MONTREAL (SIWEL) — L’écrivain kabyle, Karim Akouche, est un auteur prolifique. Il a écrit entre le roman : »Allah au pays des enfants perdus », les pièces de théâtre « qui viendra fleurir ma tombe » et « toute femme est une étoile qui pleure », ainsi qu’un roman-conte « J’épouserai le Petit Prince ». Les œuvres de Karim Akouche sont d’une cruelle actualité dans lesquelles il s’insurge contre l’islamisme et le déni identitaire. Après la lettre écrite à « un ami qui a peur de l’islamisme », voici ci-après « la lettre d’une petite fille au Prophète Mahomet »
Je m’appelle Godia et j’ai onze ans. Quand je ne suis pas bien, je dessine. J’aime faire des chiens, des chats et des oiseaux. J’aime faire des Tintin, des dromadaires et des princesses. Parfois, je dessine des trains, des fleurs, des nuages et des cerfs-volants.
Aujourd’hui, j’ai décidé de t’écrire même si mes parents m’ont dit que tu ne lis pas de lettres. Je ne sais pas si c’est vrai, mais j’ai envie de te dire ce qui me fait mal.
J’ai cherché partout ton adresse, mais je ne l’ai pas trouvée. On m’a dit que tu ne vis pas dans une maison, mais dans le ciel. Tu nous regardes de là-haut et, près de toi, Allah prend des notes.
À la télé, on montre des hommes excités, les yeux grands ouverts et la bouche pleine de salive. Ils brûlent des drapeaux. Ils détruisent des magasins. Ils brandissent des banderoles où il est écrit : « Je suis Mohammed », « À bas les Juifs ! », « Mort à la France ! », « Il faut pendre Charlie ! »… Ils sont fâchés contre ceux qui ont fait des caricatures de toi. Ils disent qu’on n’a pas le droit de faire ces choses. Ils appellent ça du blasphème. Je ne comprends pas pourquoi. Pourtant, c’est simple : s’ils n’aiment pas ces dessins, qu’ils évitent de les regarder.
La plume, ce n’est pas un fusil. Elle contient de l’encre et ça ne tire pas des balles. C’est comme un jouet, la plume. C’est fait pour dessiner et rire.
J’ai vu des vidéos sur YouTube dans lesquelles des enfants manipulent des armes. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un jeu et que ces kalachnikovs étaient en plastique, mais je me suis trompée. Un gamin a tiré sur des hommes qui ont versé du sang et hurlé avant de tomber. Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça. Ce n’est pas bien. Les coups de feu ça fait mal. Quand on les reçoit, on tombe. Quand on tombe, on ne se relève pas. Quand on meurt, on ne revient plus. C’est fini. On ne pourra plus jouer. On ne pourra plus chanter. On ne pourra plus dessiner…
Je suis seule dans ma chambre. Il fait noir. Les yeux de mon chat brillent. On dirait des lucioles. Je me cache sous la couette. J’appelle maman. Elle vient se blottir contre moi. Je lui ai posé quelques questions.
– Pourquoi ces hommes détestent les dessins?
– Parce qu’ils ne savent pas s’amuser.
– Pourquoi ils hurlent ?
– Parce qu’ils ne peuvent pas aimer.
– C’est quoi le djihad ?
– C’est la guerre sainte.
– Non, la guerre n’est pas sainte ! La guerre est toujours atroce.
Maman m’a caressé les cheveux avant de me dire :
– Dessine-moi un mouton.
J’ai croqué un barbu armé d’une mitraillette en train de courir après une fille.
Elle me demande :
– C’est qui cette fille ?
– C’est moi. Je veux m’enfuir. Les terroristes sont là. Ils sont à la télé, à la radio, sur Internet, dans les journaux…
– Ils sont loin. Ils habitent en Irak et en Syrie.
– Je sais. Mais bientôt ils viendront chez nous. Ils ont des armes et des lance-roquettes.
– Nous nous défendrons. Nous avons des chars et des avions.
– Ça ne suffit pas, maman. Eux sont plus déterminés que nous. Ils veulent mourir rapidement pour aller au paradis. Nous, nous voulons vivre longtemps pour rester sur terre.
Elle s’est tue durant un moment. Elle m’a serré dans ses bras. J’ai vu une larme sur sa joue comme celle que toi, cher prophète, tu as versée à la Une de Charlie Hebdo. Je ne sais pas si je dessine mieux que les caricaturistes de ce journal, je sais seulement que j’ai choqué maman. Je m’en veux de l’avoir fait pleurer. J’espère qu’elle me pardonnera…
Je vais sur Facebook. Une amie m’a tagué dans un message. En Arabie saoudite, on a donné des coups de cravache à un jeune homme. Le spectacle s’est déroulé en public, devant une mosquée, après la prière du vendredi. On lui reproche d’avoir écrit des vérités sur un blogue. On l’a accusé d’être un apostat. Je ne connais pas ce mot. Il sonne comme attentat. Son sens doit être grave…
Il est minuit. Mes parents ronflent dans leur chambre. Mon chat dort sur mes genoux. Le ciel est criblé d’étoiles. La lune ressemble à une galette des Rois…
Où es-tu, cher prophète ? Que fais-tu en ce moment ? Montre ton visage. Emprunte à Allah son stylo. Fais une caricature de moi. Dessine mon chat. Ris de mes parents et de moi. Je ne me fâcherai pas. Le dessin m’amuse…
Je ne comprends pas tes hommes. Ils crient. Ils se réclament de toi. Ils récitent tes textes. Ils disent que tu es leur chef. Ils veulent te venger. Je ne sais pas qui les incite à la violence. Est-ce ton livre ? Est-ce toi ? Est-ce Allah ? Je ne pense pas que ça soit lui. Il est grand. Il peut se défendre tout seul. Si ce n’est pas toi, sors de ton silence et fais un démenti.
Cher prophète Mahomet, je suis triste. Ces derniers jours, je n’ai pas dormi. Je fais tout le temps des cauchemars. Je pleure. Mes parents ont peur. Seras-tu là pour nous défendre quand les terroristes viendront nous attaquer ?
Karim Akouche,
NB: Godia est la petite héroïne de Karim Akouche dans son roman-conte "J’épouserai le Petit Prince" (Ed. Dialogue Nord-Sud_ 2014_ISBN : 978-2-924107-02-7)
SIWEL 041108 FEV 15