CHRONIQUE (SIWEL) — J’ai lu dans le magazine NOVOSTI un discours de Poutine à propos de la Femme. Pas mal. Dans la photo illustrant l’article on y voit des femmes en uniformes, ors en étoiles sur les épaulettes et sur le veston, une barrette de décorations militaires marquant des actions d’éclat ou une conduite particulièrement méritoire. J’aurai aimé voir aux cotés de Poutine, à la place des guerrières de carrière, Valentina Terechkova.
Étrange ! Demandez à un petit russe qui est Gagarine, c’est avec une provocante fierté qu’il vous dira en précisant le prénom comme pour vous reprocher un outrage dans l’énoncé d’un grand homme : « Youri Gagarine est le premier homme à avoir effectué un vol dans l’espace ».
Le bambin se montrera tout de même déconcerté si vous lui posez la même question sur Valentina Terechkova, une femme dont il n’en a jamais entendu parler. Me diriez-vous : une ville, des rues, des places, des avenues, des centres de recherches, des centres culturels, des promotions militaires portent le nom de Youri Gagarine, ce qui est une bonne chose. Mais en ce qui concerne Valentina Terechkova ! Oulach, rien, nada, niet, si ce n’est un timbre-poste qui n’a pas survécu à l’effondrement de l’Union Soviétique.
Valentina Terechkova, une ouvrière du textile, était restée pendant longtemps la seule femme à avoir effectué un voyage en solitaire dans l’espace. Le 16 juin 1963, à 26 ans, elle était la plus jeune cosmonaute juste deux ans après Gagarine et six ans avant que l’américain Neil Amstrong ne pose pied sur la lune.
Trop faire pour un exploit d’un l’homme et taire le même exploit chez la femme, c’est aussi cela le 8 mars chez les puissants.
L’allemand Otto Hahn et l’autrichienne Lise Meitner ont été tous les deux ensemble à l’origine de la découverte de la fission nucléaire. Otto Hahn reçut le prix Nobel de chimie en 1944 et la Lise Meitner fut injustement ignorée. Elle refusera de devenir l’un des symboles terrifiants de l’holocauste planétaire en déclinant l’invitation à rejoindre l’équipe du physicien américain Robert Oppenheimer, chargé de la construction de la bombe atomique. Et, ce sont les hommes qui sont portés au triomphe pour la réalisation la plus diabolique de l’histoire. Cela dit, les exemples qui montrent que les prix, les distinctions et les récompenses ne se précipitent pas sur les femmes sont hélas nombreux.
CONFONDUE, LA FEMME EST DONC CHOSIFIÉE.
Cet article se veut un hommage aux femmes et précisément à Marie-Olympe de Gouges, la véritable fondatrice des mouvements pour l’émancipation des femmes. Son combat est passé sous silence. Elle n’était ni de gauche ni de droite et aucun acte de trahison ne pouvait lui être reproché, aucun crime. Elle sera guillotinée en novembre 1793 par Robespierre parce qu’elle avait exigé l’égalité des sexes et la démocratie, parce qu’elle avait défendu une ligne politique humaniste. La quête des bonis aveuglera son fils Pierre qui finira par la renier. Plus tard, ses sœurs françaises pour qui elle demandait la révision de leur statut et leur droit de vote l’oublieront, pour ce faire, elles devront attendre 1945.
Les femmes ont conquis l’égalité juridique et législative dans la plupart des pays du monde mais le prolongement de cet acquis dans les faits est pour des millions de femmes une rêverie quelque peu folle. Tant que les difficultés que les femmes doivent surmonter dans la société ne sont pas identifiées, la célébration de la journée du 8 mars reste emplie plus de duperie que d’engagement. De manipulations. De la fourberie masculine que la femme prend, à son corps défendant, comme une reconnaissance dans laquelle elle ne trouve pas le bon gout. Toute intelligence a le devoir de décrire son objectif de bannir toute forme d’inégalité entre les sexes sans que cette tâche ne laisse 364 jours entre les écrits sur la femme et l’outrage qu’elle subit. Cependant, le principe de dédier une journée à la femme est une opération plutôt arbitraire. D’anniversaires en commémorations, il n’y a pas une journée dans l’année qui n’ait pas son thème. Ainsi, des journées sont consacrées à l’eau, aux forêts, à la montagne, aux océans, aux zones humides, à l’environnement et à la couche d’ozone. Aux dauphins, aux animaux, aux oiseaux migrateurs. À la diversité biologique, aux espèces menacées, à la raquette des neiges. Au blog, à la télévision et au fromage. Aux lépreux, aux hémophiles, aux tuberculeux, aux aveugles, aux autistes, aux handicapés. Aux écrivains en prison, aux torturés et aux enfants violentés… Dans ce laticlave de refrains, convergent en sourdine : souvenirs, pitié, charité, compassion, bienfaisance… Et le 8 mars : journée internationale de la femme ! Quelle largesse, quelle bonté !
