PARIS (SIWEL) — Le ministre du Gouvernement provisoire kabyle en exil (Anavad), chargé des Relations avec les institutions et les organisations politiques françaises, M. Nafa Kireche, a accordé aux rédactions de Siwel et de Tamurt une interview dans laquelle il revient sur le succès de la commémoration du 20 avril ainsi que sur les actions de l’Anavad.
Nafa Kireche : La réussite de cette commémoration, où nous avons constaté une plus forte mobilisation que précédemment, est d’abord le résultat du travail de fourmis effectué par les militants du MAK, avec à leur tête Bouaziz Ait-Chebib.
Malgré la couverture partiale et tendancieuse de la presse algérienne, qui tente déséspérément de minimiser l’influence du courant nationaliste kabyle, la réalité saute aux yeux : le peuple kabyle est bel et bien derrière le MAK et le GPK.
Concernant le RCD, nous sommes toujours heureux de travailler à l’unification des rangs en Kabylie. D’ailleurs, les présidents du GPK et du MAK n’ont cessé d’appeler au renforcement des liens entre forces politiques kabyles pour la liberté de la Kabylie.
Pour autant, il n’y a pas d’alliance avec le RCD. Une alliance ne peut avoir lieu qu’après des négociations entre états-majors des différentes parties, ce qui n’a jamais eu lieu. C’est une marche commune ponctuelle, de circonstance, mais pas du tout une alliance politique. Le MAK oeuvre à l’autodétermination de la Kabylie, travaille pour que le peuple kabyle accède à une souveraineté pleine et entière et ne se compromettra jamais avec le régime algérien. Aucune alliance politique ne pourra avoir lieu en dehors de cette base.
Ceci a d’ailleurs été consigné lors du dernier conseil des ministres du GPK.
Peut-on parler d’un retour de l’intérêt des Kabyles pour le combat politique ?
Il est indéniable qu’après les évènements du printemps noir, nous avons pu constater un désinvestissement des Kabyles pour la chose politique. Ce phénomène était tout à fait compréhensible compte-tenu du grand déséquilibre entre les sacrifices consentis et les maigres acquis obtenus.
Je pense même qu’au vu du désastre et de l’impasse dans laquelle se trouve l’Algérie, après 50 ans d’indépendance, les Algériens en général, et surtout les Kabyles, ont fini par ne plus lier leur avenir à celui de leur pays. Ils projetent leur avenir et celui de leurs enfants vers les pays occidentaux. Ceci explique également la désaffection des Kabyles pour la lutte politique et pour le devenir de leur pays. Dès lors qu’ils rêvent de se réaliser ailleurs, ils ne s’investissent que dans la course aux visas vers les pays occidentaux.
Dans ce contexte, seul le projet du MAK et du GPK est perçu comme un grand espoir par le peuple kabyle. En effet, notre objectif est de doter la Kabylie d’une école rationnelle dans laquelle le kabyle sera la langue officielle, d’une économie libérée de la corruption et de la rente, d’ancrer la Kabylie dans son environnement méditerranéen et africain et encourager les gens à reprendre goût à la vie, loin de la culture de la mort véhiculée par l’arabo-islamisme de l’Algérie.
La Kabylie reste divisée politiquement. Quelles sont pour vous les courants politiques qui traversent la région de manière significative ?
Sans l’idéologie arabo-islamique, la Kabylie vivrait depuis longtemps sous un régime de démocratie pleine et entière. Tous les historiens sérieux sont d’accord pour lui reconnaître un socle de pratique démocratique par le biais notamment de"Tajmaat" et de la liberté de culte qui y prévaut. Un territoire, une langue, une culture et une histoire communs permettent d’accéder à un avenir collectif qui ne peut être matérialisé que par un Etat qui lui est propre. Son rôle étant de sauver la Kabylie de la disparition, assurer la sécurité des Kabyles et promouvoir la culture, le savoir, les questions d’égalité entre les gens.
Cette homogénéité n’empêche évidemment pas la pluralité des opinions.
J’identifie trois tendances politiques lourdes en Kabylie, qui tentent de solutionner la problématique kabyle.
La première tendance est la tendance idéaliste : les tenants de la grande "Tamazgha".
