ANALYSE (SIWEL) — Les journaux algériens ont rapporté la fin de semaine dernière qu’Algérie Poste a officiellement entériné la décision d’arabiser ses services et de retirer de la circulation tous les documents en français lors de la réunion de son conseil d’administration en date du 04 juillet dernier, sous la présidence de la ministre algérienne de la Poste et des technologies de l’information et de la communication, Houda-Imène Feraoun. Pour l’instant, sur le site d’Algérie Poste il n’y a aucun communiqué. Les sites d’information qui ont rapporté l’information citent tous le journal arabophone Echorouk, apparemment le seul à avoir eu copie du procès verbal, en arabe, de la dite réunion.
Le journal Liberté, dans son édition du dix juillet, précise que cette initiative ne concerne que les documents internes, ceux des gestionnaires ainsi que les documents interinstitutionnels comme la communication avec la Justice. Alors, quel intérêt aurait Echorouk de distiller une telle information dans l’esprit du public. S’agit-il d’une décision authentique dont Echorouk a eu l’exclusivité par anticipation? D’un test du régime algérien en vue de mesurer la réaction du peuple, prélude à la réactivation de la fameuse loi sur l’arabisation ? Ou alors s’agit-il d’un test mesurant la réaction des amazighophones quant à la réservation du statut de « langue officielle de l’État » à la seule langue arabe ?
Dans tous les cas, la Kabylie doit se tenir prête à réagir et ce pour plusieurs raisons.
Le statut de langue nationale et officielle
Citant le journal arabophone Echorouk, apparemment le seul à avoir eu copie du procès verbal, en arabe, de la dite réunion, certains sites algériens d’information rapportent que la décision est prise de supprimer la langue française de ses services et la remplacer par « la langue nationale » (c’est le cas des sites observealgerie.com et algerie-focus.com, traduisant lougha wataniya). L’allusion est ici faite à la langue arabe, évidemment. La question qui se pose est pour quelle raison aurait-on décidé d’ignorer le fait que la constitution algérienne reconnait deux langues nationales et officielles, l’arabe et tamazight. Aussi, pourquoi aurait-on privilégié le statut de « langue nationale » au lieu de celui de « langue officielle », sachant que c’est ce dernier qui détermine le choix de la langue à utiliser dans des situations officielles relevant de l’État. Est-ce par ignorance ou maladresse, ou est-ce plutôt une préparation des esprits pour rouvrir le débat avant de remettre en question le statut accordée aux langues amazighes, auxquelles on a préféré utiliser le nom générique singulier « tamazight » dans la constitution algérienne?
Qui serait derrière cette décision ?
D’aucuns sont choqués par le fait que cette décision ait été prise lors d’une réunion présidée par la ministre de la Poste et des technologies de l’information et de la communication Houda Imène Feraoun, elle qui est vue comme une moderniste, pragmatique, intelligente et pas du tout préoccupée par l’arabisation.
Cependant, nous connaissons toutes et tous la marge de manœuvre étroite des ministres en Algérie. Inutile de perdre notre temps à analyser le discours arabo-nationaliste (et non pas nationaliste tout court) du régime algérien. Disons seulement que les généraux qui tiennent les vrais rennes du pouvoir sont dans l’obligation de plaire tantôt au courant arabo-nationaliste, tantôt au courant islamiste, pour acheter la paix politique. Ces deux courants n’ont jamais quitté la scène politique, ni le pouvoir en Algérie et ce depuis la nouvelle colonisation Ouedjdienne en 1962. En effet, cette année-là, il y eut passation de pouvoir entre deux pouvoirs coloniaux comme disait Kateb Yacine. En 1962, l’Algérie française est partie tandis que l’Algérie arabo-nationaliste a pris sa place disait le dramaturge kabyle Muhya.
Nous devons changer notre perception des langues arabe et française en Kabylie
Le régime algérien aime continuer à nous berner. En 2017, il veut encore nous faire croire qu’il s’attaque à la langue française, la langue du colon, sorti en 1962.
