TRIBUNE (SIWEL) — Ferhat Mehenni apporte sa contribution au débat, suite aux récentes déclarations de Nordine Aït Hamouda au sujet de « l’Emir » Abdelkader, Houari Boumédiene (Boukharouba Mohamed) et Ahmed Ben Bella, qui ont soulevé un tollé général même s’il n’a, au final, révélé rien de nouveau. Un véritable déni de l’Histoire et une volonté manifeste de la réécrire selon les intérêts et convenances du régime algérien.
AUX ORIGINES DE L’ETAT ALGERIEN
Par Ferhat Mehenni
Nordine Aït Hamouda, en traitant l’Emir Abdelkader de « traître à l’Algérie », sur une chaîne de télévision officielle, vient de provoquer un tollé général. C’est un véritable coup de pied dans la fourmilière qu’il vient de donner. Les réactions incendiaires sur les réseaux sociaux fusent de partout contre le « zouave » et contre tous les Kabyles. Des marches ont eu lieu, ponctuées de déclarations exigeant châtiment contre le sacrilège ! Quarante avocats se sont constitués pour lui intenter un procès en diffamation, réclamé par une des nombreuses descendantes de l’Emir depuis la lointaine Syrie où Abdelkader, à partir de 1855, avait choisi de se retirer pour une retraite dorée, avec une pension annuelle de 100.000 francs, versée par « la France généreuse », en contrepartie de sa totale soumission !
Des « intellectuels » qui tentaient depuis des décennies de séduire des Kabyles pour les gagner au renoncement à leur identité, notamment Noureddine Boukrouh et Addi Lahouari, montent au créneau pour défendre celui qui avait livré son pays et son peuple à la domination coloniale et que les Kabyles avaient magistralement rabroué quand il était venu leur demander de reconnaître son autorité.
L’Emir Abdelkader est pourtant toujours présenté par tous les historiens reconnus comme « l’ami fidèle de la France ». Les décorations françaises qui ornaient sa poitrine ne sont effacées de son portrait officiel que depuis que le dictateur Houari Boumediene l’avait proclamé « fondateur de l’Etat algérien » et « père de la nation algérienne », une fois qu’il en a ramené les restes de Syrie pour les enterrer au carré officiel du cimetière d’El-Alia (Alger), le 06/07/1966.
La tension née de cette déclaration révèle le malaise d’un Etat dont les véritables origines sont si honteuses que ses squatters, pour les magnifier et les mythifier, n’ont pas d’autre choix que celui de recourir au mensonge et à l’affabulation. Passons sur les diverses constitutions algériennes rédigées depuis 1962, chacune, tel un costume, taillé sur mesure pour le dictateur du moment, affirmant que l’Algérie a une histoire millénaire, alors qu’elle n’existe que depuis 1839, par la grâce d’un décret ministériel d’un ministre français de la guerre, du nom de Général Schneider.
A ce jour, l’Algérie a avancé deux thèses contradictoires et mensongères, sur la genèse de son Etat. La première affirme qu’il est d’origine ottomane, tenant du Royaume d’Alger, (1515-1830). La deuxième est celle de l’Etat d’Abdelkader. Or, de deux choses l’une : Ou bien l’Etat algérien est le prolongement ou la restauration de la Régence turque, ou bien il est la reconstruction ou la continuité de l’Etat d’Abdelkader, issu du Traité de la Tafna (1837-1847). Il faut choisir, d’autant plus que l’Emir avant d’ériger son Etat sur l’Oranie, avait d’abord commencé lui-même par s’insurger contre cette même Régence turque qui dépendait d’Istanbul. Dans les deux cas, cet Etat est illégitime. S’il est d’origine turque, il y a lieu de reconnaître qu’au 21e Siècle, nous sommes encore sous Etat vassal, toujours colonisés par la Turquie. En revanche, s’il est issu du Traité de la Tafna, la Kabylie n’en faisait pas partie et son père-fondateur l’avait aliéné en le livrant à la France.
