DIASPORA (SIWEL) — » « Le parfum de la terre », le recueil de Rezki Rabia titré génériquement « Tafenda n wakal », se capture la fraîcheur continue d’une inspiration solennelle à chaque tournement de page que l’ont peut aisément adopter à caresses nues. Un ouvrage de 73 pages non disjoint de la commune mémoire de la langue kabyle et de son devenir, où le poète prend sien l’art d’envisager de nouveaux types de relations avec la poésie kabyle sans le souci de perplexité dans le savoir l’écrire et aussi dans le savoir la lire dans un filet d’encre et dans un filet de voix. » Par Djaffar Benmesbah
Cet enfant de la crête rouge, petit village perché au socle du Djurdjura qui le nourrit toujours de sa puissance et de son souffle, s’est donné très tôt au labyrinthe des questions formatrices errant d’une lecture à une autre dans les ombres séduisantes des poètes anciens. À seize ans commençait pour lui l’enthousiasme de faire rejaillir son intérieur dans une saccade d’émotions qui le projetait au-devant de lui-même ; ainsi débutait l’aventure poétique qui fait de lui aujourd’hui un repère cohérent et consistant, charmant ses contemporains et voué à devenir une école kabyle pour les générations futures.
Kabyle à l’entrain indomptable et à l’énergie sereinement animée, refusant de s’enclore dans le strict établi ou toléré par la bêtise de la pensée unique régissant l’école de sa jeunesse dans une Algérie qui fuyait obstinément l’universalité, il s’ouvrait à une constante mutation intellectuelle à travers les inquiétudes, les impatiences et les espérances des autres auteurs interdits. Comme il a traduit M. Ferraoun, T. Djaout, S. Mekbel, M. Mammeri, il a su enrichir la poésie kabyle par la force de son insurrection des noms de A. Rimbaud, C. Baudelaire, R. Desnos, J. Prévert, L. Ferré, G. Lorca, P. Niruda, N. Hikmet, F. Nedjm, G. Apollinaire, J. Goethe , J.L.Moreau… pour ne citer que ceux-là.
Tout comme ses pairs, Rezki Rabia a été promis à son calice d’exil sans pourtant aller au-delà du reniement de ce qu’il pouvait penser ou saisir des insatisfactions et des contradictions de l’éloignement. D’abord un séjour en Belgique entre 1979 et 1981, puis un retour à la terre natale dans une tentative de réconciliation avec les pages écrites sous l’oppression. L’étouffement est pesant, il adhère volontiers aux plates-formes de revendications dans les universités avec ses espoirs et ses colères. En 1985, il s’installe dans Paris. La chance lui sourit coté sentimental, il rencontre Nadia, une franco-kabyle qui deviendra sa muse et dont la générosité se divulgue dans le soutien et l’assistance aux malentendants. Dans l’amour, il trouve refuge et dans la poésie, une force capable de le dégager des contraintes formelles de l’exil et de bousculer la navrante déperdition d’efficacité critique d’une diaspora face aux événements qui secouaient sans cesse sa Kabylie qu’il place désormais au centre de la réflexion cruciale.
Dans son recueil se traduisent distinctement le réel et idéal, les ruptures et les attaches dans une avancée de recherches où la langue se bat pour sortir l’opprimé de l’inconnu avec la ferme volonté de ne jamais se délaisser de ses principes.
