,

Le sens de la souffrance dans le combat du peuple kabyle. Par Raveh Urahmun

La journée dédiée à la résilience du peuple kabyle, a rouvert en moi les plaies jamais refermées d’un drame ancien mais toujours vivant. Elle m’a replongé dans la mémoire douloureuse d’un peuple martyrisé que la violence méthodique d’un régime totalitaire s’emploie à effacer. Les images, les vidéos, les cris, les récits brûlants de celles et ceux qui ont traversé l’enfer des incendies criminels, les témoignages des survivants, hantent la conscience de ceux qui refusent l’oubli. J’ai été bouleversé, saisi au cœur par l’intensité nue de cette souffrance, une douleur collective, une brûlure vive, mais bravée par une inébranlable volonté de vivre. Ce peuple, désarmé, militairement occupé, accablé, trahi, est toujours debout. Il ne plie pas. Il transforme la douleur en force, et la souffrance en ferment de liberté.

Le combat du peuple kabyle n’est pas une simple lutte politique, il est une quête existentielle. Il convoque des valeurs profondes comme la dignité, la vérité, le courage, la fidélité à soi. Comme tout véritable combat, il confronte l’âme à ses abîmes ; il met à l’épreuve les cœurs, il révèle les grandeurs mais aussi les faiblesses, les renoncements, les compromissions et même le stade suprême, la trahison. Il interroge chaque être sur sa propre humanité, sur sa capacité à faire face à l’injustice, à la peur, à la solitude, et parfois, au silence des siens.
Aucun Kabyle ne devrait ignorer l’ampleur de la tragédie qui frappe son peuple, agressé, muselé, haï, voué à disparition. Nul ne peut feindre l’ignorance face à la politique d’effacement qui vise ce peuple dans sa chair, sa langue, sa mémoire, son droit d’être, d’être lui-même. La cause est claire, limpide comme l’eau des sources de nos montagnes : la kabylité menacée dans ses fondements et son existence par une politique génocidaire. Il s’agit donc de résister à une entreprise de négation et d’anéantissement.
Le combat, dès lors, devient un phénomène total, qui engage la vie dans toutes ses dimensions : le corps, la pensée, la parole, l’histoire.

Le combat du peuple kabyle pour sa renaissance, pour sa liberté, pour la prise en mains de sa destinée, a révélé l’homme à lui-même. Il l’a contraint à penser par lui-même, à se décharger des fardeaux imposés, à s’interroger sur la cohérence entre ce qu’il croit et ce qu’il vit. Car la liberté véritable consiste non pas à faire ce qu’on veut, à faire ce que bon nous semble, mais elle est dans la fidélité à la vérité, quelles qu’en soient les conséquences, même lorsqu’elle fait mal, même lorsqu’elle isole. L’intégrité a un prix, et ce peuple le paie chaque jour.

La leçon de ce combat nous a confronté à l’injustice et nous a appris que subir l’injustice est un mal supportable, si cela permet de rester en accord avec soi-même, avec sa conscience, avec le bien.  Il nous enseigne que, face à l’injustice, souffrir peut être un acte de fidélité. Supporter le mal sans se renier, c’est lui opposer une force. Et cette souffrance, loin de nous plonger dans le nihilisme, nous pousse à repenser nos valeurs, à redéfinir notre relation au bien, au juste, au courage.

On a appris à déjouer et à mettre à nue la lâcheté et la trahison d’une frange des élites politiques et intellectuelles kabyles qui choisissent le confort, la paix factice au détriment de la vérité. Ces élites silencieuses ou traîtresses pensent pouvoir échapper à la chasse au Kabyle. Elles n’échappent pas à la souffrance ; elles ne peuvent fuir leur propre conscience.

L’histoire, tôt ou tard, les rattrape, comme elle nous fait comprendre que le vrai danger ne vient pas de ceux qui dérangent, mais de ceux qui se taisent. Martin Luther King disait : « À la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis. »

Ce combat, enfin, nous a rendus lucides. Il a éveillé nos consciences, mis à nu les fractures, réveillé les douleurs anciennes. Il nous a appris que la trahison dans ce cadre, n’est pas simplement une rupture politique ou idéologique ; elle est une transgression, une blessure intime, une atteinte à la confiance collective, un acte qui rompt le pacte invisible entre ceux qui partagent une même mémoire, un même avenir.

La souffrance est une donnée du combat pour la liberté, pour le mieux vivre ensemble. Pour la Kabylie, elle accompagne sa libération d’un colonialisme insidieux. Paradoxalement, elle n’est pas vaine ; elle est porteuse d’espoir ; elle est matière vivante, elle forge, elle façonne, elle élève la conscience de ce peuple.

Tandis que cette partie des élites s’évertue à réduire notre désir de liberté pour réduire la douleur, au nom d’une fausse paix sociale ou d’un réalisme de façade, et, partant, prône une forme de renoncement, une forme de capitulation, une dérobade face au tragique de l’existence, un appel à la passivité et au nihilisme, le peuple kabyle, lui, debout dans sa fierté mémorielle d’entité libre, au cœur de l’épreuve, puise dans la douleur la force de reprendre en main son destin, à l’écoute du cri de liberté qui jaillit des profondeurs de la terre natale.

Le mouvement de libération de la Kabylie a fait de la souffrance, de cette rude épreuve, un levier créatif, une méthode d’analyse des contradictions inhérentes à son combat, pour en faire le moteur d’un changement social et politique radical de l’histoire récente de la Kabylie et se projeter dans un monde libre.  Il refuse la passivité, il récuse le fatalisme. Il fait de la douleur une matrice de renaissance, un ressort intime de création, une force de rupture avec l’ordre établi.

Pour la Kabylie, il ne s’agit pas seulement de survivre, mais de se relever, de redevenir sujet de son histoire, de se réapproprier son destin, de poser les fondations de sa souveraineté violée par la force des armes.

Exil, le 11 août 2025
Raveh Urahmun

SIWEL 121431 AOU 25
KAB68704 1 G 1079 20250812 14:31 UTC+1 FRA/SIWEL-RC2631

Brisez la censure : Partagez cette information

En Algérie, tous les sites d’information kabyles, y compris Siwel, sont actuellement bloqués

Pour contourner cette censure, nous invitons tous ceux qui lisent cette note à partager l’information avec les Kabyles vivant en Kabylie ou en Algérie. Encouragez-les à installer un VPN ou à utiliser un navigateur sécurisé comme TOR. Ces outils, faciles à installer en quelques minutes, leur permettront de retrouver l’accès à des dizaines de sites bloqués et de rester informés.

Votre contribution à diffuser cette information peut faire toute la différence. Merci pour votre soutien !