La France et la langue française, c’est de bonne guerre, il faut la faire durer autant que possible, elle permet de chauffer à blanc les « nationalistes » algériens, toujours prêts à cracher leur venin dès qu’il s’agit de la France, d’Israel, des Étas-Unis et du Maroc. Cette « bonne guerre » sert aussi à cuiter les Algériens pour les détourner des vrais problèmes internes, de la corruption, de la fraude électorale et de la mauvaise gouvernance.
En réalité, la langue française n’est plus la langue du colon. La langue du colon maintenant c’est la langue arabe classique, pompeusement appelée langue standard, qui n’est la langue maternelle de personne, mais sortie droit des laboratoires du nationalisme arabe. En réalité, la langue française est un rempart contre l’arabisation et la salafisation des esprits car le discours salafisant est véhiculé plus en arabe qu’en français et l’inverse est aussi vrai, le discours anti-salafisant est véhiculé plus en français qu’en arabe. Par conséquent, il devient nécessaire de couper le peuple du peu d’élite francophone qui existe encore en Algérie.
Mais s’agit-il de l’arabisation des Algériens ou de l’arabisation de la Kabylie ?
Les Algériens sont déjà arabisés. Ce que les nationalistes arabes algérien veulent maintenant, c’est l’exclusivité de la langue arabe. Ils veulent que les Algériens cessent de lire et d’écrire en français pour n’utiliser que la langue arabe dite standard. S’il est vrai qu’il existe encore une certaine élite algérienne francophone, cette dernière ne refuse pas de s’arabiser par peur de perdre son identité, mais seulement par peur qu’elle et sa progéniture ne puissent plus avoir accès à une certaine culture et une certaine littérature, exprimée et écrite en français, et au monde francophone de façon générale. Cependant, le prix à payer pour cette élite algérienne n’est pas exorbitant, un deuil de quelques années seulement ou d’une génération tout au plus. Après cela, tout le monde sera rentré dans le moule arabo-islamique et le français ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
En revanche, il en est tout autrement de la Kabylie car le prix à payer est beaucoup plus lourd. En effet, l’arabisation de la Kabylie lui coûtera son identité ainsi que son âme. Une fois la Kabylie arabisée, il n’y aura plus de différence entre les Kabyles et les algériens déjà arabisés et c’est exactement ce que le régime algérien a toujours voulu faire. Mais l’arabisation de la Kabylie tarde à se faire, la Kabylie résiste encore. Là aussi, elle peut seulement continuer à résister si elle a une langue alternative qui lui permet de s’exprimer et de véhiculer ses idées. À l’heure de la technologie de l’information et des réseaux sociaux, ce rôle n’est pas joué par la langue kabyle mais par le français. La langue kabyle n’est pas prête encore. Pour les idéologues arabo-islamistes du régime algérien, le temps presse, il faut vite arabiser cette Kabylie avant que la langue kabyle ne soit réanimée, elle qui souffre du retard aux niveaux de la transcription, du lexique moderne, technique et scientifique et celui de la standardisation. Le laps de temps est donc court. Par conséquent, il faut vite empêcher à coup de lois l’usage de la langue française en Kabylie.
Pourquoi la poste ?
Il est quand même paradoxal que ce soit la poste qui ait décidé, en tant qu’institution, d’appliquer la loi sur l’arabisation. Ce paradoxe n’est qu’apparent. D’abord, c’est parce que pas un seul secteur, pas une seule personne ne pourra y échapper tant tout le monde l’utilise et qu’elle a le monopole sur certains services. Ensuite, elle est présente dans toutes les localités kabyles, ce qui signifie qu’elle va renforcer l’arabisation de l’environnement en Kabylie. Et, enfin, l’arabisation de l’environnement crée un conditionnement psychologique. C’est-à-dire, une génération qui sera née dans un tel environnement ne pensera pas à le changer, l’idée n’effleurera même pas les esprits. Qui osera parler de désarabiser l’environnement en Égypte aujourd’hui ? Et bien, il en sera de même pour la Kabylie, si rien n’est fait, et très vite.
Karim Achab
SIWEL 101736 Jul 17 UTC