ans que je me préparais à être confrontée à la violence de la répression coloniale. En ce 20 mai 2017, c’était l’enfer. Un enfer que je ne pourrais raconter en détail dans ce témoignage. Mais il est important que l’opinion publique et internationale soit informée sur ce que nous avons vécu, nous militants pacifiques pour une Kabylie indépendante, dans le commissariat central de Tuvirett (Bouira). J’invite tous les militants souverainistes à rédiger leurs témoignages, eux qui ont fait de cette journée du 20 mai une date historique pour la Kabylie.

D’abord, il est important de souligner que la veille de la marche, j’ai passé la nuit à Rafour, dont je remercie les citoyens et les militants de leur accueil chaleureux et apprécié de tous. La nuit était très courte. On avait tenu une dernière réunion à 2 h du matin et à vrai on était nombreux à ne pas avoir fermé l’œil.

Le lendemain, nous avons pris le bus vers Tuvirett. J’étais avec une trentaine de militants. Kouceila Ikken, le Président de la Coordination Est du MAK-Anavad était avec nous. Des dizaines de barrages et des policiers et gendarmes algériens postés partout. Ils arrêtaient les véhicules et les bus, les fouillaient et fouillaient les passagers. À ce moment déjà, nous savions que l’on allait sans doute être arrêtés avant même d’arriver sur le lieu de la marche.

Arrivés à la gare routière de Tuvirett, les services de répression algériens étaient mobilisés en centaines. Un véritable climat de guerre. Étonnamment, nous avons réussi à descendre du bus et à en reprendre un autre sans être interpellés.

Nous descendons du bus au niveau de l’entrée principale de l’Université Mohand Oulhadj. Il n’y avait pas encore de militants. Il était 8h du matin.
Aussitôt des policiers sont venus nous voir et l’un d’eux a dit à ses collègues : « c’est elle Ider, elle est là Ider », en parlant de moi. Ils nous ont demandé de partir. Devant notre refus, une cinquantaine d’agents des services répressifs algériens (policiers, B.R.I. et civils) nous ont entourés. J’ai commencé à crier « Pouvoir assassin ». À ce moment précis, ils ont essayé de maîtriser le militant Lazhar Bessadi, qui résistait. Quand j’ai vu cela, je suis allé m’interposer pour les empêcher de l’embarquer. Tous les militants sont intervenus et c’était la pagaille générale. Des dizaines de policiers sont arrivés en renfort. Ils essayaient de nous maîtriser et tous les militants ont résisté. Aucun n’a accepté de monter dans les véhicules de la police. Les coups ont commencé à pleuvoir sur les militants. Matraquage, coups de pied et de poings et gifles, en plus de nous traîner par terre.

Puis, en continuant de crier « Pouvoir assassin, Tuvirett d taqvaylit, … » il y a eu cette scène où j’ai vu rouge ! Kouceila Ikken était traîné par terre par 5 policiers qui le tenaient par les pieds, alors qu’il essayait de résister. Ils recevaient alors des coups de pied et des coups de poing dans la figure. Une scène qui m’était insupportable. J’ai commencé à crier « Pouvoir criminel, lâchez-le, c’est un blessé du printemps noir ! Il n’a pas de jambes ! Vous l’avez amputé de sa jambe ! Vous n’avez pas honte ! ». Leur haine les a rendus sourds. Ils ont continué à tabasser les militants et à les traîner dans les voitures. Je me suis rendue sur la route pour bloquer la circulation. Je m’étais assise sur la route. Manissa, une autre militante, avait déjà bloqué la route avec son corps ! Un policier kabyle est venu me voir et a essayé de me convaincre calmement de me lever et de les suivre. Je ne voulais rien entendre.

Une Land-Rover de la police coloniale est arrivée. Un autre policier lui criait en arabe : « Vas-y écrase-la ». J’ai alors levé mes bras vers le ciel en V de Victoire et je suis restée immobile. Le conducteur de la Land-Rover a alors fait semblant d’accélérer pour m’écraser avant de freiner. Il l’a fait à plusieurs reprises. J’ai continué à scander mes slogans favoris pour une Kabylie indépendante.

Notre résistance a mis en colère les policiers qui se sont acharnés encore plus conte nous. Plusieurs d’entre eux, me voyant bloquer la route, se sont rués sur moi et ont commencé à me donner des coups de pied dans le dos et les côtes, un moment de barbarie inédite. Les autres filles, voyant la sauvagerie de la police à mon égard, ont eu l’idée de leur faire croire que je suis enceinte : « arrêtez ! elle est enceinte ! elle est enceinte ». Ils ont fait comme s’ils n’entendaient pas. À ce moment précis, j’étais dans un autre état. J’étais très fatiguée et ne comprenais plus ce qui se passait. Je ne pouvais plus résister et me suis retrouvée dans un véhicule de la police, à bout de forces. Je ne me rappelle plus s’ils ont réussi à me faire relever où s’ils m’ont traîné par terre jusqu’à leur véhicule où étaient les autres filles : Tasedda, Manissa et Cylia.

