CHRONIQUE (SIWEL) — Pour essayer de sortir de la morosité et des maussaderies ambiantes actuelles, dues aux multiples arrestations honteuses, écoeurantes et consternantes, de nos militants(tes) indépendantistes par les forces coloniales algériennes, qui sont de plus en plus aux abois face à la détermination, au cran et à la fermeté affichés pour nous sortir du joug de l’occupant des plus démolisseurs et des plus ravageurs, je vais par le présent acyclique, vous inviter à apprécier le réflexe de bon sens, d’un Kabyle, qui devrait marquer l’histoire de la pensée kabyle à l’ancienne.
Avant 1871, la Kabylie qui comptait un peu plus de 960 000 habitants disposait d’une économie de 36 millions de francs or.
Le soulèvement kabyle, du 16 mars de la même année, contre l’occupation française, nous a plongés dans le dénuement et la paupérisation totale suite à une offensive musclée de l’armée française, d’une ampleur exceptionnelle.
Le but des anciens colons était de réduire la Kabylie à néant, et de maintenir les Kabyles dans une misère matérielle et morale démesurée ; quasi démentielle.
Toute l’économie de la Kabylie a été extorquée et pillée. Des centaines de villages ont été saccagés, les fermes incendiés et le tissu industrieux réduit à néant.
Ainsi, la méconnaissance de notre histoire a fait de nous des envieux, des égoïstes, des jaloux et des circonspects, voire des pauvres d’esprit.
Il est, plus que jamais, temps de nous interroger, et de rechercher la racine du mal qui nous ronge, pour comprendre les raisons de nos malheurs, dûs essentiellement aux successives occupations et colonisations de la Kabylie.
Même notre solidarité, légendaire, en a prit un affligeant coup dans l’aile.
L’extrême misère, imposée par Bugeaud (Bicuḥ) et ses affidés, étant devenue le quotidien du Kabyle de l’époque, il aurait fallu attendre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème , en 1905 notamment, pour voir débarquer en France les premiers gros contingents de montagnards qui venaient travailler, afin de subvenir aux besoins de leur famille.
La révolution industrielle française ayant pris un essor croissant, la France avait un besoin criant d’une main d’oeuvre bon marché. Le Kabyle, qui avait la réputation d’un courageux travailleur, était tout indiqué pour les corvées à assumer.
Il fallait, donc, prioritairement aller chercher des bras en Kabylie. Pour rappel, les dockers de Marseille et les ouvriers du métro parisien, dont les travaux de la ligne 1 ont débuté le 04 octobre 1898, sont majoritairement issus de la Kabylie.
Madame la France, qui nous a paupérisés, avait besoin de nous exploiter pour continuer à mieux nous dominer.
Ce que vit la Kabylie, en plus cataclysmique, aujourd’hui, n’est qu’une pâle copie de ce que nous subissons depuis la perte de notre souveraineté en 1857.
À présent, je reviens à cet écho, qui nous vient de loin, que je trouve digne et significatif de la pensée kabyle ancienne.
Parmi les gros effectifs kabyles qui venaient, au début du 20ème siècle, travailler en France, il y avait un monsieur âgé de 36 ans qui était accompagné de son fils aîné, âgé lui de 18 ans. C’était l’époque où les Kabyles se mariaient très tôt.
Arrivés à Marseille, ils se dirigèrent vers la gare Saint Charles pour prendre le train qui devait les ramener à Paris-gare de Lyon.
Une fois descendus dans la capitale française, ils se rendirent à une adresse où ils devaient rejoindre les leurs, et les membres de leur village qui les avaient précédés.
Après un dîner copieux qui leur a été offert, on leur a proposé de les faire embaucher dès le lendemain.
Le père et le fils étaient tellement enchantés par l’accueil qui leur avait été réservé, qu’ils se sont sentis sur un petit nuage. Mais la réalité devait les rattraper parce qu’il fallait bien qu’ils se retroussent les manches.
Ils discutaient entre eux, et à un moment donné le fils dit à son géniteur : père, et maintenant qu’allons-nous faire ? (A va, i tura acu ara nexdem) ? Et le père, avec un aphorisme, dont avaient le secret nos anciens, regarde son fils droit dans les yeux et lui répond : Kečč ṛuḥ ad ţxedmeḍ af yemma-k, nekk ad ṛuheɣ ad xedmeɣ af tmeṭṭut-iw [toi tu vas aller travailler pour ta mère, et moi je vais aller travailler pour ma femme].
Quelle force du verbe, du vocabulaire et de la syntaxe !
Cet exemple, de pensée d’un Kabyle lambda, est tout à fait authentique.
Cette citation est un véritable enseignement pour tout Kabyle qui se respecte. Travaillons, prioritairement, pour nous-mêmes, sans oublier de penser aux autres qui pourraient notamment être des nôtres !!!
A.T. le 15/09/2019
SIWEL 161200 SEP 19