Je me souviens encore de ce moment décisif, de ce pas qu’il restait à franchir pour le Président Ferhat Mehenni avant de faire face aux caméras de CNEWS un certain 2 octobre 2022. Je revois le regard triste, presque résigné, du journaliste Ivan Rioufol venu l’accueillir : un homme digne, empreint de l’éthique de son métier, mais lucide sur les silences imposés.
– Je repense à mes appels, naïfs peut-être, lancés aux intellectuels français lors des rassemblements kabyles dont certains avaient partagé avec nous les bancs de l’université, mais combien ont osé lever la voix face à l’injustice ?
– Je ressens encore cette frustration, ce malaise profond, face au rejet systématique par les médias français de mes tribunes dénonçant les dérives despotiques de la Régence d’Alger. Même un simple droit de réponse m’était refusé, alors que ces mêmes médias reprenaient sans nuance la propagande officielle du régime algérien.
– Aujourd’hui, je me réjouis de constater que certains médias d’importance nationale et internationale — Le Monde, Le Canard Enchaîné, Le Point, CNEWS, France 2, Radio Sud, et, dans une moindre mesure, France Soir, Le Parisien et quelques petites chaînes indépendantes — brisent enfin le mur du silence. Ils osent regarder en face une réalité brutale : celle d’un régime totalitaire, d’une politique d’effacement méthodique contre le peuple kabyle, et de l’influence toxique de ce pouvoir jusqu’en sol français.
Une reconnaissance implicite du combat kabyle
L’article du Point, malgré une entorse à la déontologie journalistique, a le mérite d’éclairer une vérité trop longtemps occultée : « le peuple kabyle reste debout, digne, malgré toutes les tentatives d’effacement de l’État algérien ». Il met en lumière le rôle central du MAK, Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie, aujourd’hui connu sur la scène internationale, et reconnu pour son engagement pacifique. Aucun mensonge, aucune manipulation, pas même les trois contributions discutables de ce dossier, ne saurait détourner ce mouvement de son cheminement légitime vers l’indépendance.
L’article salue, à juste titre, le pacifisme de ce combat. Les deux auteurs français, malgré une connaissance lacunaire de l’histoire millénaire du peuple kabyle et de sa société, soulignent une dynamique irréversible. Certes, ils reprennent parfois, par ignorance ou conformisme, des narratifs du pouvoir algériens. Mais comment ignorer que l’Algérie moderne est une création coloniale française, et que la Kabylie a été annexée dans le sang ? Comment nier les écrits coloniaux, les travaux des grands auteurs et penseurs qui décrivaient une société kabyle organisée, autonome, politiquement structurée ?
Qu’importe : Le Point titre clairement « Le peuple kabyle debout ! ». N’est-ce pas là l’essentiel ? N’est-ce pas déjà une reconnaissance implicite du droit d’un peuple à exister, à être libre, souverain, maître de son destin ? N’est-ce pas admettre que ce peuple est distinct dans ce territoire que l’on appelle Algérie ? N’est-ce pas admettre que la Kabylie constitue une nation à part entière organisée depuis les Quinquégentiens, remplissant tous les critères : peuple, territoire, conscience d’une identité propre, sentiment d’appartenance et volonté de vivre ensemble ? Critères que l’Algérie ne remplit pas car elle n’est qu’un agrégat de peuples différents maintenus ensemble par une gouvernance militaro islamiste, où l’idée d’unité nationale ne survit que dans les discours mensongers d’un pouvoir qui a glissé de l’ethnocide programmé à une politique génocidaire assumée par les plus hautes structures de l’Etat, à l’encontre du peuple Kabyle. Une politique mise en application avec le massacre de 2001, les incendies criminels militairement organisés de 2021 et les années suivantes, l’encerclement militaire, la criminalisation de toute la Kabylie en sont les preuves irréfutables.
Réponses aux intervenants de l’article du Point
Je mets de côté certaines incohérences des journalistes français : malgré leurs maladresses, ils ont contribué à visibiliser la cause kabyle. La photo du rassemblement kabyle à la place de la République, dans Le Point, parle d’elle-même. Elle témoigne de la force tranquille du MAK. Qu’ils sachent que les Zouaves n’étaient pas kabyles, que la Kabylie a connu deux grands royaumes, que les Turcs n’ont jamais conquis la région, et qu’ils devaient même s’acquitter d’un droit de passage auprès du royaume des Aït Abbas de l’Agellid Amokrane (Mokrani).
