QUIMPERLÉ (SIWEL) — Aux « regards croisés sur le monde » qui ont tant fait grincer des dents les barbouzes arabo-islamistes algériens, la lecture du témoignage de M’ Jean Etienne Le Roux sur son expérience en Kabylie en tant qu’enseignant à Larv3a Nat Yiraten de sept 1969 à juin 1974, a dû en rajouter à leur urticaire.

Nous publions ci-après le texte et la vidéo de la lecture de ce témoignage lu par Mme Christiane Serir à Quimperlé

 

UNE FAMILLE BRETONNE EN KABYLIE (1969-1974)

TEMOIGNAGE

Je suis arrivé en Grande Kabylie en compagnie de ma femme et de notre fils âgé de deux ans et demi en septembre 1969. Nous devions accomplir deux années d’enseignement au Collège Mouloud Feraoun de Larbaa Nath Iraten ; finalement nous ne sommes revenus en France que cinq années plus tard, en juillet 1974.

Nous avons fait le voyage en voiture depuis la Bretagne par l’Espagne, le Maroc jusqu’à la frontière d’Oujda. Le jour de notre arrivée le temps était pluvieux et le brouillard épais à Larbaa, proche du Durdjura, à 950m d’altitude, alors que dans la plaine Tizi Ouzou bénéficiait d’un beau soleil de septembre. Par la suite je ne serai plus surpris par ces changements de temps soudains propres à cette région montagneuse.

Nous nous sommes garés au centre ville près de la Mairie. Un homme jeune est rapidement venu vers nous ; il nous a guidés vers « L’Hôtel de France » et nous a fourni tous les renseignements nécessaires pour les jours à venir. Peu de temps après il nous a reçu chez lui dans le village où il était instituteur, à quelques kilomètres de Larbaa vers Michelet ; je crois me souvenir que des scènes d’un film avaient été tournées là avec l’actrice Marie Josée NAT. Ce sens de l’hospitalité nous a agréablement surpris, et nous apprendrons plus tard que cette valeur est profondément inscrite dans la culture kabyle.

Assez rapidement l’intendant du collège, Mr Abbès, nous a proposé une petite maison en location, en-dessous du verger de la famille Ouar avec laquelle nous avons entretenu de forts liens d’amitié durant les 5 années de notre séjour. De notre domicile nous pouvions rejoindre le collège à pied.

Ma femme et moi avons enseigné le français et la géographie dans les classes de 5ème, 4ème et 3ème ; ces classes étaient chargées mais avec des élèves studieux en grande majorité, des élèves volontaires et courageux dont certains venaient en cours de très loin par tous les temps ; il y avait en eux une très grande motivation dont plus tard je comprendrai les multiples raisons, avec souvent beaucoup d’émotion.

Grâce à la Géographie nous voyagions dans les pays du Maghreb ; en français j’utilisais autant que possible des textes d’écrivains kabyles, berbères. Par le biais de l’expression écrite et orale nous traitions des sujets d’actualité tels l’émigration, la vie au village avec ses traditions… Les débats étaient souvent passionnants, et j’apprenais beaucoup de mes élèves !!! Ma démarche pédagogique, comme celle de ma femme, était centrée, dans un premier temps, sur le vécu des élèves qui appréciaient à cette occasion le droit à l’expression libre, orale et écrite.

J’ai gardé en mémoire certains visages, le décor des classes avec le petit poêle rond près de la porte d’entrée. Je me souviens du regard sévère du directeur, Mr Chelah, un homme cultivé et compétent dans sa tâche difficile. Un jour il m’a invité dans son bureau ; il m’a tendu un livre ; il s’agissait d’une grammaire de la langue bretonne !!!! Derrière ce geste il y avait peut-être un message ?

Je revois des anciens élèves, aujourd’hui cinquantenaires et plus ; nous échangeons du courrier, nous nous téléphonons. Les rencontres organisées chez Saïd et Christiane SERIR… sont toujours empreintes d’émotion et de fraternité ; nous nous sentons égaux dans nos différences, au-delà de nos origines géographiques, culturelles, historiques… Des frontières qu’il est aisé de franchir dans un esprit de reconnaissance et de connaissance de l’Autre.