L’ambition de l’homme, plus précisément, de l’homme politicien qui a réfléchi à consacrer une journée à la femme est de s’élever au-dessus des thèmes dont il a garnit le calendrier. De fait, il a établi une hiérarchie dans l’esprit humain dans laquelle la femme a pris le statut de mineur, la position ingrate d’éternelle assistée. Elle a quartier libre l’après-midi du 8 mars et l’homme se retrouve seul au boulot comme le 22 septembre (Journée mondiale sans voiture) il est boudeur dans le métro, comme il s’en passe tant bien que mal de son caddie le 26 novembre (Journée Mondiale Sans Achats), comme il feinte le bar tabac le 31 mai, Journée Mondiale sans tabac
La femme à travers la journée du 8 mars subit continuellement des manipulations idéologiques.
Pendant longtemps, des penseurs gauchistes ne dissociaient pas la lutte des femmes de celle de la classe ouvrière. Partout, des gouvernements, des partis, des associations célèbrent la journée du 8 mars et inévitablement le thème de la journée est soumis à l’intérêt politique des organisateurs. Les femmes sont utilisées selon les besoins du moment puis rendues aux mains de l’oppression quand il n’y a plus besoin d’elles.
Passons sur la question d’accepter ou de refuser de lier le combat de la femme à une journée. Si l’on veut que cette journée symbolise les agrumes d’un large processus de luttes, cherchons dans quel épisode de l’histoire trouve-t-elle son origine ?
Une légende destinée à donner des racines américaines à la tradition du 8 mars rapporte que le 8 Mars 1857 à New York, les femmes employées dans les usines de textile se mettent en grève et descendent dans la rue pour revendiquer de meilleures conditions de travail : journée de 10 heures, des crèches et un salaire égal à celui des hommes. Cette manifestation, continue la légende, oppose les femmes à la police de New York, qui charge, tire et tue. Cet évènement qui vraisemblablement n’a jamais eu lieu fut rapporté dans le journal l’Humanité du 5 mars 1955 » La journée internationale des femmes continue la tradition de lutte des ouvrières de l’habillement de New York, qui, en 1857, le 8 mars, manifestèrent pour la suppression des mauvaises conditions de travail, la journée de 10 heures, la reconnaissance de l’égalité du travail des femmes. Cette manifestation produisit une grande impression et fut recommencée en 1909, toujours par les femmes de New York. En 1910, Clara Zetkin proposa de faire définitivement du 8 mars, la journée internationale des femmes «
L’Humanité avait omis de signaler que l’année 1857 était la date de naissance de la journaliste allemande Clara Zetkin qui à Copenhague, proposait aux participantes de la deuxième conférence internationale des femmes socialistes que les femmes socialistes de tous les pays organisent tous les ans une « journée des femmes » qui servira en premier lieu la lutte pour le droit de vote des femmes. Clara Zetkin n’avait pas précisé la date du 8 mars. Il est vrai que c’est elle qui avait proposé la création d’une journée internationale de la femme, afin de reconnaître les luttes menées par les femmes partout dans le monde. Seulement, C. Zetkin et ses camarades ne s’intéressaient qu’à la lutte des ouvrières, elles négligeaient les apports d’autres femmes aux révoltes contre toute forme d’aliénation et d’exploitation. L’invention délibérée des américains de la manifestation de mars 1857 n’est pas un hommage déguisé à Clara Zetkin, plutôt une volonté manifeste de la déposséder d’un acquis dans le seul but est la récupération de la journée du 8 mars. En tout état de cause, si la grève du 8 mars 1857 avait eu lieu, New York, la première ville américaine, n’aurait pas mis en vigueur un règlement exigeant que les chiens portent une médaille d’identité un certain 8 mars 1894. Sinon, la réponse de l’oncle Sam à une manifestation de femmes est lourde de sens.
Clara Zetkin joua avec Rosa Luxemburg un rôle déterminant dans création du parti communiste allemand. Emprisonnée et plus tard élue au Reichstag, elle lutte contre le nazisme en Allemagne. L’Humanité ne dit pas aussi que Staline, arrivé au pouvoir avait mis Clara Zetkin à l’écart de l’Internationale communiste. L’Humanité ne dit pas aussi qu’elle mourut en exil à Moscou le 20 juin 1933 dans des conditions qui n’ont jamais été élucidées.
