« Deux printemps pour une renaissance », l’interview sans concession du porte-parole de l’Anavad sur Al Watan Al An

PARIS (SIWEL) — Dans le cadre d’un dossier consacré aux soulèvements du Printemps amazigh de 1980 et du Printemps noir de 2001, l’hebdomadaire marocain Al Watan Al An a publié, dans son édition arabophone du 25 mars, une interview exclusive de Lmulud At Σazdin, porte-parole de l’Anavad, le Gouvernement kabyle en exil. À travers des réponses franches et sans concessions, il revient sur ces deux évènements charnières, le refus algérien persistant de reconnaître les droits du peuple kabyle, et l’émergence progressive d’un État kabyle en construction. Pour la rendre accessible au lectorat francophone, Siwel publie ici la traduction intégrale de cet entretien, avec l’aimable autorisation d’El Watan Al An.

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Al Watan Al An : Comment évaluez-vous l’impact du Printemps amazigh et du Printemps noir sur le mouvement politique et des droits en Algérie, et plus particulièrement dans la région de la Kabylie ?

LMulud At Σazdin : Avant tout, permettez-moi  d’apporter une précision essentielle : La Kabylie n’est pas une région, c’est un pays à part entière et c’est d’ailleurs “bled leqbayel” qu’il était connu en Afrique du nord à travers les époques. C’est également une nation aboutie, avec son histoire, ses valeurs, ses symboles, ses institutions et son propre État, dont la renaissance a été proclamée par le Président de l’Anavad, Mass Ferhat Mehenni, le 20 juin 2024, 157 ans après qu’il ait été mis à genou par l’Algérie française.

Pour répondre à votre question, ces deux soulèvements pacifiques majeurs dans l’histoire récente de la Kabylie n’ont pas marqué les populations algériennes. Et lorsqu’ils ont été perçus, ce fut souvent comme de simples faits divers à distance, ou comme des revendications identitaires qu’ils ne souhaitaient pas voir appliquées dans leur pays.

En Kabylie, ces deux Printemps ont été profondément structurants dans l’évolution de la cause Kabyle. Le Printemps Amazigh, qui avait eu lieu en 80 et en 81, avait permis à la population de briser le tabou de l’identité Kabyle qui avait été mise sous silence suite à la crise berbériste de 1949. Cela a permis un éveil culturel, identitaire puis politique qui avait animé l’ensemble de la société Kabyle durant les 20 dernières années du siècle dernier. 

Quant au Printemps noir de 2001, ça a d’abord été un choc : la Kabylie a accusé le coup d’avoir perdu 130 manifestants pacifiques Kabyles assassinés par l’Algérie officielle, sans parler des milliers d’autres blessés à vie. Il a fallu du temps pour se relever et se rendre à l’évidence : le peuple Kabyle et le peuple algérien sont deux peuples distincts, la Kabylie n’est pas l’Algérie et pis encore : la Kabylie est colonisée.

Quelles sont les principales revendications qui restent en suspens depuis ces événements, et y a-t-il eu des avancées dans leur concrétisation ?

Aussi bien les revendications de 80 (qu’on pourrait résumer en liberté et identité) que celles de 2001 (matérialisée dans une plateforme) ne peuvent se concrétiser que dans le cadre d’un Etat Kabyle. C’est là l’enseignement principal à tirer des revendications elles-mêmes et que la Kabylie a progressivement fini par admettre. En somme, il a fallu ces deux printemps pour notre renaissance en tant que Nation.

Sinon, du côté algérien, aucun de ces deux événements n’a permis de faire reculer le pouvoir militaire dans son projet de suppression progressive du peuple Kabyle. Bien au contraire, la machine s’accélère avec le Président actuel, qui se distingue par son approche particulièrement brutale, là où ses prédécesseurs pouvaient être dans des stratagèmes insidieux. L’exemple de l’opération “Zéro kabyle”, lancée sous son règne, est édifiant. Même Boumedienne n’en a pas fait autant, pour reprendre les mots du Président de la Ligue Kabyle des droits de l’Homme.

Finalement, ces deux épreuves et d’autres évènements de l’Histoire contemporaine de la Kabylie ont surtout permis à des acteurs majeurs de la cause Kabyle, Ferhat Mehenni à leur tête, de recoller les morceaux d’une Histoire fragmentée, permettant ainsi à la Kabylie de se remettre sur les rails de sa souveraineté perdue depuis 1857. En somme, il a fallu ces deux printemps pour notre renaissance en tant que Nation. Aujourd’hui, la Kabylie n’attend plus rien de l’Algérie, si ce n’est de négocier les modalités de l’indépendance. 