Il est un sujet que nous évoquons souvent : la Chorale du collège, notre chorale ! Dès que j’ai eu l’occasion d’écouter des chants kabyles je me suis rendu compte que ces mélodies ressemblaient fortement aux mélopées bretonnes de par leur caractère modal et les modes utilisés ; leur aspect linéaire dépourvu de violence dans l’expression était aussi un trait commun . Il m’est alors venu l’envie d’écrire certaines mélodies puis de tenter une harmonisation à plusieurs voix. Ainsi est née la Chorale Mixte du collège, avec l’autorisation du directeur Mr Chelah. Je mémorisais les chants et les harmonisais en leur apportant un élément de ma propre musique, la polyphonie ; c’était un mariage qui brisait une frontière…Au final leur caractère kabyle était conservé grâce à l’interprétation du chant, à l’utilisation de la derbouka et du tar. J’ai récemment offert ces deux instruments, que j’avais conservés précieusement, à Saïd Sérir qui les a placés dans son musée personnel de souvenirs, avec des photos et d’autres objets.

Nous avons donc créé un répertoire ; pour moi qui ne pratiquais pas la langue kabyle ce fut ardu ! Je menais l’apprentissage en utilisant une phonétique approximative qui faisait bien rire les choristes ! Pendant quatre années cette chorale a fonctionné ; nous avons chanté plusieurs fois à Tizi Ouzou, puis à Blida, Alger, Sétif, Dellys ; nous avons eu droit à un reportage sur la chaîne de la Radio Kabyle.

En avril 74 nous avons participé au Festival du Chant Choral de Sétif ; il y avait au programme un prix pour la meilleure polyphonie, et très honnêtement nous le méritions ; il nous a été refusé ; je pense que ma présence posait problème, ce que je pouvais comprendre, mais j’étais très déçu pour les élèves qui ont d’ailleurs manifesté leur colère. Ils étaient, une fois encore, blessés dans leur kabylité ; ils se sentaient exclus.

Quelques semaines plus tard, peu de temps avant notre départ de la Kabylie le Collège de Larbaa Nath Iraten a reçu un document de reconnaissance en provenance de Sétif ; un écrit sur papier ; il s’agissait manifestement d’une forme d’excuse.

Depuis cette époque, les musiques kabyles et bretonnes ont fait le choix de la polyphonie en utilisant la guitare, d’autres instruments, des chœurs ; mais elles conservent leurs chants traditionnels monodiques, ces longues complaintes poétiques, qui parlent souvent de drames et d’amour, telles les « gwerzioù » de chez nous. Des chanteurs-compositeurs kabyles collaborent avec des chanteurs bretons. Cela me réconforte quand je pense aux modestes essais polyphoniques de notre chorale il y a maintenant… 45 ans !

En conclusion je dirais que nous avons vécu deux types de coopération : l’une VIRTUELLE établie entre nos pays respectifs, l’autre REELLE sur place, à Larbaa, au quotidien ; je n’ai pas oublié les amitiés nouées avec nos voisins, des parents d’élèves, des commerçants. Nous sommes revenus en Bretagne riches de cinq années vécues en Kabylie, avec des convictions plus fortes sur la nécessité de s’ouvrir à l’Histoire et à la Vie des autres peuples. Hélas ! Le pire ennemi de l’Homme est l’Homme lui-même : l’actualité nous le montre chaque jour.

Quand nous sommes partis en juillet 1974 mon fils aîné, scolarisé près de chez nous parlait couramment le kabyle ; mon second fils est né à l’hôpital de Larbaa en avril 71 ; il travaille dans le milieu culturel breton et sa fille de 13 ans est bilingue comme son père.

La Kabylie souffre aujourd’hui ; on assassine chez elle, on brûle des forêts chez elle, on emprisonne et on torture chez elle… L’Histoire des peuples balbutie ; les mêmes erreurs se répètent : prendre le pouvoir, avoir de l’argent, beaucoup d’argent, et éliminer les gêneurs en tournant le dos aux préceptes d’une religion pourtant érigée en religion d’Etat… Quel cynisme ! Quelle cruauté ! L’Homme serait-il le seul animal capable de tuer son semblable ?

Novembre 2015
Jean Etienne Le Roux

Laisser un commentaire