Dans l’interview accordée au journal L’Observateur du Maroc et d’Afrique, parue mardi 13 avril 2021*
Au milieu du Hirak algérien, le pouvoir militaire d’Alger a accusé certaines parties de vouloir embraser l’Algérie en transformant les manifestations en confrontations violentes. Le Mouvement indépendantiste kabyle a été nommément cité comme un fauteur de trouble, le pouvoir lui reproche d’être derrière le Hirak. Dans cette interview que nous a accordée Ferhat Mehenni, le Président du Gouvernement provisoire kabyle, les choses sont bien différentes.
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Le président Abdelmadjid Tebboune et à sa suite les médias, accusent le MAK d’être derrière le Hirak qu’il veut transformer en confrontation violente. Quelle est votre réaction et quelle est votre position par rapport au Hirak ?
Ferhat Mehenni : Le pouvoir algérien est dans l’impasse. Il est aux prises avec lui-même. Ce sont ses clans internes opposés à Tebboune qui sont en train de faire jouer les prolongations au mouvement de protestation populaire. Comme l’indu élu à la présidence de l’Algérie n’a pas le courage de les nommer, il fait diversion en nous accusant. Conformément à la loi de l’Omerta qui sévit au sommet de la mafia, il ne faut surtout pas que l’opinion sache ce qui se passe réellement. Alors, accuser le MAK de tous les maux du pays devient plus facile pour lui. Au sommet de l’Etat, la lutte des clans pour le contrôle du pouvoir, dont Tebboune n’est qu’un faux profil, fait toujours rage. Deux ans après avoir rompu l’équilibre clanique au nom duquel on escomptait faire faire un cinquième mandat à un Bouteflika grabataire, le compromis qui leur permettrait un retour au calme serait encore loin d’être trouvé.
Quant à ce Hirak qui, au début, avait induit en erreur un grand nombre de Kabyles, il nous avait posé un sérieux problème tactique. Le soutenir revenait à réinsérer la Kabylie dans l’Algérie, or notre objectif est de l’en sortir. Ne pas l’aider revenait à être soupçonné sinon de soutien direct, du moins de soutien indirect au régime algérien. Nous avons décidé de renvoyer dos à dos et le pouvoir et le Hirak tout en dénonçant la répression contre ce dernier. Nous l’avons fait savoir dans deux contributions, l’une dans le Huffington post (https://quebec.huffingtonpost.ca/ferhat-mehenni/algerie-bouteflika-apres-revolution-vendredi-dictature-chaos_a_23701321/) et l’autre dans Le Causeur (https://www.causeur.fr/algerie-kabylie-hirak-arabisme-172824).
Le Hirak est un mouvement initié et contrôlé par des clans militaires dont celui du général Nezzar et du général Toufik. Mais comme dans tout mouvement sans queue ni tête, tous les pêcheurs en eaux troubles s’y sont rués pour tendre leurs perches dans l’espoir de pêcher quelques bribes de légitimité qui leur servirait à se faire une place dans la reconfiguration du paysage politique que tout cela ne manquera pas d’induire.
C’est le clan Nezzar-Toufik qui instrumentalise le Hirak en Kabylie où, chaque vendredi, ils envoient leur pléthore d’agents par dizaines de bus, encadrer les marches à Vgayet et Tizi-ouzou en scandant des slogans pro-algériens. Mais c’est aussi une façon de faire pression sur leur clan adverse, de dire que ce sont eux qui maîtrisent la Kabylie. Or il n’en est rien. La Kabylie aspire à son indépendance et rien ni personne ne la fera revenir en arrière.
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : On vous associe aussi au Mouvement Rachad qu’on qualifie d’islamiste. Quelles sont vos relations avec ce mouvement ?
Ferhat Mehenni : C’est la blague de l’année ! Rachad est un mouvement sponsorisé par la coalition Turquie-Iran-Qatar dont l’objectif est de satelliser l’Algérie autour d’elle et d’en faire un pion dans la reconfiguration géopolitique qui s’opère à la faveur de la pandémie de la Covid 19.
