REVUE DE PRESSE (SIWEL) – Le président Ferhat Mehenni a accordé une interview au journal en ligne EU-Maghreb-Scope spécialisé dans l’analyse des questions politiques, économiques et sociales au Maghreb, au Sahel et de leurs liens avec l’Europe, qui l’a publiée en arabe et en allemand (liens ci-dessous).
Le président du Gouvernement kabyle en exil et du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie a déclaré qu’en 2025, « La Kabylie envisage l’indépendance et la normalisation avec Israël »
Nous publions la version française :
1-) Pour quelles raisons demandez-vous l’indépendance de la Kabyle ?
Ferhat Mehenni : Nous avons exposé en 2017, dans le Mémorandum pour le droit à l’autodétermination du peuple kabyle, adressé à l’ONU, les bases qui fondent la légitimité de cette revendication. Il y est dit notamment que « La volonté d’indépendance de la Kabylie n’est pas le fait d’un éveil accidentel ou passager de son peuple à un rêve de liberté. Elle constitue une donnée permanente et irréductible de sa personnalité et de sa culture depuis la nuit des temps ».
En plus des raisons historiques, notamment la permanence de la personnalité politique de la Kabylie à travers les âges, la création en 1839 de l’Algérie par la colonisation française à laquelle le territoire kabyle ne fut annexé de force que 32 ans plus tard, il y a des données juridiques et politiques qui ne permettent plus, autrement que par la répression, le maintien de la Kabylie dans l’ensemble algérien. Le déni d’existence qui lui est opposé et les droits naturels qui lui sont confisqués font que la Kabylie ne s’est jamais sentie algérienne, ni du temps de la France, ni depuis 1962. Les politiques d’assimilation menées depuis 1963 ans pour la dépersonnaliser ont toutes lamentablement échouées.
Les révoltes cycliques dont est jalonné son histoire face à l’Algérie postfrançaise, témoignent de la permanence de son éternelle volonté d’indépendance. Dès 1963 et jusqu’en 1965, la Kabylie avait pris les armes contre l’Algérie, sous l’autorité de Hocine Ait Ahmed (FFS). De 1980 à 1985, des troupes ont été acheminées par Alger vers la Kabylie où il fallait empêcher des manifestations politiques à 36 reprises. En 1993, la Kabylie s’était organisée contre les groupes terroristes issus de la mouvance islamiste. Toute l’année scolaire 1994-95 fut boycottée par la Kabylie qui réclamait la reconnaissance de ses droits identitaires, culturels et linguistiques. En 1998, manifestations monstres contre l’assassinat du chanteur kabyle Matoub Lounès, assassinat que la rue avait attribué à juste titre aux Services algériens. En 2001, révolte pacifique kabyle durant laquelle la dictature avait fait parmi les manifestants plus de150 morts, 6000 blessés dont 1200 handicapés. En 2021, la Kabylie est totalement brûlée par les militaires algériens, avec des troupes, des drones et des hélicoptères ; résultat, plus de 500 morts et des centaines de grands brûlés.
Rappelons que l’Algérie refuse à ce jour d’avoir des entités politico-administratives régionales pour ne pas avoir à reconnaitre et nommer la Kabylie. La langue kabyle est toujours niée et nos enfants sont soumis à une politique de dépersonnalisation, ce qui est en soi une entreprise de génocide culturel, donc un crime contre l’humanité.
Enfin, les centaines de prisonniers politiques kabyles actuels sont la preuve de notre irréductible volonté d’indépendance qu’aucune répression ne peut entamer.
La Kabylie est laïque et démocratique, l’Algérie est une dictature militaro-islamiste. Vous comprenez, j’espère, que la Kabylie est l’antithèse de l’Algérie et qu’en étant liées, elles se livrent un combat à mort. La Kabylie ne réclame pas la mort de l’Algérie contrairement à la démarche algérienne contre la Kabylie. Elle réclame juste son droit d’exister en tant que voisine de l’Algérie et non en tant que colonisée par celle-ci. Vous voyez donc, combien la Kabylie n’a rien à voir avec l’Algérie, surtout depuis qu’elle boycotte toutes les élections les plus importantes de cette dernière, notamment à partir de 2001. Elle ne s’en sent plus concernée.
2-) Une cour pénale d’Alger vient de vous condamner par contumace à 20 ans de prison. Quelle est votre réaction ?
