Une nouvelle tentative de rassemblement des « forces vives, démocrates » (sic) voit le jour ; encore une fois dominée par une majorité écrasante de Kabyles « algérianistes ». Une majorité qui, pour beaucoup, continue d’occulter la tragédie kabyle, voire y a participé de près ou de loin. Nombre d’entre eux sont des nostalgiques des privilèges d’antan : ceux des strapontins politiques, des illusions de changement, de la politique spectacle et de la manipulation du citoyen. Une époque où les discours suffisaient, où dire dispensait de faire.
Ces soi-disant « démocrates », à travers un texte imprégné d’hypocrisie et de démagogie, ressassent des slogans usés. Ils prétendent parler au nom de tous les Algériens (!) qui, pourtant, ne les ont jamais reconnus ni mandatés. Ils affirment vouloir sauver la démocratie en sauvant l’Algérie, dans un langage à la fois creux, pompeux et incompréhensible.
Deux points positifs seulement émergent de leur manifeste :
1- La libération et la réhabilitation de toutes les personnes détenues.
2- L’abrogation des lois liberticides.
Mais à quel prix ce réveil tardif ?
– Il a fallu que l’Algérie atteigne un état de délabrement avancé pour que certains s’aperçoivent de l’échec total de sa politique économique.
– Il a fallu des décennies de falsification de l’histoire, d’effacement systématique de la mémoire ancestrale, pour que l’on admette qu’il n’existe aucune égalité entre les langues et les cultures sur ce territoire.
– Il a fallu que le spectre de la théocratie s’approche dangereusement du pouvoir pour que l’on reconnaisse l’emprise du fanatisme, du conservatisme, et de l’obscurantisme.
– Il a fallu l’isolement diplomatique de l’Algérie pour ouvrir les yeux sur la sénilité de ses dirigeants, et sur la corruption généralisée qui a disloqué le tissu social.
– Il a fallu que le peuple kabyle soit traité comme un ennemi intérieur, victime de massacres, de feux criminels, d’exil forcé, et d’une répression systématique pour « délit de Kabylité », pour qu’on voie surgir ces fameuses « forces vives démocrates et citoyennes », soudainement préoccupées par l’esprit de la Soummam et du mouvement de février 2019, le Hirak.
Mais pourquoi maintenant ? Et pourquoi cette récupération de la Soummam comme si le Hirak en était le prolongement naturel ? Ils ne le disent pas.
Nous sommes alors contraints de rafraîchir certaines mémoires. Ce qui revient souvent chez ces démocrates, c’est une forme d’amnésie sélective, ou pire, un oubli volontaire :
– Ils ont soigneusement tu l’objectif réel du Hirak : un simple remplacement de figures, sans toucher à l’architecture du système.
– Ils ont promu le slogan « khawa-khawa », une fraternité de façade qui a servi à interdire la langue kabyle dans l’espace public. Une fraternité dans l’absorption ou l’exclusion du Kabyle.
– Ils ont ignoré l’imposture de la période Covid : alors que toutes les régions d’Algérie ont suspendu leurs marches à la demande des autorités, la Kabylie, elle, voyait affluer des bus remplis de manifestants venus d’ailleurs. Les conséquences sanitaires y furent dramatiques.
– Ils ont feint d’ignorer que le Hirak, loin d’être un mouvement spontané, a été instrumentalisé par un clan du pouvoir, exploitant la sincérité d’une population, notamment en Kabylie, pour mieux briser la dignité du village kabyle.
Les conséquences auraient été encore plus dramatiques sans la réaction de conscientisation de la Kabylie par les indépendantistes et quelques personnalités du monde politique et intellectuel kabyle. La solidarité et l’organisation traditionnelle kabyle ont fait le reste.
Ces démocrates persistent à occulter les réalités historiques et anthropologiques de l’Algérie, une construction coloniale à la nature composite, un agrégat de peuples placés sous une même autorité. L’unité nationale, qu’ils évoquent comme un dogme sacré, n’existe que dans l’esprit de ceux qui sont passés d’un ethnocide programmé à une politique génocidaire assumée. Ce crime contre l’Humanité n’a guère été dénoncé par ces « forces vives ».
Ils continuent à s’enfermer dans le modèle des démocraties parlementaires européennes, celui de la loi de la majorité, appliqué à un pays dont le système est verrouillé, le mensonge est systémique, et où le Kabyle, réduit à une minorité instrumentalisée, n’aura jamais le moindre pouvoir décisionnel. Il restera en périphérie d’un pouvoir centralisé, aux racines culturelles et idéologiques figées, imperméables à tout changement réel.
Il en va de même pour la question linguistique. La langue arabe règne en maître, institutionnellement installée dans toutes les sphères : administration, éducation, religion. Ce qu’ils appellent « Tamazight » n’existe, en vérité, que dans la bouche de ceux qui la parlent encore. Et même là, on en dilue le sens. On fait croire à l’unité d’une langue qui n’est qu’un ensemble de « parlers ». On attend que sorte des laboratoires de l’État une langue artificielle, incomprise de tous, ce qui, finalement, sert à effacer chaque « parler », dont le kabyle, relégué aux oubliettes de l’histoire.
De loi en loi, de majorité identique à majorité analogue, le Kabyle est condamné à subir une évolution politique qui lui échappe, chaque fois davantage, chaque fois plus tragiquement.
Dans leur texte, le mot Kabyle est tout simplement effacé. Dissous sous un vernis d’unité mensongère. Nous sommes, une fois encore, dans un hirak khawa-khawa, viscéralement hostile à toute affirmation kabyle.
En conclusion
Le texte ne dit rien de clair sur les moyens d’action ni sur la stratégie à adopter pour mettre en œuvre ce qu’il propose, exactement comme le Hirak qui a fini par révéler sa véritable nature : celle d’un mouvement sans cap, infiltré, vidé de son essence par ceux qui refusent de reconnaître la diversité profonde de ce pays et surtout, condamne le peuple kabyle à l’effacement.
Exil, le 21 août 2025
Raveh Urahmun
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