Avec Nadia, il entame une expérience théâtrale qui lui fera connaitre les planches aux cotés de N. Belaid dans une pièce de S. Chertouk " Dda Moqrande" qu’il traduit lui-même du français et mise en scène par M. Touta. Dans la lancée, il s’essaie à la création par l’écriture d’une pièce "Tid n tlawin", (Ruses de femmes). Nous le trouverons poétisant à voix haute dans "Écrivain Public" avec N.Moualek et Y.Dirami. Aujourd’hui, il continue l’expérience avec la troupe "La Compagnie Dassyne"
Rran aεdil d aberkan
Ɣef tefsut mm ijeǧǧigen
Ẓẓan deg ul asennan
Nɣan-ten d imejṭuḥen
Imeṭṭi yuzzel am aman
N lxalat yettmeǧiden
Mi nruḥ ad nemmager tafsut
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig
I aɣ-d-immugren d lmut
Rrṣas deg-neɣ yettcerrig
Atah ufus-iw d ilem
D idmaren-iw i awen-fkiɣ
Aldun deg-i igezzem
Mi ɣliɣ d akal i yeččiɣ
I tmurt qqleɣ d asirem
Am teslent deg-s ad d-mɣiɣ
Mi nruḥ ad nemmager tafsut
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig
I aɣ-d-immugren d lmut
Rrṣas deg-neɣ yettcerrig
Ssemman-as madden tafsut
Ɣur-neɣ teḍla tibuxxin
Qqaren-aɣ telha tatut
Asuref yella di ddin
Nekkni i jerben lmut
Ɣer tmeqbar i aɣ-ttawin
Mi nruḥ ad nemmager tafsut
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig
I aɣ-d-immugren d lmut
Rrṣas deg-neɣ yettcerrig
Yezza tagersa deg ul
Igzem-aɣ am tqeṭṭiḍin
Anza-nneɣ deg-s yeggul
Ad tent-yečč d tisemmamin
Kečč yettbabban aɣyul
Ad ak-nerr ansi ik-id-wwin
Mi nruḥ ad nemmager tafsut
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig
I aɣ-d-immugren d lmut
Rrṣas deg-nneɣ yettcerrig
Tamurt-iw terfed tadist
Nezga nettεassa fell-as
Atan tebda tettinit
Ilul-d wayen nettalas
Ad awen-nesseww qeḍran
d lḥentit Kunwi ileqqmen tikerkas
Mi nruḥ ad nemmager tafsut
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig
I aɣ-d-immugren d lmut
Rrṣas deg-nneɣ yettcerrig
Qqaren-aɣ medden acuɣer
Ass-a tugim ad ttettum
Nekkni yeṛwan ademmer
D idammen-nneɣ i yettsummun
Nutni i d-yeglan s lεeskker
Ssaramen ad aɣ-kfun
Mi d nruḥ ad nemmager tafsut
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig
I aɣ-d-immugren d lmut
Rrṣas deg-nneɣ yettcerrig
Mmelt-iyi amek ad asen-nini
I yimejṭaḥ i d-ittlalen
Ma yella nettu ass-nni
Ideg i d-bran i yiḍan
Tram ad aγ-tqucem d tirni
Am umγar am luffan
Mi nruḥ ad nemmager tafsut
Yal yiwen yewwi ajeǧǧig
I aɣ-d-immugren d lmut
Rrṣas deg-nneɣ yettcerrig
Ass-a fkiγ-ak-t d asefru
Azekka ad ak-yuγal d ajjenwi
Deg wul-ik ara yentu
D tameddurt-ik ara yawi
Tallest-ik ad as-nebru
Aɣebbar-ik at nezwi
Vous avez drapé de noir / Le printemps aux mille couleurs / Vous avez semé le désespoir / Tant d’enfants que vous avez assassinés / Nos larmes sont votre victoire / Les cris de nos mères accroissent vos satisfactions. Nous voulions accueillir le printemps / Une fleur dans chaque main / Mais la mort était au tournant / Tant de balles nous déchirent / Je suis venu les mains nues / La poitrine offerte / Vous avez tiré sans retenue / Vous avez causé ma perte / Tombé, je prépare ma mue / Je pousse tel un peuplier, la feuille verte.
…/… Maintenant que ma terre est fécondée / Nous serons ses gardiens et ses remparts / Elle est sur le point d’accoucher / D’une révolte qui fera votre cauchemar / À l’amertume, à la douleur, vous gouterez / Vous les médiocres, vous les ignares
…/… Ce poème n’est point un cri d’amour / Demain, il sera mon arme / Tu connaîtras la mort à ton tour / Tu goûteras le sel des larmes / À ton obscurité succédera le jour / Sur nos terres régnera le calme
Nietzsche disait : « Les poètes, étant donné qu’eux aussi veulent alléger la vie à l’homme, détournent leur regard du présent pénible ou aident le présent à prendre, par une lueur qu’ils font briller du passé, des couleurs nouvelles. Pour y réussir, il leur faut être eux-mêmes à beaucoup d’égards des êtres tournés en arrière : en sorte qu’ils peuvent servir de pont, pour mener à des époques et à des idées très lointaines, à des religions et à des civilisations mourantes ou mortes. » Vers le printemps noir, Rezki Rabia se fixe le devoir de se retourner pour mieux travailler sa mémoire et tendre vers la clarté tout en restant solidaire avec la réalité. Une poésie concrète et radicale qu’il a de ses brisures, il heurte le silence avec ses plaintes et ses éloges soutenus de la langue de la valeur et du sentiment. Sa brise est assidûment en alerte quand les désespérés déclarent les lendemains fichus, sa glèbe obéissante aux libertés se défriche à chaque fois loin du repos et les richesses à profil bas. Fol amoureux des mots, ses élans séducteurs font éclater l’endurance des bourreaux. Sa nature porte en elle la confiance nostalgique qui arme les sourires et les décompose en écriture. "Tafenda n wakal", des mots, des instants où la trajectoire de sa trame nous traverse de quelques doux émerveillements.
Djaffar Benmesbah.
SIWEL 072341 MAI 15