INTERVIEW (SIWEL) — Nous reproduisons l’interview accordée par le président du Gouvernement provisoire kabyle en exil (Anavad) et du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), Ferhat Mehenni, au journal électronique marocain Hespress :
Premièrement, vous suivez sans doute et de près le Hirak en Algérie. Selon vous, vers quel chemin se dirige le mouvement de contestation ?
Le mouvement, parti de Kherrata (Kabylie) le 16 février 2019, était initialement dirigé contre le 5e mandat de Bouteflika. Ce mandat, visiblement de trop, était alors soutenu par toute la cour en place, à commencer par Gaid Salah et Bensalah qui veulent faire croire aujourd’hui qu’ils sont en train de nettoyer les Ecuries d’Augias des ordures dont eux-mêmes font partie.
Le succès aussi inattendu que fulgurant de cette contestation populaire a ameuté tous les opportunistes qui, croyant la curée à leur portée, tentent chacun de la canaliser vers sa petite personne. Il y a en effet de quoi tenter tous les charognards.
Un mouvement populaire non structuré et sans plateforme politique ne saurait être autre chose que du folklore. Derrière le slogan « yetnehhaw gaâ » se cache toute une faune d’idiots qui attendent la chute du régime pour avoir leur poste dans celui qui va le remplacer. Ils vendent la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Or le régime est toujours debout et ses tenants ne peuvent accéder qu’à des demandes de mouvement de chaises musicales.
J’ai déjà donné mon avis sur les issues possibles à la crise algérienne dès le 27 mars dernier dans une contribution intitulée « Algérie : après la révolution du vendredi, la dictature ou le chaos ». A l’évidence, à un moment ou un autre, le pouvoir aura à assumer un bain de sang ou à se faire lyncher par la rue. Dans les deux cas, c’est au pire qu’il y a lieu de se préparer.
Quel est la position de la Kabylie envers ce mouvement de contestation ?
Notre position ne change pas. La Kabylie a intérêt à quitter le navire Algérie qui va couler. Elle deviendra ainsi une chance pour repêcher tout le monde au moment de la catastrophe.
Mais, actuellement, pour sauver le régime, ses tenants et leurs soutiens internationaux échafaudent désespérément des plans de diversion pour faire de la Kabylie le bouc émissaire de la crise algérienne. Même des puissances étrangères seraient en train de pousser Gaid Salah et ceux qui se cachent derrière lui à activer une opération d’extermination des Kabyles, dite « opération zéro Kabyles ». La gendarmerie algérienne a, au vu et au su de tout le monde, assuré durant trois jours la sécurité d’un conclave tenu fin août à Mostaganem, sous la présidence d’un agent français, Lakhdar Benkoula, pour sceller le destin du peuple kabyle.
Devant le génocide kabyle qui se profile à l’horizon, nous avons écrit à l’ONU, l’Union africaine et l’Union Européenne pour les en alerter et leur demander la mise sous protection internationale de la Kabylie. L’acheminement continu de troupes en territoire kabyle depuis quelques temps est très inquiétant. Il est vital pour les Kabyles d’organiser leur autodéfense s’ils ne veulent pas mourir comme des moutons. Le peuple kabyle ne serait pas loin d’un massacre à grande échelle. Nous saisissons l’opportunité de cet entretien pour lancer de nouveau un SOS international pour éviter ce drame à grande échelle.
Comment percevez-vous les conflits d’intérêts entre les différents généraux algériens et quel est l’avenir du pays face à cette situation délicate ?
Dans l’un de ses derniers discours, le général Gaid Salah a accusé les Kabyles, sans les nommer, d’être le « nouveau colonialisme » dont il va libérer l’Algérie. Les purges qu’il a déjà opérées au sein de l’armée, des hommes d’affaires et des responsables politiques ne touchent globalement que les Kabyles. Une propagande agressive orchestrée, depuis plus d’un an, par des proches du pouvoir en place, traite les Kabyles de « Zouaves » (supplétifs de l’armée coloniale française) et le noble symbole amazigh de « Farchita ».
C’est une guerre contre la Kabylie qui se mène sous forme de conflits d’intérêts entre les généraux, pour reprendre les termes de votre question. Quant à l’avenir, il ne peut être que sombre pour tous. Toutefois, je suis fondé à dire que les Kabyles ne se laisseront jamais faire.
Suite à ces événements qui entourent la vie politique en Algérie, est-ce que vous ne songez pas à profiter de la situation pour appronfondir et renforcer votre position concernant les demandes d’indépendance de la Kabylie ? Ne serait-elle pas une occasion inédite pour vous, afin de prendre de plus en plus d’ampleur ?
Les indépendantistes kabyles bénéficient déjà de la sympathie et de l’adhésion de l’écrasante majorité des Kabyles, où qu’ils se trouvent. Notre priorité est d’éloigner les graves menaces qui s’accumulent sur notre avenir. Il va de soi que ce sont ces menaces-mêmes qui renforcent nos rangs et dictent à tous un devoir de solidarité pour l’indépendance de la Kabylie.
