AT MZAB (SIWEL) — Les déclarations de Mohamed Dabouz, ci-dessous, décrivent la situation désastreuse que vivent les détenus politiques des At Mzab (mozabites). C’est un véritable cri d’alarme que nous a livré, dans le détail, ce membre fondateur du Comité International pour la Libération de Fekhar et des Détenus Mzabs. Il décrit Kamel Eddine Fekhar, qui est à son 17e jour de grève de la faim, comme « un cadavre ambulant ». A rappeler que des rassemblements sont prévus, à Paris ce 03 décembre, et partout dans le monde le 10 décembre.
Dans sa dernière visite au docteur Fekhar et ses codétenus, l’avocat Maître Dabouz nous a dit qu’il a vu un cadavre ambulant, ce qui résume l’état de santé très critique de Fekhar. C’était à son treizième jour de la faim. Aujourd’hui, il est à son dix-septième jour. Sachant que pendant ces 17 mois d’incarcération, il a fait déjà deux grèves de la faim qui ont duré chacune plusieurs semaines et elles l’ont beaucoup affaibli physiquement. Ceci sans parler des problèmes de santé qu’il a toujours eus avant même sa détention et du fait qu’il n’est pas pris en charge médicalement, tout comme le reste des détenus. Moralement, je ne sais pas quoi vous répondre. Mais sachant qu’en tant que militant convaincu, Fekhar a toujours eu un moral en acier et une conviction et un engagement inébranlables, mais dans son état de santé actuel, il est difficile de le savoir.
Il aurait dit à son avocat que c’est la liberté ou la mort, est-ce vrai ?
Effectivement, à son avocat qui a essayé de le convaincre pour arrêter sa grève de la faim, ou au moins la suspendre, il a répondu : "c’est la liberté ou la mort". Il faut savoir que ceci n’est ni un acte de désespoir ou un acte suicidaire, c’est plutôt une détermination d’aller avec ce qu’il lui reste comme moyen (son corps) jusqu’au bout de son combat pour sa liberté, mais aussi et surtout celle du peuple mozabite.
Qu’en est-il des autres détenus ?
Franchement, il est de plus en plus difficile d’avoir des informations sur l’ensemble des détenus, car les arrestations d’activistes qui essayaient, justement tant bien que mal, d’informer l’opinion publique continue à ce jour. Mellal Abdelaziz, l’un des rares militants qui sont restés au Mzab et qui essayent d’activer, a été arrêté et se trouve en prison depuis près d’une vingtaine de jours. Noureddine Daddi, Nounou, un autre militant de la société civile, subie intimidations et harcèlements. Il a été enlevé par des policiers la semaine passée pour être relâché après quelques heures. C’est vous dire à quel point il est difficile d’avoir l’information de ce qui se passe au Mzab. C’est la guerre à huis clos qu’a toujours cherché le pouvoir algérien.
Sinon, Sachant qu’ils sont plus de 70 détenus dans des cellules de 36 mètres carrés et qu’ils subissent un traitement inhumain, que beaucoup d’entre eux sont malades, certains mêmes gravement, et ne sont pas pris en charge médicalement, on ne peut qu’imaginer qu’ils sont tous en train de mourir à petit feu. L’administration pénitentiaire se contente de leur donner du paracétamol comme traitement et suivi médical.
Kacem Soufghalem et Brahim Sreaa avaient commencé la grève de la faim avec le docteur Fekhar le 15 novembre pour l’arrêter quelque jours après suite à la dégradation dangereuse de leur état de santé. Cette dégradation n’était pas causée uniquement par la grève de la faim, mais au traitement criminel de l’administration pénitentiaire qui leur a interdit l’eau et le sucre pour les tuer. Elle leur a aussi retiré les matelas et les couvertures pour les laisser dormir à même le sol et sans couverture dans cette période glaciale de la région du Mzab.
Soufgalem a eu, au sixième jour, une hypoglycémie avec une concentration du sucre dans le sang de 0,48 g/l. Il continue toujours de vivre isolé du reste des détenus, il n’a le droit de parler à personne et personne n’a le droit de lui adresser la parole. On lui a délimité un carré dans la cour qu’il ne doit pas quitter sinon il est puni, et toute personne s’approchant de lui ou lui adressant même un simple bonjour est punie.
