Témoignage de Tasedda : retour sur 10 h de violence physique et verbale entre les mains de la police coloniale
GOUVERNEMENT PROVISOIRE KABYLE

MOUVEMENT POUR L’AUTODÉTERMINATION DE LA KABYLIE

MAK-ANAVAD

RAPPORT D’AGRESSION D’UN MILITANT PAR LA POLICE/GENDARMERIE COLONIALE

 

Tasedda, militante de la Coordination universitaire MAK-Anavad de Tizi Wezzu

Ce que l’on a vécu à Tuvirett a été d’une violence inouïe. Cela ne fait que commencer, car nous refuserons toujours de plier et nous n’abandonnerons jamais notre lutte tant que la Kabylie n’aura pas acquis son indépendance.

Nous étions une trentaine de militantes et de militants à nous être rendu ensemble à la marche. Nous sommes partis très tôt le matin. Nous avons, contrairement aux autres, miraculeusement réussi à franchir sans difficulté, les centaines de barrages et d’arriver à destination sans problème. À 8 h nous étions déjà sur le lieu de la marche. Nous sommes descendus du bus à quelques mètres du portail de l’université de Tuvirett afin de continuer à pied en nous éparpillant pour ne pas arriver en masse et nous faire repérer.

Des dizaines de policiers étaient déjà sur les lieux. Je marchais avec Arezki, munis de nos sacs à dos, comme de simples étudiants. Nous sommes passés devant les policiers et je lui ai demandé de continuer à marcher et ne surtout pas nous arrêter directement devant l’université avant d’avoir analysé les lieux. Avant même que l’on fasse deux mètres de plus du portail de l’université, nous avons entendu Rachida crier : « lâchez-le, bande de criminels ! ». Nous nous sommes tournés vers l’endroit où elle se trouvait et nous avons aperçu des policiers sortir du palais de justice qui se trouve en face de l’université. Ils étaient finalement cachés à l’intérieur. En deux minutes, la route était submergée par la police. Nous avons rapidement rejoint Rachida pour l’aider à tirer Lazhar des mains des policiers, quand deux policiers en civil se sont jetés sur Arezki et le tiraient par le bras. Je le retenais de toutes mes forces par la main. Je leur ai demandé de le lâcher. D’autres policiers rejoignirent les deux civils et frappèrent Arezki. Ils le traînèrent par terre sans le moindre égard. Je leur ai crié : « lâchez-le, lâchez-le » en vain. À ce moment Rachida s’est jetée dans la rue pour bloquer la circulation, ils se tournèrent vers elle et nous ont lâché.

J’aide Arezki à se relever et nous nous sommes repliés sur le trottoir pour voir qui est là et qui ne l’est plus. Nous avons vu Rachida et Manissa par terre, essayant de bloquer la route. Je les ai rejoints immédiatement et je me suis jeté par terre à côté de Manissa. Nous avons demandé à un automobiliste de s’arrêter, il s’est exécuté de bonne grâce, un policier couru vers lui et lui a ordonné de reprendre sa route. Il nous a alors déviés et a continué son chemin. Arezki m’a relevé et m’a conseillé de faire attention, car il y avait des centaines de policiers civils qui nous guettaient. A peine, avait-il terminé sa phrase, quatre policiers l’entourèrent et le maîtrisèrent avec une violence inouïe. Je le tirais de partout pour le leur faire arracher entre les mains, ils se sont alors tournés vers moi en disant : « attrapez la fille ». Ils commencèrent à essayer de me maîtriser. Celia et Arezki essayaient de me libérer.

Ils réussirent à me libérer. Le temps de reprendre mon souffle et de récupérer le cartable d’Arezki, je découvre que 6 policiers en civil et d’autres en tenue en train de le rouer de coups alors que mon ami était à terre. Ils le traînèrent par les jambes. Je les suivais au pas et me suis jeté sur le dos de l’un d’eux pour détourner leur attention de mon ami afin qu’ils s’arrêtent de le frapper.

