GOUVERNEMENT PROVISOIRE KABYLE
MOUVEMENT POUR L’AUTODÉTERMINATION DE LA KABYLIE MAK-ANAVAD |
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RAPPORT D’AGRESSION D’UN MILITANT PAR LA POLICE/GENDARMERIE COLONIALE |
Lazhar Bessadi, militant d’At Waɛvan
À une journée de la marche, à 17 h 30, j’ai reçu un coup de téléphone de la part d’un camarade militant m’annonçant que la répression sera féroce et qu’il faut absolument que l’on soit sur les lieux pour renforcer le comité d’organisation qui a déjà planifié la marche auparavant. Une fois sur les lieux, les militants de Tuvirett ( Rafur, Taqervuzt, Iwaqquren, Carfa… ) que je salue au passage, ont assuré un protocole de déplacement digne du combat que nous menons.
Aux alentours de minuit une réunion de briefing a servi pour mettre tout le monde au même niveau d’information, où l’on a été unanime pour dire que l’on allait résister quoi qu’il arrive.
L’enthousiasme était tel que les quelques heures qui nous séparaient du rendez-vous se sont écoulées plus vite que la normale. À 6 h 30 du matin on s’est rassemblés dans le point de chute, pour démarrer la caravane comme prévu.
Sur notre chemin, les cellulaires des militants sonnaient sans arrêt. On nous annonçait des arrestations un peu partout. Aucun véhicule n’a échappé au contrôle des forces coloniales. « Tuvirett est assiégée, des barrages de contrôle installés sur toutes les artères menant vers la ville », nous a rapporté un militant au téléphone.
À notre arrivée à la gare routière, qui était pleine d’agents en tenue civile et en uniforme, nous étions une trentaine de militants et nous avions décidé de nous rendre au point du départ de la marche. Une fois sur les lieux nous avons trouvé le portail de l’université infesté de policiers anti-émeutes. J’avais un sac à dos et c’était la première chose qui a attiré les policiers. Ils m’ont demandé de le leur remettre. Devant mon refus, ils me sont tombés dessus pour me l’arracher, mais j’ai résisté. Rachida Ider s’est interposée entre moi et les policiers. Elle a essayé de m’aider, les militants et les militantes sont intervenus. On a résisté tous ensemble. Des renforts de la police coloniale sont arrivés et là je ne pouvais rien faire pour repousser toute cette armada qui m’est tombée dessus.
Ils m’ont fait rentrer dans un poste de police où j’ai trouvé Frawsen Frawsen Vusevsi déjà immobilisé. Quelque temps après, ils nous ont déplacés vers le commissariat central de Tuvirett. Frawsen et moi, nous étions transférés ensemble. A mi-chemin, on a commencé à chanter l’Hymne National Kabyle. C’était comme si on pratiquait un rituel d’exorcisme sur les policiers. L’Hymne les rendait fous de rage et très agités.
Une fois dans le commissariat central, un policier m’a pointé du doigt «Hawlek lmareg li hdartukum 3lih » (je vous présente le perturbateur dont je vous ai parlé). Et c’est là que l’enfer a commencé pour moi. Trois agents zélés de la B.R.I ont sauté sur moi en me donnant des coups de poing sur le torse, des coups de pied aux tibias. Ils m’ont pris par les cheveux, c’est à ce moment que j’ai perdu la notion du temps. Tout s’enchaînait très vite. D’un bureau à un autre, et à chaque transfert, des agents me rentraient dedans violement. Ils me placardaient au mur pour essayer de me menotter, mais je ne me laissais pas faire. Un agent a même essayé de me pousser sur une vitre pour me jeter dans le vide, je l’ai évité de justesse. Ses camarades lui ont dit « que fais-tu ? », il leur a répondu : « il voulait se jeter par la fenêtre, il veut nous incriminer celui-là . Ils se sont remis à me taper dessus. Ils m’ont ligoté les mains et les pieds et m’ont soulevé pour m’emmener dans un autre bureau. Je ne savais plus ce qui se passait et étais totalement désorienté. A un moment, j’ai entendu le son d’un teaser. Sur le coup, j’ai pensé à un arrêt cardiaque. Mon cœur battait très vite. J’ignore ce qui a fait changer l’avis au policier qui l’a dégainé, mais tout ce que je sais est que j’ai eu la chance de lui en avoir échappé.