Dans tous les cas, en se rendant à l’ennemi, en 1847, en abandonnant tous ceux qu’il avait entraînés dans la guerre sainte, puis en reconnaissant la souveraineté coloniale sur l’Algérie, l’Emir Abdelkader était, à ce moment-là, vécu comme un traître. Seule son exfiltration vers la France, l’avait sauvé de la colère des siens qui voulaient le tuer. C’est probablement par peur de leur vengeance qu’il avait préféré s’exiler en Syrie où il mourut en 1883 à l’âge de 75 ans, au lieu de revenir sur sa terre natale d’avec laquelle il avait définitivement divorcé.
C’était Boumediene, en déficit de légitimité politique qui, le 05/07/1966, soit un an après son coup d’Etat contre Ben Bella, avait décidé d’en faire un héros national et la figure emblématique de l’Algérie. C’est ainsi qu’il fut sacralisé comme Le fondateur de l’Etat algérien.
En vérité, l’Etat algérien est un Etat colonial, rien que colonial. Il devait être au service de la colonisation et, au besoin, comme en Amérique, exterminer ses indigènes.
Le véritable Etat algérien était celui né du Congrès de la Soummam (20/08/1956), en Kabylie. Malgré l’assassinat de son père-fondateur Abane Ramdane, le 27/12/1957, par Boumediene au Maroc, c’était lui qui avait mené les négociations pour l’indépendance de l’Algérie et conclu les Accords d’Evian. Il avait vécu jusqu’à son installation à Rocher Noir (Boumerdes) en juillet 1962. Cet Etat a été démantelé par l’armée des frontières qui, en prenant le pouvoir par la force et en confisquant l’indépendance à son seul profit, a préféré garder les structures administratives, législatives et politiques de l’Algérie française plutôt que d’asseoir l’Etat d’Abane et de Krim Belkacem. Le Congrès de la Soummam était contesté et continue de l‘être au seul motif qu’il incarne la Kabylie et ses valeurs, ses rêves et ses référents culturels.
Une fois cette armée parvenue à ses fins, son premier président nous annonça depuis Tunis : que « Nous sommes Arabes, nous sommes Arabes, nous sommes Arabes ! », puis, nous fit adopter cette devise « Un seul héros, le peuple ! » pour enterrer tous ceux qui avaient commencé à bâtir l’éphémère et véritable Etat algérien.
La Kabylie s’était révoltée contre le coup d’Etat militaire qui venait de « déposer » le naissant Etat algérien ; mais, épuisée par près de huit ans de guerre contre l’armée française, elle n’avait plus les moyens d’imposer sa volonté d’un Etat aux couleurs de ses valeurs.
Noureddine Aït Hamouda, avec lequel nous ne partageons pas la vision d’avenir de la Kabylie, est à féliciter pour avoir dit une vérité que tout le monde, en Kabylie, connaissait depuis longtemps. Parce qu’il a du courage et qu’il a également la légitimité nécessaire, en tant que fils s de l’héroïque et légendaire Colonel Amirouche de la guerre d’indépendance, à le faire. Il est l’un des hommes les plus crédibles pour dénoncer les forfaitures du pouvoir algérien contre notre histoire.
Ce n’est ni par chauvinisme ni par quelque réflexe « kabyle » que ce soit que nous reconnaissons son mérite d’avoir mis fin à un mensonge et un tabou d’Etat. Cette vérité méritait d’être étayée par des faits historiques têtus, dont acte !
La Kabylie n’avance pas masquée, elle assume son histoire, ses valeurs, sa langue et ses ambitions. Elle aspire à l’indépendance, c’est son droit absolu. Lui refuser ce droit est un non-sens. C’est par l’acquisition de ce même droit qu’elle sera une très grande chance pour les peuples d’Algérie. Sans lui, elle ne pourra, malheureusement, leur être d’aucun secours. Seule son accession à son indépendance lui procurera les moyens d’aider les Algériens à se retrouver chacun dans ses droits légitimes et dans la fraternité des peuples nord-africains
Exil, le 21/06/2021
Ferhat Mehenni
SIWEL 222040 JUIN 21