Ils m’ont alors attrapé et traité de tous les noms. Ils me traînèrent vers leur véhicule pour me jeter de force à l’intérieur, avant de rajouter successivement Manissa, Celia et Rachida. Ils n’arrêtaient pas de frapper Rachida malgré nos avertissements. En effet, nous les avons informés qu’elle est enceinte, en vain.

En arrivant devant le commissariat, un policier m’a traîné du véhicule au poste en disant aux autres : « 3eytou rejalat yethellaw fihom mlih »(appelez les policières à caractère d’hommes violents pour s’occuper d’elles). Ils nous ont fait monter à l’étage et nous ont enfermés dans un bureau avec 4 policières, dont deux non kabyles. Elles commencèrent à nous fouiller (cela n’avait rien d’une fouille, elles nous tripotaient et agressaient en même temps). Elles enlevèrent même son pantalon à une militante. En constatant que nous portions des t-shirts avec le drapeau kabyle, elles déshabillèrent de force. Dès que l’une de nous résistait, elle avait droit aux gifles et aux insultes. Le comble, c’est qu’elles nous ordonnaient de ne parler entre nous qu’en arabe. Elles sont d’un racisme extrême et d’un anti-kabylisme viscéral.

Elles n’arrêtaient pas d’injurier les Kabyles et de proférer d’immondes vulgarités. Nous avions honte de lever la tête suite à leurs paroles. Jamais de nos vies nous n’avions entendu autant de mots vulgaires, c’était tout simplement dégoûtant …

Après nous avoir confisqués tout ce que nous avons sur nous, les colliers portant l’Aza amazigh, les t-shirts avec le drapeau fédéral, les drapeaux kabyles et tout ce que nous avons dans nos sacs, jusqu’au moindre centime, une policière non kabyle me demanda combien d’argent j’avais sur moi. Je lui faisais signe avec ma main pour lui signifier : « regarde, tu as mon sac entre les mains ». Elle me cria dessus : « ne parle pas en kabyle ». Je refais le même geste qui la mit hors d’elle et s’est tout de suite précipité vers moi et m’a violemment giflé, avant de me plaquer la tête contre le mur en m’injuriant. Puis, elle m’ordonna de ne pas bouger, je suis restée calme un bon moment avant d’entendre Celia lui dire : « ouvrez la fenêtre s’il vous plait, je ne peux plus respirer ». Elles ont rétorqué : « étouffe-toi, si tu veux ». Celia a fini par s’écrouler, elle a eu une crise et nous n’avions pas le droit de la secourir. Je me suis tournée vers elle, en lui disant : « Celia respire doucement s’il te plaît ». La policière s’énerva, car pour elle, j’ai désobéi à ses ordres. Elle se dirigea vers moi, me frappa sauvagement et me cogna la tête contre le mur violemment, en me disant : « si tu te retournes encore une fois je **** ta race.

Elles ont laissé Celia s’étouffer et lui ont jeté de l’eau sur le visage. Celia a alors crié. Je me suis encore adressé aux policières  : « merde, il ne faut pas lui jeter de l’eau ». La non-Kabyle me donna un coup de pied à la cheville avec ses rangers bien solides. J’avais mal. Nous étions désarmées face à des monstres qui maltraitaient la liberté et violentaient la paix. Cette situation m’a fait découvrir l’autre face de la discrimination.

Elles ont fini par faire évacuer Celia dans les couloirs. Toujours allongée par terre, un agent de la  B.R.I s’amusait à lui donner des coups de pied dans le dos, en prétendant qu’elle faisait semblant. Une fois réveillée, les policières la ramenèrent dans la salle où nous étions et allongèrent par terre sous la fenêtre…

Il y avait des chaises dans la salle, mais elles nous interdisaient de nous asseoir dessus. Nous sommes restées dans la salle plus de 10 h, quelques-unes debout, les autres assises par terre. Une fois passées aux PV, nous refusions de signer. Elles se sont alors énervées. Chaque fois que l’une de nous revenait du bureau où l’on faisait les PV, les policières la poussaient et lui donnaient des coups jusqu’à la cellule où nous étions enfermées.