Au commissariat, c’était un véritable enfer. Ils nous ont conduits dans un bureau, comme des criminelles, en nous poussant. Quatre policières nous attendaient, dont deux, non kabyles, d’un physique imposant. Ces deux policières nous ont fouillés minutieusement. Nous avons été déshabillées de notre haut pour vérifier qu’on ne cachait rien.

Trois d’entre nous étaient assises et les deux autres étaient debout. Dans le bureau où nous étions enfermées, deux autres militantes nous ont rejoints plus tard : Tiziri et Tannirt. Elles sont restées debout durant plusieurs heures. Aucune d’entre nous n’avait le droit de ne faire aucun geste. Dès qu’il y en avait une qui parlait, qui souriait ou qui résistait aux intimidations, elle recevait soit une gifle soit un coup de pied, en plus des insultes et autres vulgarités qui fusaient au moindre de nos gestes. Dès qu’une fille, qui était debout, essayait de s’asseoir à même le sol, elle recevait des coups de pied jusqu’à ce qu’elle se lève. Dans ce bureau, ces deux policières, qui agissaient avec haine et racisme, ont fermé la fenêtre et la porte. Il n’y avait plus d’air dans le bureau. On n’avait même pas le droit d’aller aux toilettes, ni même de boire de l’eau. Une situation intenable pour un être humain.

Cylia est tombée, elle n’arrivait plus à tenir debout. « Laisse-la mourir » dit une policière. Puis elles ont pris de l’eau pour lui mettre sur le visage. Cylia a ainsi eu le droit de s’asseoir à même le sol et sa demande d’ouvrir la fenêtre a été acceptée. Plus tard, vers midi, c’est Tannirt, restée debout depuis son arrestation, qui a vomi. Elle était vraiment mal. Quand elle a fini de vomir, elle a essayé de s’asseoir à même le sol, une policière lui a donné des coups de pied. Plus tard encore, Tiziri s’est évanouie et s’est écroulée. Les deux policières n’ont pas bougé. Un policier est passé et la voyant par terre, il a commencé à crier pour qu’ils fassent venir un médecin. Un médecin est venu et a expliqué que Tiziri avait besoin d’oxygène et qu’elle devait aller aux urgences. « Pas question » a répondu une policière. Ensuite, ils l’ont relevé pour la faire asseoir correctement sur le sol, mais elle n’arrivait pas à bouger ses bras. Elle était affaiblie. À ce moment précis, ils m’ont pris pour que j’aille voir un gynécologue vu que les filles leur ont fait croire que j’étais enceinte quand ils m’ont passé à tabac. Plus tard, j’ai appris que Tiziri était transportée aux urgences.

À signaler que les deux policières kabyles faisaient de la figuration. Elles n’avaient pas le droit d’intervenir ni d’agir. Dès qu’elles essayaient de faire cesser la torture que l’on subissait, les deux autres policières les traitaient de tous les noms. Le policier qui a rédigé le PV également était un Kabyle et s’est comporté correctement.

Beaucoup d’autres détails sont importants à raconter. Mais un moment qui m’a marqué c’est quand ils nous ont descendus pour que l’on aille faire la prise d’empreintes. En descendant, j’ai entendu des dizaines de militants chanter « Kabylie indépendante » alors qu’ils se faisaient tabasser à coups de pied. Leur chant me remplissait de bonheur. À ce moment précis, j’ai eu le sentiment que tout ce que l’on a eu à subir d’agressions et d’insultes s’est effacé. Toute la fatigue après une nuit blanche, la soif, la faim, tout a disparu à ce moment précis. J’avais des frissons partout.
Arrivée à la salle où je devais faire mes empreintes, les policiers m’ont demandé où était passé Ravah, mon mari, et me disaient qu’ils regrettaient qu’il n’ait pas été arrêté.

Ensuite, le commissaire m’a appelé à son bureau une deuxième fois. La première fois qu’il m’a appelé, il a vite demandé à me faire sortir, car je ne voulais pas parler en arabe. La deuxième fois, il a fait venir un policier pour lui traduire. Il a commencé à me dire qu’il voyait en moi une prochaine ministre en Algérie, que j’étais belle comme les filles de « Mila ». Il m’a dit que si je voulais faire de la politique, il pouvait faire le nécessaire pour que je puisse créer mon parti. Bien sûr, il a eu à chacune de ses remarques une réponse d’une militante kabyle indépendantiste convaincue et qui ne reculera devant rien.

En sortant de cet enfer, je me suis sentie grandie et plus déterminée. Je me suis sentie digne et debout. Je suis allée retrouver mon mari et les militants qui nous attendaient.

24 h après ces faits, j’ai des hématomes un peu partout, surtout sur le dos, où j’ai encore très mal !

Photos de quelques hématomes sur le corps de Rachida Ider.

Cela est un témoignage sur les faits, tel que je les ai vécus. Il y a peut-être des détails qui m’ont échappé et je compte sur les militantes et les militants pour écrire leurs témoignages afin que l’on puisse reconstruire pour l’éternité une journée d’une violence inouïe, de torture physique et morale, qui légitime encore plus notre combat pour une Kabylie indépendante.

Rachida Ider,
Présidente de la Coordination Ouest du MAK-Anavad
SIWEL 212052 May 17 UTC

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