Une autre référence falsifiée affilie la date du 8 mars à la participation des femmes ouvrières à la Révolution Russe. La littérature soviétique nous apprend que le 23 février 1917, date du calendrier russe, ou le 8 mars dans le calendrier grégorien, des femmes travailleuses sont sorties dans les rues pour déclencher des grèves générales qui, plus tard, ont inauguré la Révolution Russe. La réalité est que des femmes à Saint-Pétersbourg manifestaient pour réclamer du pain et le retour de leurs maris partis au front. La rumeur d’une manifestation d’ouvrières contre le Tsarisme déclenchée par le parti Bolchevik est alimentée à nos jours par les militantes de l’extrême gauche qui ignorent peut-être qu’avant que des habiles ne s’attribuent la paternité et l’organisation de la journée du 8 mars une fois devenue politiquement rentable, c’était bien Trotski qui insistait sur le caractère spontané et indiscipliné de cette initiative : « Sans tenir compte de nos instructions, les ouvrières de plusieurs tisseries se sont mises en grève et ont envoyé des délégations aux métallurgistes pour leur demander de les soutenir… Il n’est pas venu à l’idée d’un seul travailleur que ce pourrait être le premier jour de la Révolution » La journée du 8 mars étant la carte privilégiée des adeptes de la IV internationale, celles-ci en l’officiant, glorifient la première défaite de leur maître à penser Léon Trotski et les conditions humiliantes qui lui étaient imposées quand il fut contraint de signer un traité honteux avec l’Allemagne. La révolution en Allemagne sur laquelle il avait misé tardait à venir et les troupes allemandes reprenaient leur avancée en Russie et occupaient l’Ukraine. Il démissionnait de ses fonctions de Commissaire du Peuple aux Affaires étrangères le 8 mars 1918.
Les articles qui seront consacrés à partir de 1920 à la Journée internationale des femmes feront référence soit à la grève de New York soit à celle de Saint-Pétersbourg mais donneront des versions variables à l’origine de cette journée et à sa signification, selon la conjoncture et de l’organisation qui en parle. Le nom de Clara Zetkin est rarement cité. Celui de Marie-Olympe de Gouges reste tabou.
La révolution, dans le lexique marxiste, tend à faire participer pleinement les femmes à la vie économique, sociale et politique et c’était bel et bien Lénine qui décrétait en 1921, le 8 mars journée des femmes mais sans faire vœu de parité : aucune femme ne figurait parmi les responsables de l’état, pas même dans le plus insignifiant des soviets municipaux.
Aujourd’hui, dans les démocraties avancées, les images étalées le 8 mars, uniquement le 8 mars, à propos de la condition de la femme et encensées de discours pompeux sont en totale contradiction avec les faits des dirigeants qui restent conservateurs. Les conquérants, les vainqueurs, savent commémorer cette fameuse journée,
Le 8 mars 1933, c’était l’annonce officielle de la création de camps de concentration allemands dans l’indifférence générale des états européens.
Le 8 mars 1950, le maréchal Vorochilov annonce que l’Union soviétique possède la bombe atomique.
Le 8 mars 1965, trois mille cinq cents Marines américains débarquent au Sud-Vietnam.
Le 8 mars 1989 : La Chine impose la loi martiale au Tibet.
Et dans le silence, la vie pour des millions de femmes est pénible et pleine de corvées qui les poussent à l’arriération. Aux Etats-Unis, le droit à l’avortement est de plus en plus remis en cause et la garde des enfants est si coûteuse qu’elle est inabordable pour la plupart des travailleuses. Dans le tiers-monde, la condition des femmes est indescriptible. Dans les pays arabes, les femmes restent confinées au rôle traditionnel de la mère et de l’épouse dont l’objectif reste la procréation. Lorsqu’une femme est séquestrée, privée de liberté et de parole, toute forme de pouvoir peut s’exercer sur elle.
La femme donne la vie, la femme perpétue la vie, la femme et la vie sont donc synonymes. À ce titre, comment une journée peut-elle la contenir ?
La journée 8 mars devrait changer de thème, sinon, tant que l’égalité entre les hommes et les femmes ne sera pas atteinte, égalité convenablement réussie, nous n’aurons pas besoin de la célébrer.
Dans l’historique de cette journée, de maigres acquis sont à noter, certes, mais elles ne sont l’œuvre que des femmes seules. Il n’y aura aucune victoire, aucun triomphe, aucun bonheur à fêter cette journée si elle n’entraine pas femmes et hommes dans une même impulsion démocratique. Autrement, quel attrait aurait-elle sur l’opinion ?
Djaffar Benmesbah.
SIWEL 071312 Mar 17