Ferhat Mehenni : Le nombre de mes condamnations à mort, à perpétuité ou à 20 ans sont légion, depuis octobre 2021. Cumulées, elles sont égales au nombre de procès en sorcellerie politique faits aux militants kabyles, toutes tendances confondues et toutes assimilées à celle du MAK. Je défie le pouvoir algérien d’apporter la moindre preuve de mon implication directe ou indirecte dans un quelconque acte de violence terroriste commis quelque part. Nous sommes un mouvement de libération nationale pacifique, ce qui est une première à l’échelle de la planète. Nous ne revendiquons, en tant que peuple kabyle, que le fait d’exercer notre droit légitime à disposer de nous-mêmes. La dictature militaire qui instrumentalise le droit des peuples à l’autodétermination pour déstabiliser le Maroc et le Moyen-Orient, réprime ce même droit, au nom de la chimérique « unité nationale », de la manière la plus abjecte, dès qu’il s’agit de le reconnaître pour la Kabylie.
En vérité, les condamnations qui sont prononcées contre moi et contre nos militantes et militants sont strictement politiques et non criminelles. Elles vont être effacées avec autant de célérité et de légèreté que celles avec lesquelles elles ont été édictées et ce, dès que les conditions qui les ont motivées auront disparu. La preuve en est que quelques militants ayant accepté de renoncer à leur appartenance au MAK, pour préserver leurs biens menacés de séquestre, ont vu leur condamnation annulée aussitôt qu’ils ont signé un document de collaboration avec les Services algériens.
3-) Vous avez adressé une lettre à l’ambassadeur d’Algérie auprès des Nations Unies pour lui demander d’organiser, au Conseil de Sécurité qu’il présidait, un débat sur le droit du peuple kabyle à son autodétermination. Quels en étaient vos objectifs ?
Ferhat Mehenni : Le représentant de l’Algérie à l’ONU présidait le Conseil de Sécurité en janvier dernier. Il avait annoncé que sa présidence allait être consacrée, entre autres, à l’organisation d’un débat sur le droit à l’autodéterminations des Palestiniens et des Sahraouis ex-espagnols. Comme le chameau ne voit que la bosse des autres, j’ai tenu à lui rappeler la sienne. Je ne me faisais aucune illusion quant à l’issue de ma demande. Il était juste nécessaire que, sur le plan historique, cela soit inscrit pour toujours dans la mémoire de mon peuple.
4-) Une décision d’un tribunal britannique a reconnu les Kabyles en tant que peuple au sens du droit international et par conséquent, ouvrant droit à l’autodétermination. Quel poids, cette reconnaissance a-t-elle pour votre combat ?
Ferhat Mehenni : Nous ne sommes pas le premier peuple à nous adresser aux juridictions britanniques, réputées pour leur sérieux et leur crédibilité, pour émettre un avis dans le but de conforter la légitimité de sa revendication d’autodétermination. C’est parce que la dictature algérienne oppose un déni d’existence au peuple kabyle que nous nous sommes adressés à une juridiction incorruptible et impartiale pour nous départager avec nos négateurs. Le poids de cette reconnaissance est énorme. Il nous libère des accusations de séparatisme des autorités algériennes. Même si, dès le départ, nous nous étions émancipés de telles incriminations. Désormais, grâce à cette reconnaissance de notre statut de peuple, voire de nation parfaitement constituée, nous sommes fondés, sous certaines conditions, à proclamer de manière unilatérale l’indépendance de la Kabylie. Cela pourrait intervenir dans quelques mois, en cette année 2025.
5-) Alger vous accuse régulièrement de bénéficier du soutien du Maroc. Que répondez-vous à ces accusations ?
Ferhat Mehenni : En tant que peuple épris de liberté, nous avons besoin du soutien de tous les pays du monde. Le Royaume du Maroc a toujours assumé dans les instances de l’ONU et des Non-alignés, depuis 2013, la légitimité du droit du peuple kabyle à son autodétermination. Nous lui en sommes reconnaissants. Pour autant, ce soutien est purement politique. Il n’est pas comparable à celui, militaire et financier que l’Algérie assure, au su du monde entier, au Polisario ou au Hamas et au Hezbollah. Nous aurions aimé avoir un soutien financier des Etats dont les intérêts convergent avec l’émergence d’une Kabylie indépendante. Ce n’est pas encore le cas. Nous ne désespérons pas d’y parvenir, un jour.