Quelque temps après, ils se sont calmés. Ils m’ont mis dans un bureau pour m’interroger et c’est là que j’ai croisé Youcef Messouaf, le Président de la Coordination Sud du MAK-Anavad. Un policier commence à me poser des questions tout en essayant de se distinguer de ses camarades en me disant qu’ils n’étaient pas tous les mêmes et que ceux qui nous ont frappés sont des brutes.
À la fin de l’interrogatoire et la prise des empreintes, ils m’ont transféré dans une brigade de la B.R.I, en compagne de plusieurs de mes frères militants : Agawa At Qassi, Yuva Djouaher, Belaid Meswaf et beaucoup d’autres. Une fois arrivés dans cette brigade, ils nous ont emmenés dans un sous-sol, où j’ai croisé des militants et des non-militants, arrêtés par erreur ou par terreur.
Après deux longues heures au sous-sol, j’ai vu une réaction soudaine chez les policiers qui gardaient la porte. Ils se sont mis en garde à vous et j’ai lu de la frayeur sur leurs visages. C’est là que j’ai compris qu’un haut gradé est venu nous rendre visite. Effectivement, c’était le divisionnaire de la police.
Il commença à interroger avec mépris les jeunes qui ont été séquestrés dans la salle. Yuva Djouaher lui répond froidement. Juste après avoir interrogé deux autres personnes, il m’interrogea à mon tour. Il me posa des questions en arabe et j’ai fait semblant de ne pas comprendre. Il demanda à un policier de traduire. Lorsqu’il a demandé pourquoi j’étais venu marcher. Je lui ai répondu que c’était pour l’indépendance de la Kabylie. C’est là où il a commencé à m’insulter de tous les noms, tout en répétant le mot indépendance, comme si j’avais brandi une croix sur le visage de Satan.
Il a demandé aux policiers de nous isoler Yuva Djouaher et moi. Ce que la police à tout de suite fait. Quelques minutes après, le tyran nous a rejoints, sachant qu’à ce moment je m’étais moralement préparé à toutes les pressions et les violences. Il a demandé aux policiers de m’enlever le pantalon. J’ai fait un sourire et j’ai posé ma main sur ma ceinture, tout en faisant un geste pour dire que j’allais l’enlever moi-même. Je ne crains pas la nudité et cela l’a nargué. Ensuite, il s’est approché de moi. Il a posé l’antenne de sa radio sur mon cou en me menaçant de me tuer. Je l’ai regardé droit dans les yeux pour lui montrer que je n’avais peur de rien, surtout après une journée où j’ai subi autant de sévices. Me voyant déterminé, il a ordonné à un policier : « faites-en ce que vous voulez » et il a quitté les lieux.
Le policier, indigné du comportement de son supérieur, a choisi de nous remettre dans le sous-sol. Un autre policier en tenue civile est arrivé et a commencé à choisir, aléatoirement, des militants pour les tabasser. Il a d’abord commencé par un jeune homme d’Iwaquren : Younes Tizimit Bounadi. Ensuite, c’était au tour d’un autre jeune que je n’ai pas eu l’occasion de connaitre. Le Président de la Coordination Est du MAK-Anavad, Mass Kouceila Ikken, s’est, à ce moment, adressé aux militants pour tenir un discours de sagesse et pour les inciter à garder leur sang-froid : « ce sont de vrais criminels. Ils sont capables de tout. »
J’étais le troisième à avoir été choisi, sous prétexte de vérifier le contenu d’une clé USB qu’ils ont trouvé sur moi lors de la fouille.
Une fois dans un bureau tout en haut du bâtiment, il a commencé à me parler de Rachida en la traitant de tous les noms et en lançant toutes sortes d’intox sur elle. Je n’avais plus d’énergie pour lui répondre, j’ai fait semblant de n’avoir rien entendu.
Ensuite, ils nous ont transféré au commissariat central pour que l’on récupère nos téléphones. C’est là que le fameux diable divisionnaire a demandé à me voir pour essayer de me convaincre de lutter pour l’autonomie et de me persuader d’accepter de quitter le mouvement tout en essayant de me corrompre.
Mon corps est plein d’hématomes. A signaler que plusieurs militants présents m’ont rapporté qu’ils étaient témoin d’une décharge électrique que j’aurais reçue de la part des policiers algériens. Je n’ai aucun souvenir de ces faits.
Lazhar Bessadi, militant d’At Waɛvan
SIWEL 231138 May 17 UTC