Kamel Daoud : l’ambivalence du regard
J’ai soutenu Kamel Daoud lorsqu’il fut attaqué par le régime. Le Président Ferhat Mehenni l’a soutenu avant moi. Aujourd’hui, il affirme sa conscience de son amazighité et reconnaît la spécificité du peuple kabyle tant au plan culturel que politique, jusqu’à distinguer la langue kabyle du berbère. Il reconnaît que le Kabyle est toujours soupçonné de trahison et de danger pour l’unité nationale, que les Algériens sont restés méfiants ou spectateurs devant les manifestations des Kabyles et les conséquences subies. Pourtant, il reste prisonnier de ce concept d’unité, refusant d’entendre le cri de liberté qui monte des entrailles de la terre kabyle. Il se trompe en mettant sur le même plan le MAK et les mouvances islamistes. Il tait la haine du Kabyle, ancrée dans l’imaginaire collectif algérien, et feint d’ignorer que l’immense majorité des Algériens s’enfoncent de plus en plus et de façon irrémédiable dans les fondements idéologiques mortifères d’un État construit sur la négation des identités.
Je pense que Kamel Daoud, comme la majorité des non-berbérophones, vit avec gêne et frustration la force identitaire du Kabyle, miroir de leur propre déshérence historique et identitaire. Il ne peut ignorer les réalités historiques et politiques. Non, le MAK n’est pas un outil du régime. Il est le seul contre-pouvoir réel. Non, l’indépendance n’est pas une impasse, c’est une nécessité historique, une réponse vitale à une volonté systémique d’anéantissement, c’est le cri de liberté venu des entrailles d’une terre, d’une histoire et d’une mémoire millénaire d’un peuple qui a toujours vécu dans la fierté d’être libre. S’il était cohérent avec sa propre trajectoire d’exilé, Kamel Daoud qui sait très bien que tant que la Kabylie demeure sous la dictature algérienne, la confrontation demeure et les Algériens s’enfonceront de plus en plus dans le chao, devrait soutenir l’indépendance kabyle, gage de stabilité pour la région.
Saïd Sadi : le refus du dépassement
L’intervention de Saïd Sadi évoque Don Quichotte, luttant contre des moulins à vent. Prisonnier de son propre mythe, il ne supporte pas d’avoir été dépassé par une pensée kabyle devenue plus audacieuse, plus claire, plus radicale dans sa quête de liberté. Il reste figé dans l’instant de 1980, qu’il présente comme son œuvre personnelle, sans évoquer les massacres, sans reconnaître que le MAK est né du printemps noir de 2001, dans le silence coupable d’un peuple algérien resté spectateur.
Il masque son propre silence sur les feux criminels de 2021 et des années suivantes, sur l’exil de la jeunesse et de l’élite kabyle, sur l’encerclement militaire de la Kabylie, sur le dépeuplement et la terreur qui frappe les populations. Il oublie surtout qu’il a accusé des innocents d’un crime odieux dans l’affaire de Larvaa Nat Yiraten qu’il enfonce dans les couloirs de la mort, heurtant à jamais la conscience kabyle.
Quant au dernier intervenant kabyle cité, il n’a ni crédibilité ni légitimité. Ses prises de position, connues pour leur alignement sur le pouvoir, n’ajoutent rien au débat.
Une France face à ses responsabilités
Malgré ces maladresses, je salue la parution de cet article au titre évocateur : « Le peuple kabyle debout ». La France, patrie des droits de l’homme, ne peut rester sourde à l’appel de ce peuple. Elle ne peut se retrancher derrière ses seuls intérêts économiques. Elle doit entendre les voix singulières, les identités, les mémoires enfouies. Il est temps que la France officielle rejoigne le mouvement de son propre peuple et distingue clairement la « communauté kabyle » de la diaspora algérienne. La majorité des deux millions de Kabyles en France sont aujourd’hui des citoyens français à part entière. Leur destin ne peut être lié à un État qui les persécute.
Une Kabylie indépendante serait un havre de paix, un allié stratégique pour la France, au cœur de l’Afrique du Nord et du bassin méditerranéen. Une terre de liberté et de modernité, fidèle aux valeurs républicaines partagées avec le peuple français.
Exil, le 15 août 2025
Raveh Urahmun
SIWEL 152028 AOU 25
KAB68728 1 G 1710 20250815 20:28 UTC+1 FRA/SIWEL-RC2631