CHRONIQUE (SIWEL) — Aujourd’hui j’ai décidé de commencer par cette merveilleuse anecdote que l’on doit à nos aïeux :
Au sein d’un village, dans la Kabylie d’antan, il y avait deux voisins dont l’un était turbulent et l’autre sage.
Le sage possédait dans sa cour un immense carroubier (Taxerruvt) dont certaines branches dépassaient le mur mitoyen et se retrouvaient au dessus de la cour de l’agité. Selon la loi kabyle, ce qui dépasse chez le voisin lui revient de droit. Mais le turbulent (Afeqfaq) ne voulait pas de ce qui venait du voisin qu’il ne portait, visiblement, pas dans son cœur.
Ce voisin qui donne des signes de déséquilibre mental va, un jour, interpeller le sage, et lui dit qu’il n’en voulait pas des branches de son carroubier.
L’autre, posé, réfléchi, serein et calme lui explique que ces branches lui revenaient de droit et qu’il pouvait en disposer à sa guise puisqu’elles ont poussé au dessus de sa cour. Il lui dit, en substance, qu’il pouvait donner le feuillage à son bétail et garder le bois pour les journées de grand froid.
Non ! dit le voisin (Afeqfaq), je ne veux rien de ce qui vient de toi.
Fais comme bon te semble, lui réplique le sage. Et il le quitta.
Le lendemain, en fin de journée, ils se retrouvèrent à la maison du village (Axxam n taddart), appelée faussement la mosquée. L’agité jubilait ; aussitôt le sage lui dit : ça y est, t’es content ? Tu t’es débarrassé des branches au dessus de ta cour ? Tout fier de lui, il lui rétorque : oui je les ai coupées et jetées. Et si tu n’es pas content tu n’as qu’à te taper la tête contre le mur, comme ont dit en kabyle.
Un bref moment de réflexion, et le sage voisin lui dit : Écoute pauvre malotru ! Tu n’as plus qu’à y aller labourer le sol de ta maison (tiɣerɣert-ik), puis creuser, creuser et creuser jusqu’à ce que tu trouves les racines de mon carroubier et tu les couperas comme tu as fais aux branches !..
C’est dire si la pensée et l’imagination de nos aïeux avaient de la profondeur.
Beaucoup d’entre nous ne savaient et ne savent toujours pas qu’une pièce d’identité, aussi officielle soit-elle, n’est juridiquement rien d’autre qu’une formalité administrative. Si tous ceux et toutes celles qui se baladent avec une carte d’identité française, dans leur poche, étaient les enfants de Marie Jeanne, on finirait tous par croire qu’un charlatan pourrait être un envoyé du ciel.
L’identité n’est sûrement pas celle qui est portée sur un document qui nous est imposé. L’identité kabyle est celle que nous portons dans le coeur, le sang et les veines ; qu’importe un papier écrit dans une langue étrangère qu’on nous oblige à avoir. Ne nous méprenons pas. Le rôle d’un occupant est de faire de nous ce que nous n’avons jamais été. Mais comme ces racines de vieux carroubier, nous sommes indéracinables.
Depuis la tradition légendaire jusqu’à l’ère des premières périodes historiques, il y a trois milles ans, aucun occupant, aucun envahisseur, aucun colon n’a réussi à imposer, aux indomptables que nous sommes, sa volonté de nous faire disparaître définitivement. Certes, les derniers occupants d’après 62, par l’entremise de la religion, ont pu mouler un pan non négligeable de la société kabyle ; ces déracinés qui n’ont toujours pas fait l’effort de comprendre qu’un bœuf ne fuit jamais sa corne.
Notre identité c’est notre ADN, nom masculin invariable – acides du noyau des cellules vivantes, qui transmettent les caractères génétiques – selon LE ROBERT.
Et la majorité écrasante de la jeunesse kabyle est, plus que jamais, décidée à se libérer en cassant les chaînes qui l’ont ligotée par la tyrannie, l’ignorance et le maintien de certains cerveaux au 7e siècle.
Oui mesdames et messieurs du pouvoir colonial arabo-obscurantiste ! vous pouvez couper autant de branches que vous voulez, mais jamais au grand jamais vous n’atteindrez nos racines.
Ne prenez pas le risque de trop creuser, sans quoi votre maison construite par le précédent colon, le 14 octobre 1839, risquerait de s’effondrer à jamais.
Méditez, plutôt, cette formule juste et magistrale du géant Kateb Yasin qui disait : L’indépendance de l’Algérie n’est rien d’autre qu’un transfert de colonialisme. Ne tentez surtout pas de maintenir, par la terreur qui est l’arme des faibles d’esprit, la Kabylie dans le giron de votre idéologie arabo-obscurantiste. Si vous étiez convaincus que nous allions crever de faim, ça aurait fait longtemps que vous vous seriez débarrassés de la Kabylie.
Ce vieux penseur anonyme kabyle, qui ne cherche aucune distinction, surtout venant de vous, m’a demandé de vous dire que dans l’école de la future République Kabyle, la première phrase que nous apprendrons à nos enfants c’est : Si tu veux sauver ta petite tête, il faut la remplir de savoir : Ma tevɣiḍ ad tselkeḍ aqerruy-ik, ččar-it d tamusni. Et ce n’est sûrement pas les contraintes de la tombe ni comment apprendre à laver une dépouille en miroitant aux enfants, comme vous le faites, un paradis imaginaire ou en les menaçant d’un pseudo enfer diabolique.
Y en a tellement à dire… Mais sachez-le, la Kabylie demeurera indomptable jusqu’à l’obtention de son indépendance totale !
A-T
SIWEL 160800 Oct 17 UTC
Retrouvez tous les lundis, sur Siwel, une nouvelle chronique de Tayev Abdelli