Combien de militants politiques mozabites sont actuellement en prison ?
Avec l’arrestation d’une trentaine le 24 novembre 2016, ils seraient plus de 160. Nous n’avons pas encore pu avoir leur nombre exact.
Est-ce vrai qu’il y en a des militants politiques qui sont décédés en prison ?
Il y a eu déjà trois morts parmi les détenus. Affari Baouchi et Aïssa Bencheikh, qui sont tombés malades suite à la torture qu’ils ont subie pendant leur emprisonnement. Ils n’ont pas été pris en charge médicalement, et ont été transférés à l’hôpital trop tard. Certainement pour y mourir et non pour être soignés. Un troisième prisonnier, Salah Gueddouh, est mort dans des circonstances douteuses. À tout moment, il peut y avoir d’autres morts sachant que plusieurs sont gravement malades et ne sont pas pris en charge médicalement. On les soigne à l’aide du paracétamol !
Ont-ils tous les mêmes chefs d’inculpation ? De quoi les accuse-t-on ?
Pour ce qui est du Dr Fekhar, il est accusé de 18 chefs d’inculpation. Je ne citerai que les plus graves : incitation à la violence, atteinte à la sécurité de l’État, atteinte à l’intégrité du territoire national, atteinte à l’unité nationale …etc. Dans ces quelques chefs d’inculpation il y a dans la loi algérienne de quoi condamner le Dr Fekhar à la peine de mort. Son groupe, une trentaine, ont pratiquement tous les même chefs d’inculpation. J’aimerais juste insister sur le fait que d’après les avocats des détenus : "les dossiers sont vides". Mais les services de sécurité que nous avons tous vu et que le monde entier a pu voir sur des dizaines de vidéos, associés aux criminels pendant leurs agressions sanguinaires des mozabites, ce sont ces mêmes services qui procèdent à l’arrestation des mozabites. Ils sont chargés de fabriquer des dossiers pour les détenus mozabites. Quelle crédibilité donner à ces services de sécurité de police ou de gendarmerie ou à une justice aux ordres du Wali de Taghardayt Azeddine Mecheri? C’est lui-même qui l’a reconnu dans un discours à l’APW.
Quelle est la situation au pays Mzab depuis la tragédie de 2015 ? Y a-t-il une mobilisation pour les détenus et pour le docteur Fekhar ?
Le Mzab vit depuis 2015 sous pression. Rappelons que le Mzab est sous état d’urgence. Personne ne peut bouger pour dénoncer la répression au quotidien.Tous ceux qui essayent de dénoncer cette répression sont jetés en prison ou contraints à l’exil. Même les simples citoyens qui ne sont pas activistes politiques fuient le Mzab. Rien qu’en 2015 il y a eu plus de 1000 demandes de radiation de registres de commerce. Les gens ne se sentent pas en sécurité ni leurs biens en sécurité. Ceux qui peuvent mobiliser et encadrer toute action pacifique sont soit en prison soit à l’exil.
Y a-t-il un manque de médiatisation de la presse algérienne? Les organisations des droits de l’homme algériennes font-elles quelque chose?
Pour la presse algérienne, à part quelque articles de temps en temps quand c’est l’avocat de Fekhar qui fait une déclaration, malheureusement, c’est le silence. Quant aux organisations des droits de l’homme algériennes, il n’y a que la Ligue Algérienne de la Défense des Droits de l’Homme (LADDH) qui ne cesse d’alerter l’opinion publique et les organisations internationales sur le cas du docteur Fekhar et des détenus mozabites. Rappelons que cette ligue est présidée par l’avocat de Fekhar, Maitre Salah Dabouz.
Mais il y a aussi le silence de la classe politique.
J’aimerais profiter de cette opportunité pour lancer un appel au rassemblement de soutien pour Fekhar et les détenus Mzabs à la place République le 03 décembre 2016 à 15h, et au rassemblement devant la représentation de l’ONU à Paris le 10 décembre 2016.
Mohammed Dabouz (Président de l’association Izmulen pour les droits des At-Mzab et membre fondateur du Comité International pour la Libération de Fekhar et des Détenus Mzabs, CILFDM)
Interview réalisée par Lmulud At Ɛazdin
SIWEL 012033 DEC 16