Si nous avions les moyens de Rachad, la Kabylie serait déjà indépendante. Rachad est panislamiste et panarabiste aux antipodes des aspirations de la Kabylie, indépendantiste, amazighe et laïque. Il n’y a aucun possible rapprochement entre nous.
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Que pensez-vous des violences et des viols commis par la police contre les jeunes du Hirak?
Ferhat Mehenni : Le premier à avoir révélé avoir été violé lors d’une séance de torture pour lui faire avouer qu’il était militant du MAK est Walid Nekkiche. Nous sommes encore commotionnés par la révélation. Nous savions que la torture est une pratique courante depuis la guerre d’Algérie chez les services algériens. Mais ajouter le viol à l’arsenal du tortionnaire est au-delà de l’abject. Tebboune et ceux des clans qui se disputent la maîtrise de sa fonction doivent être traduits devant une juridiction internationale des droits humains.
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : L’Algérie envoie des aides alimentaires à certains pays africains au moment où les Algériens ne trouvent pas ces produits chez eux, qu’en pensez-vous ?
Ferhat Mehenni : Je présume que c’est pour s’acheter les faveurs de dirigeants africains en vue d’appuyer au sein de l’Union Africaine ses thèses du Polisario. La diplomatie militaire a, visiblement perdu pied dans cette affaire du Sahara marocain.
Priver ses propres citoyens de produits alimentaires pour les affecter à la corruption diplomatique est non seulement moralement pitoyable mais politiquement raté.
J’ai été peiné et révolté de voir des vidéos d’émeutes de citoyens algériens qui se battent pour des bouteilles d’huile ordinaire, dévaliser de grandes surfaces pour avoir un minimum de provisions pour le ramadan. J’ai eu de la compassion pour ces pères de famille en quête de produits leur permettant de ne pas voir leurs enfants mourir de faim.
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Comment voyez-vous l’issue du Hirak pour l’Algérie et pour la Kabylie ?
Ferhat Mehenni : Le Hirak a perdu d’avance sa bataille. Il ne peut pas réussir s’il reste tel qu’il l’a été jusqu’ici. En effet, il n’a ni programme ni dirigeants. Et quand-bien même il en aurait un jour, ce ne sont pas par des marches hebdomadaires qu’il va faire chuter le pouvoir. Une révolution se donne les moyens de sa réussite qui sont loin de ces kermesses du vendredi dont la foule profite pour prendre l’air et des selfies de souvenirs.
En Kabylie, nous nous solidarisons avec les victimes de la répression au sein du Hirak, et ces derniers temps, nous sommes heureux que, pour la première fois, ses partisans nous renvoient l’ascenseur en réclamant la libération de Lounès Hamzi, président du MAK-Ouest, et de notre militant Djamal Azaim. Le premier est mis sous dépôt avec un dossier vide depuis six mois et le deuxième a été condamné à deux ans de prison ferme pour avoir exprimé une opinion sur facebook. Il est certain qu’après l’échec inéluctable de ce mouvement, nombre de ses partisans rejoignent les rangs du MAK luttant pour la liberté du peuple kabyle.
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Le retour du général Nezzar, condamné à 20 ans de prison, dans un avion présidentiel et la libération Toufik Mediene, a suscité beaucoup de commentaires. Qu’en pensez-vous ? Sont-ils toujours les vrais dirigeants ?
Ferhat Mehenni : Le clan n’a pas été totalement dévasté. Ses ramifications, toujours à l’œuvre, ont entravé celle de leur adversaire numéro un, Gaid Salah. La mort douteuse de celui-ci, en décembre 2019, en est la preuve et relève, à coup sûr, d’un règlement de comptes, entre eux. La réactivation du Hirak est de l’initiative de ce clan qui tente de reprendre le contrôle de ce qu’il a perdu.
Aujourd’hui, ce binôme, vieilli et malade, n’a pas les coudées franches mais on susurre par-ci et là qu’il aurait le soutien de ses sponsors coloniaux souhaitant remettre en marche la machine de la dictature militaire.
SIWEL 132200 AVR 21