Nous rappelons que notre aspiration à l’indépendance n’est qu’estime et respect pour les autres peuples d’Algérie et que nous ne la concevons pas en tant que rejet de l’autre mais comme amour de soi d’abord.
Quelles sont les dernières nouvelles du gouvernement en exil ? Ses activités et son plan de travail sur le dossier de la Kabylie ?
L’Anavad a déposé un Mémorandum à l’ONU, le 28/09/2017 pour demander la reconnaissance internationale du droit du peuple kabyle à avoir son indépendance, de manière pacifique. Nous avons été reçus au Parlement Européen en décembre dernier.
Le 09/01/2019 s’était tenu un Congrès Extraordinaire du MAK au nez et à la barbe des autorités coloniales algériennes et à l’issue duquel la confiance à la tête du Mouvement et de l’Anavad m’a été renouvelée à l’unanimité des délégués.
Un rassemblement devant le siège de l’ONU à New York a eu lieu le 24/08/2019, un autre devant l’ambassade d’Algérie à Paris, le 08/09 et le 28 septembre nous serons devant le Bureau de l’ONU à Genève, devant le Congrès américain à Washington et le parlement canadien à Ottawa.
Nous avons tissé un certain nombre de relations diplomatiques et faisons partie de cinq organisations internationales.
L’Anavad a également mis sur pied des institutions comme l’Organisations des Entrepreneurs Kabyles (ODEK) l’Union des Etudiant Kabyles (UNEK), une télévision sur le web après qu’Arabsat a refusé de nous diffuser, à la demande de l’Algérie. L’Union des Femmes Kabyles et l’Agence de protection de l’Environnement Kabyle viennent de voir le jour et nous avons l’accord d’un certain nombre de personnalités pour une organisation d’amitié France-Kabylie et une autre Europe-Kabylie.
La charte du député kabyle est actuellement à l’étude chez nos partenaires politiques en vue de mettre sur pied, avant avril prochain, un parlement kabyle. Une monnaie (Adrim) est également en voie de finalisation.
Entre temps, il ne se passe pas un jour où des militants ne sont pas arrêtés en Kabylie et notre mobilisation est quotidienne.
Contre la répression et l’arbitraire du pouvoir algérien, nous mettons sur pied un corps de protection populaire dénommé l’Anaya.
Vous êtes actuellement un gouvernement en exil autoproclamé sous la forme d’une association formée à Paris. Ce statut est-il avantageux pour vous ? Ou bien au contraire vous faites face à des tracasseries de la part de l’Etat Algérien ?
Un gouvernement en exil ne peut être qu’autoproclamé. Il ne peut pas y avoir de gouvernement provisoire élu au suffrage universel ; Par contre, j’ai été élu par le MAK pour former un gouvernement. J’ai la légitimité des urnes indépendantistes kabyles.
L’Anavad n’est pas basé à Paris, ses membres résident dans des pays d’accueil différents. Il ne saurait être régi par des lois associatives de pays tiers. Notre gouvernement a sa propre souveraineté et son propre droit. Par contre, le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie, pour avoir une existence et une action légales dans les pays occidentaux se conforme aux lois associatives des pays d’accueil.
L’Etat algérien proteste vainement auprès des Etats où nous organisons des actions, car celles-ci se mènent conformément aux lois de chaque pays.
Il y’a quelques semaines, vous avez animé une visioconférence avec les étudiants de l’Université de Tizi Ouzou. Cela a bien évidemment suscité une grande polémique.
Cette polémique induit-elle un jugement de valeur sur le fond de la question de ce dossier parmi les Kabyles ?
Les multimédias ont repoussé les frontières de la censure qui sévissaient avant leur avènement au sein des dictatures. Quoi de plus naturel que de nous en servir ? Le mérite revient surtout aux militants du MAK et aux étudiants qui, en dépit de l’opposition du régime, ont imposé cette visioconférence avec débat, dans de très bonnes conditions. En Kabylie, même depuis mon exil, je suis chez moi. Aujourd’hui, j’en suis à ma 4e visioconférence populaire et j’en animerai autant que les conditions le permettront.
Concernant le Maroc, que pensez-vous de vos relations avec le Royaume, qui avait déjà remis en question votre dossier, auprès des Nations-Unies ?
Notre reconnaissance est infinie pour le Roi et le Royaume du Maroc pour avoir demandé, à titre officiel, lors des débats à l’Assemblée Générale de l’ONU, « d’inscrire à l’ordre du jour… le droit du peuple kabyle à son autodétermination ». J’espère que cette position marocaine sera réaffirmée à chaque occasion nécessaire. Notre désir est de fonder des relations officielles entre nos deux pays au bénéfice de nos deux peuples. La construction d’une Afrique du Nord a besoin de cette amitié et de ces liens forts entre nous et le Maroc.
À votre avis, quelle la raison pour laquelle les frontières des deux pays voisins ne sont toujours pas ouvertes ?
Les frontières algéro-marocaines sont l’otage de la chimère militaire algérienne de s’ériger en puissance tutélaire de la région nord-africaine. La question du Sahara en est l’enjeu et le prétexte.
SIWEL 012345 OCT 19
Source : Lien vers l’interview en langue arabe https://www.hespress.com/interviews/444505.html