LITTÉRATURE (SIWEL) — Je n’ai pas voulu écrire sur le vif de l’émotion ressentie à la fermeture du livre, que j’avais lu d’une traite. J’ai préféré laisser décanter les idées et laisser mûrir l’impression que ma laissée ce roman. Un roman qui aurait aussi bien pu s’intituler « La désolation » ou « Au pays des insectes et des bestioles » ou « Au pays des rêves perdus » ou « Ma mère a emporté ma Patrie dans sa tombe ».
De ce tourbillon vertigineux de mots et de poésie en rafale, l’expression en kabyle qui a émergée dans ma tête est Ad wwteɣ agejdur (se lamenter en se griffant les joues à deux mains !).
L’auteur nous plonge dans un monde de non-sens total. Un monde où les quelques survivants d’un village perdu dans un pays perdu, sont des loques humaines, des êtres lugubres qui ont perdu le sens de leur existence. Tout l’espace est occupé par les bestioles qui poursuivent, dans une complète indifférence du sort de l’humain, la mission de leur existence sur terre. Un monde où les mouches et la vermine achèvent ce qui reste du cadavre !
« La nature s’active et les oiseaux gazouillent. Les criquets sautillent et les pétales explosent. Les feuilles frémissent et les mouches papillonnent. Les chiens aboient, le soleil tourne, les grillons jacassent. À quoi bon cette comédie, ce vacarme, ces odeurs…puisque ma mère ne fait plus partie du manège? » p. 115-116
« …Que devient ce bouffon aux oreilles dressées comme celles d’une chauve-souris? Ça fait plus de quinze ans que je ne l’ai pas vu. Je sais qu’il a été militaire. Il avait signé pour trente ans. Je m’approche de sa maison d’enfance. C’est un galetas en roseaux et en pisé. Je pousse une porte en tôle ondulée qui donne sur une minuscule cour. Surpris, un lézard fonce et déchire la toile d’araignée. Un pigeon lâche un quignon de pain et s’envole. Un mulot chute d’un établi, se relève après une culbute et s’embourbe dans un égout. Des guêpes y puisent de la boue en bourdonnant. La courette est colonisée par le chiendent. J’entends un ronflement dans la masure. J’actionne le loquet. Le battant s’écarte sur un fauteuil roulant. Un visage émacié me dévoile ses crocs. Une main rugueuse s’agrippe à ma cuisse… » p. 154-155
Karim Akouche avec son roman, « La religion de ma mère » où il décrit son village natal en ces termes : « …Le village est vide…Je suis triste. On m’a volé ma Patrie…J’inscris mon pays dans la rubrique nécrologique…» ne fait pas seulement un état des lieux et des faits qu’il déplore ; Non, il justifie la désertion de ce beau pays par ses meilleurs éléments, mais chez-moi il a suscité un tout autre sentiment, il a provoqué en moi l’envie de crier : Stop, ça suffit l’autoflagellation. Le mot clé est rupture ! Rompons avec cette tradition de la douleur, rompons avec les lamentations, rompons avec l’exil, rompons avec la démission, rompons avec le statut de victime éternelle, du colonisé impuissant !
Ma mère à moi est vivante ! Elle est belle est chaude du sang qui coule en flot dans ses veines ! Comment peut-elle trépasser alors qu’elle a survécu à des siècles et des millénaires de barbarie et d’invasions de tout genre ?! Elle est plus forte que tout. Ma mère est un sphinx qui renait de ses cendres. Ma mère est un avenir lumineux. Ma mère est un peuple digne. Ma mère a des racines profondes, nouées autour du centre de l’univers. Ma mère est une terre et une mer ! Ma mère a une langue et une Histoire. Ma mère a une lignée de rois et de reines. Ma mère m’a appris à me relever, autant de fois que je tombe. Ma mère a greffé le mot Liberté à mes chromosomes. Ma mère a un NOM !!! Je lève mon point dans les airs et je jure que je vais la reconquérir ! Ma patrie n’est pas une bâtarde, ni la fille illégitime de la France, ni de personne. Ma patrie a une fille qui s’appelle Nora, descendante de Kahina!
Nora Abdelli
Montréal, le 02 juin 2017
SIWEL 181422 Jun 17 UTC