Elles ont ensuite décidé à nous punir davantage pour ne pas avoir signé. Elles ont d’abord fermé les fenêtres, toutes les fenêtres disant : « li bghat tasfiksi tmout eh bah tmout » (celle qui risque de s’asphyxier et mourir bah qu’elle crève). Ensuite, elles nous interdisaient de boire de l’eau, pas une seule goutte et à la fin, elles nous interdisaient d’aller aux sanitaires. La policière kabyle a voulu accompagner Manissa en cachette, quand la non-Kabyle la rencontra dans le couloir, elle leur a fait faire demi-tour, en disant : « celle qui veut passer aux sanitaires n’a qu’à garder ses besoins chez elle, ou dans son pantalon ».

Plus tard, après plusieurs demandes, elles ont fini par accepter de nous conduire aux sanitaires, mais à condition que la porte reste ouverte. Elles voulaient nous intimider. Nous avions utilisé les sanitaires la porte ouverte. Une fois revenues, c’était Tannirt qui voulait vomir. Restée debout des heures, elle n’en pouvait plus. Elle voulait s’asseoir. Elles lui ont dit : « vomi par terre si tu veux, mais hors de question de bouger ». Elle  commença à vomir, quand elles rajoutèrent : « si tu vomis sérieusement, on va l’essuyer avec ton t-shirt et te le faire porter ».

Elles étaient inhumaines. Tannirt a fini par vomir. Elles ont alors fait sortir Rachida, Tannirt, Manissa et Thiziri dans une autre salle où Thiziri s’est écroulée. Elles ont fermé les salles et ont interdit à quiconque d’évacuer qui que ce soit à l’hôpital. Alors que leurs propres médecins avaient insisté sur l’urgence des cas.

Après plus de 10 h de torture morale, de violences physiques et verbales, j’ai été la première à être libérée. Elles m’ont jeté dans la rue et ne voulaient pas me donner la moindre information sur les autres. Je sors en regardant derrière moi. J’étais à bout de forces. Je vois 5 militants dehors, dont Yacine et Larbi Yahioune. Je les ai rejoints et nous avons attendu ensemble les autres dans une terrasse publique à côté du commissariat.

Les militants commençaient à être relâchés un par un. Nous étions une vingtaine de militants et de militantes quand la police a débarqué encore une fois pour nous chasser de la place. Ils nous ont pourchassés sur plus de 600 mètres. Nous avons voulu nous arrêter dans un restaurant pour manger, ils nous ont dit : « c’est interdit, rentrez, en Kabylie à Tizi, manger chez vous ». Nous leur avons répondu : « Tuvirett est kabyle, on est chez nous ». Ils nous ont tout de même interdits de manger et de nous arrêter. Ils nous ont escortés très loin du commissariat avant de faire demi-tour et de nous laisser sous la surveillance de quelques policiers. La B.R.I a débarqué avec ses 4×4 et nous a demandé de quitter les lieux, avec menace de nous faire passer la nuit au commissariat…

Nous sommes rentrés chez nous, nous étions exténués. C’était affreux, nous avons mal partout, mais notre détermination s’était décuplée. Nous gardons alors le sourire aux lèvres et le combat en tête. Nous ne plierons jamais et nous ne céderons jamais à leur barbarie ! Ils peuvent nous tuer, d’autres générations encore plus fortes viendront poursuivre le chemin. Ils ne peuvent assassiner ni la liberté ni la vérité, nos deux moteurs.

A gauche, mon bras. A droite, celui de Manissa.

Tasedda, militante de la Coordination universitaire MAK-Anavad de Tizi Wezzu
SIWEL 241017 May 17 UTC

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