La deuxième tendance, ancienne, est la plus prégnante : les tenants d’une Algérie algérienne, dans laquelle tamazight ne serait qu’une langue officielle aux côtés de l’arabe. Cette tendance est d’ailleurs incarnée par certains animateurs du “printemps berbère” de 1980 ayant oublié de renouveler leur logiciel de pensée, de l’adapter au présent. Ils ont fait fi des évènements qui se sont produits entre-temps : la grève du cartable, l’assassinat de Matoub Lounès, le “printemps noir”, la marche du 14 juin 2001, réprimée sauvagement par le régime, les échecs désormais avérés de la stratégie "algérianiste" du FFS et du RCD.
Pour schématiser, on peut dire aujourd’hui que cette tendance est en déclin. Elle est d’ailleurs représentée aujourd’hui par Hend Sadi, pour le RCD et Djamel Zenatti pour le FFS.
La dernière tendance est le résultat d’une vraie réflexion et d’une véritable autocritique sur la stratégie suivie jusqu’au printemps noir : le courant nationaliste kabyle, incarné par le MAK et le GPK. Cette dernière tendance pense que, sans une entité politique, il n’y a point de salut pour la Kabylie. Ses valeurs et ses symboles seront condamnés à une lente extinction. Les laisser aux mains d’un régime dont l’antikabylisme lui est consubstantiel est une responsabilité que nous refusons d’assumer. Nous la laissons aux tenants du nationalisme algérien.
La presse algérienne a relayé des interviews et des contributions de certains acteurs du printemps berbère de 1980. Que pensez vous de ces interventions ?
Il est toujours bon de prendre connaissance de l’avis, du regard de certains acteurs qui ont participé au printemps berbère de 1980. Nonobstant le respect que je porte à ces personnes, des choses me choquent. Ainsi deux contributions m’ont interpellé : celle de Djamel Zenati et celle de Hend Sadi.
Zenati lie la question de Tamazight à celle de la démocratisation de l’Algérie. Il ne veut pas de Tamazight sans démocratie. On ne peut pas lier son identité à la nature d’un régime politique. Cela revient à attendre la démocratisation de l’Algérie (quand ??) pour mettre la question de Tamazight sur la table… Ce n’est ni responsable, ni pragmatique.
En ce qui concerne Hend Sadi, j’ai cru comprendre qu’il avait lancé des piques, aussi inutiles qu’injustes, contre Ferhat Mehenni, le président du GPK et contre le Mouvement Citoyen, tout en préservant, bien évidemment, l’ex-direction du RCD, dont son frère a été président pendant 20 ans… Ainsi, il a insinué que Ferhat Mehenni aurait eu des relations avec les généraux algériens en lui accolant le nom du général Betchine, sortant évidemment totalement cette "rencontre", qui aurait eu lieu en 1994, de son contexte. Il est pourtant de notoriété publique que ce n’est pas Ferhat qui a signé l’accord avec Betchine mais bien le RCD.
Le grand Mohand Arab Bessaoud, fondateur de l’académie berbère, dans son livre "les petites gens pour une grande cause" en a bien cerné le profil. Bessaoud avait mis en garde les Kabyles contre ce genre d’individus en disant : "chaque fois qu’une organisation kabyle fonctionne, on l’infiltre, on la dévoie, on la récupère et, si on y parvient pas, on la détruit".
Hend m’inspire également l’histoire de la grenouille et du scorpion qui se rencontrent devant une rivière. Le scorpion demande à la grenouille de l’aider à traverser la rivière en le portant sur son dos. La grenouille lui répond : "hors de question ! je ne peux pas avoir confiance en toi, tu risques de me piquer". Le scorpion tente de rassurer la grenouille en lui disant qu’il ne pouvait pas la piquer car ils se noieraient tous les deux. La grenouille se laisse convaincre et transporte donc le scorpion sur elle. Au milieu de la rivière, la grenouille sent une pique… La grenouille réagit : "qu’as-tu fait ? nous allons couler tous les deux…". Le scorpion réalise : "je n’y peux rien, c’est ma nature".
Vous avez évoqué, il y a quelques mois, la démarche de Ferhat Mehenni pour obtenir un statut de réfugié politique auprès de l’OFPRA. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ferhat Mehenni n’a toujours pas de passeport et cela handicape la cause kabyle, car Ferhat ne peut pas voyager. Par respect au peuple kabyle et à son statut de président du Gouvernement Provisoire Kabyle, il se sent moralement en devoir de ne pas renouveler son passeport auprès des autorités algériennes qu’il combat. Il tient par dessus tout à l’honneur de la Kabylie.
C’est un sacrifice de plus de sa part pour le peuple kabyle.
ol/wbw
SIWEL 122321 MAI 13