Mon cher Lwennas,
Nous sommes bouleversés(es), et c’est peu dire.
Par quoi commencer et comment finir ?
Il y’a quelques mois, je t’avais envoyé un petit mot pour te parler de ceux que nous appelions, dans le temps, les champions de la récupération.
J’ai une brûlante et indescriptible envie de te revoir rapidement dans mes rêves, comme ça a été le cas, à plusieurs reprises, après ce tragique 25 juin 1998, pour que tu me dises encore ce que je vais dire aux indignes écrabouilleurs de ta mémoire.
C’est, encore, peu dire que je suis écœuré, ulcéré, abattu et complètement effondré.
Ni le poète que tu es, ni le révolutionnaire que tu es, ni le visionnaire que tu es, encore moins L’ÉCLAIREUR que tu es, n’a le droit au repos mérité des braves hommes qui ont laissé derrière eux des empreintes indéfectibles.
Déjà au 19ème siècle, les kabyles disaient : Taqvaylit tuɣ azraraf, (l’honneur kabyle est déchiqueté).
Ceci se confirme, hélas, de nos jours avec une virulence et un acharnement sans précédent.
Oui mon cher, je sais que tu veux nous dire : – Ne lâchez rien, parce qu’il n’y a que les lâches qui lâchent -.
Avec ton aimable autorisation, je transmets ce message à tous les kabyles qui veulent que ton sang, et celui de tous les dignes enfants de la Kabylie, qui a arrosé toute la terre de notre mère patrie, ne passe pas en pertes et profits.
Je dois reconnaître que j’ai beaucoup de mal à trouver les mots justes et adéquats pour te décrire l’état d’esprit de la jeunesse kabyle d’aujourd’hui face aux souillures qui nous accablent tous et toutes.
Il y’a un bouillonnement et un déferlement tels, que nous avons été plongés dans un profond malaise qui nous tourmente sans discontinuer ; bien sûr à ton sujet. Dire que nous sommes indignés(es) n’est pas assez fort !
Les vautours, les charognards et tous les prédateurs infectes sont de sortie ; ils ne ratent pas la moindre occasion pour sauter sur toutes les proies, surtout lorsqu’il s’agit d’un lion abattu par des crapules et des ordures qui n’ont pas la valeur d’un clou rouillé ou d’un poisson pourri.
On ne peut pas les humilier parce qu’ils n’ont jamais honte.
Je puis cependant te rassurer que la jeunesse kabyle est, plus que jamais, déterminée à accéder à la République de Kabylie que tu as appelé de tes voeux.
L’ignominie, l’avilissement, le déshonneur et la flétrissure des imposteurs n’y pourront rien.
Nous sommes debout et tu l’es toujours et encore avec nous.
L’espoir que tu as semé pousse à grande vitesse.
À la prochaine, mon cher compagnon de lutte.
S ɣuṛ Ṭeyyev amendid-ik.
SIWEL 212145 FEV 18
[Ṭeyyev Abdelli, militant kabyle, poète, chanteur, écrivain, s’apprête à publier un livre-événement sur Matoub Lounès],
Tayeb Abdelli publie « Matoub Lounès, notes et souvenirs d’un compagnon de lutte »