6-) Vous avez exprimé, à plusieurs reprises, votre soutien à la normalisation des relations des pays musulmans avec Israël. Pourquoi cette position ?
Ferhat Mehenni. Si la Kabylie était indépendante, elle aurait été le premier pays à reconnaître à Israël le droit d’exister et celui de se défendre contre ceux qui, par racisme, tentent depuis plus de 75 ans à le « démanteler ». Normaliser ses relations avec Israël est un acte de lucidité et de bon sens, je dirais un acte d’humanisme, de civilisation. Il faut sortir le monde de ses réflexes de haine et des violences qu’ils génèrent ; il y a plutôt lieu de bâtir des relations de bon voisinage. La Kabylie qui respecte toutes les croyances, respecte aussi à tous les peuples le droit d’assurer par eux-mêmes leur propre sécurité. La sortie des pays arabes et des pays musulmans de la belligérance avec Israël est un acte salutaire et responsable de leur part. S’il y a des problèmes avec ce pays, la diplomatie est largement opérationnelle pour régler les divergences et les éventuelles oppositions politiques avec lui. La guerre n’est légitime qu’en tout dernier ressort, et encore ! Or, dans le cas d’Israël, on a commencé par lui faire la guerre avant même d’en venir à prendre langue avec lui.
Que chacun comprenne à travers cette position claire et nette que l’émergence d’un Etat Kabyle en Méditerranée et sur le sous-continent nord-africain servira davantage la cause de la paix, de la stabilité et de la coopération entre les peuples en lieu et place de celle de la déstabilisation de ses voisins comme s’ingénie l’Algérie à la cultiver depuis des décennies.
7-) Vous accusez les Services algériens de chercher à déstabiliser la France. Sur quelles bases fondez-vous ces accusations ?
Ferhat Mehenni : Je n’accuse pas. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, en personne, a toujours menacé la France de mobiliser sa nombreuse diaspora contre elle. Il a même, dans l’une de ses récentes déclarations, encouragé ses jeunes à passer à l’acte en les assurant de sa protection et de l’impunité nécessaire. La déferlante des « influenceurs » algériens sur les réseaux sociaux n’est que la traduction de ces menaces en actes. Ce qu’il ignore est le fait que cette diaspora dite algérienne soit dans son écrasante majorité d’origine kabyle et sourde à ses appels. La communauté kabyle en France, forte d’au moins deux millions de personnes, n’a pour objectif que le recouvrement de sa souveraineté par leur véritable patrie, la Kabylie, et non celui d’une idiote revanche sur la France qui n’est plus coloniale depuis plus d’un demi-siècle.
8-) Dans un contexte régional aussi complexe, comment voyez-vous l’avenir de la Kabylie ? Quelle voie privilégiez-vous, la négociation, les pressions internationales ou une stratégie d’indépendance unilatérale ?
Ferhat Mehenni : Nous ne voyons d’avenir pour la Kabylie que dans son indépendance. Par quels moyens voudrions-nous y accéder, là est la question. Pour nous, au MAK et à l’Anavad, la voie de la violence armée est exclue. Celle de la négociation est privilégiée. Les pressions internationales n’ont de sens qu’en soutien à notre démarche pacifique. Dans un monde idéal, la table des négociations aurait dû déjà nous réunir pour mettre un terme à une défiance mutuelle qui, au fil des ans et des décennies, s’est malheureusement gravement renforcée. Aujourd’hui, une négociation, entre les deux parties, a besoin de garants internationaux pour assurer l’exécution de ses décisions.
Toutefois, si Alger continue d’opposer une fin de non-recevoir à notre demande d’une solution démocratique et pacifique à l’avenir du peuple kabyle, nous nous acheminerons, à coup sûr, vers la Déclaration unilatérale d’indépendance, à l’image de celle faite en 1776 par les Etats-Unis d’Amérique face à la couronne britannique.
Enfin, nul n’est éternel en ce monde, il est fort à parier, espérons que nous nous trompons, que nous soyons les dernières colombes de la Kabylie.
SIWEL 191710 AVR 25
Sources :
– Version en allemand :
-Version en arabe :
https://eu-maghreb-scope.de/arabic/فرحات-مهني-قد-نعلن-استقلال-القبائل-في-2025/
KAB68027 1 G 2267 20250419 16:12 UTC+1 FRA/SIWEL-RC1719