Vous avez choisi l’exil pour défendre votre vision et vos revendications face aux militaires du palais d’El Mouradia. Qu’est-ce qui a été accompli jusqu’à aujourd’hui ?

L’exil n’a jamais été un choix, mais une contrainte imposée par l’article 87 bis du code pénal algérien, qui criminalise injustement notre engagement politique pacifique. La question kabyle est d’ordre strictement politique, et à ce titre, elle ne saurait être traitée par des institutions militaires.

Pour autant, nous refusons catégoriquement de céder à la provocation ou de basculer dans la violence. Nous réaffirmons notre attachement aux voies pacifiques et appelons à l’abrogation de cet article liberticide, qui ruine, par ailleurs, l’image de l’Algérie sur la scène internationale.

Concernant ce qui a été accompli jusqu’ici, il s’agit des différentes étapes que le Président Ferhat Mehenni avait annoncées lors de sa conférence de Montréal du 16 janvier 2010 et que les Gouvernements successifs ont pris le soin de concrétiser et de faire vivre avec abnégation : la reconstruction d’une conscience nationale kabyle, la mise en place des attributs de souveraineté (drapeau, hymne national, carte d’identité, …), l’internationalisation de la question kabyle, et enfin, la structuration d’un État (projet de constitution, parlement, Gouvernement, …).

En somme, la Kabylie est désormais prête à prendre son destin en main et à rejoindre le concert des nations.

Dans le contexte des évolutions régionales et internationales, pensez-vous que votre cause peut obtenir de nouveaux acquis ?

Dans notre cas, obtenir de nouveaux acquis à l’international revient avant tout à tisser des alliances solides, avec des partenaires qui défendent concrètement le droit du peuple kabyle à disposer de lui-même. La Kabylie est consciente que c’est un travail de longue haleine et nous nous y attelons au moins depuis 2010, avec la création du Gouvernement Kabyle en exil. La légitimité de notre cause, la maturité de nos arguments et de notre offre, la constance de notre détermination et le soutien populaire en Kabylie ont fini par payer.

Nous savourons encore la scène que nous a offert le parlement britannique il y a 10 jours seulement lorsque le député Jim Shannon a soulevé le sujet de l’autodétermination de la Kabylie dans cette chambre où le mot “Kabylie” n’a pas été prononcé depuis 1902 !

Cela a été rendu possible par l’avis juridique légal que nous avons obtenu de la prestigieuse Brick Court Chambers en septembre 2024 et qui a affirmé, en s’appuyant sur le droit international, que les Kabyles forment un Peuple et ont le droit à l’autodétermination.

Par ailleurs, nous sommes également pleinement conscients que, sur le plan diplomatique, le rapport de force est loin d’être équilibré face à l’Algérie. Cela ne saurait être considéré comme juste. Cette situation fait penser aux élections présidentielles verrouillées, où le président sortant concentre tous les moyens entre ses mains, laissant aux autres candidats un champ d’action réduit.

De la même manière, la Kabylie se présente aujourd’hui comme une candidate à rejoindre la communauté internationale en tant que Nation souveraine. Et dans ce domaine, elle est prête à défier l’Algérie. C’est pourquoi nous appelons le Maroc, dont l’influence et la crédibilité diplomatique ne cessent de croître, à franchir une étape supplémentaire, ne serait-ce que pour rééquilibrer le terrain diplomatique et permettre à la voix kabyle d’être entendue à sa juste valeur. L’ouverture d’une représentation diplomatique kabyle sur le sol marocain constituerait, à cet égard, un premier pas significatif.

Que répondez-vous à ceux qui considèrent que vos revendications sont politiquement instrumentalisées par différentes parties ?

La seule instrumentalisation dont la Kabylie a été victime et qui vaut le coup d’être rappelée ici, c’est celle qui a consisté à mobiliser ses forces vives au service d’une Algérie qui, en retour, ne lui offrait que le feu et le tombeau.

Aujourd’hui, les tentatives de récupération échouent systématiquement et j’en veux pour preuve les 4 dernières échéances électorales algériennes qui ont toutes enregistré un taux de participation qui n’a jamais dépassé les 0.5%. C’est désormais une réalité incontestable, la Kabylie, portée par l’engagement cohérent et résolu du MAK, a ravivé le flambeau de ce qu’elle a toujours été : une Nation à part entière et qui est déterminée à reprendre son destin en main.

Il me tient à cœur de conclure en vous remerciant et en remerciant l’ensemble de vos compatriotes qui travaillent pour le rapprochement de nos deux peuples historiques.

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SIWEL 260747 MAR 25

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