CHRONIQUE (SIWEL) — Il y’a des blessures que le temps n’efface pas.
Ainsi, la progéniture de l’émir Abdelkader, de Messali, du bachagha Boualem et de bien d’autres beni-oui-oui, du temps de l’occupation française, décide aujourd’hui de l’anéantissement des Kabyles, sans gêne, sans contrainte, et avec une arrogance et une désinvolture à faire frémir les esprits des braves enfants de l’historique Wilaya III, et des anciens de la fédération kabyle de France (Wilaya VII) qui se sont donnés corps et âme pour mettre fin au colonialisme français. En terme de récompense, nous ne pouvions pas attendre mieux. Passons sur le khawawisme qui a été abondamment traité et commenté. Nous y reviendrons en cas de nécessité !
Dda Nafaε, de son nom de guerre « Poupi », natif d’un village de Kabylie, que j’ai eu l’honneur de croiser et de connaître à Paris, à la fin des années 70, était chef des secteurs du 2ème et 3ème arrondissement de la capitale française pendant la guerre 54/62. Son surnom de Poupi lui a été donné du fait qu’il était un très beau garçon dans sa prime jeunesse. Il avait, sous sa houlette, 148 militants-guerriers. Parmi eux un seul arabophone faisait partie de l’équipe.
Dda Nafaε m’a raconté qu’il avait donné ordre à tous ses hommes de le surveiller comme le lait sur le feu. Tous ses faits et gestes devaient lui être rapportés.
C’est dire la confiance que les responsables kabyles pouvaient placer dans ce genre d’individu qui pouvait être retourné comme une crêpe par les services français. Toujours est-il qu’il avait été maîtrisé par les hommes du chef des deux secteurs, sachant qu’au moindre dérapage il ne pouvait pas échapper à la sentence.
Un jour, durant l’année 58, Dda Nafaε était en réunion secrète avec ses adjoints, dans l’arrière salle d’un café restaurant kabyle situé rue Au Maire dans le 3ème arrondissement de Paris.
Naturellement, ses adjoints étaient tous des Kabyles !
Le café restaurant ne disposait d’aucune sortie de secours.
Au bout d’un certain moment, trois cars de police sont arrivés sur le lieu. Les policiers ont braqués tous les Kabyles qui s’y trouvaient en leur ordonnant de garder leurs mains sur leur tête. Poupi et ses compagnons avaient entendu tout le brouhaha qui s’y déroulait. Aussitôt ils installèrent leur pistolet mitrailleur sur les genoux en dessous de la table. Quelques brèves minutes seulement, un des officiers de police pénétra dans l’arrière salle et ordonna, illico presto, au groupe de mettre les mains sur la tête et de ne pas surtout pas bouger. Dda Nafaε, d’un calme olympien, lève son pistolet mitrailleur, le pointe sur l’officier et lui ordonna calmement de s’approcher de lui. Celui-ci s’exécuta sans renâcler et baissa sa tête vers « Poupi » qui lui a dit, le doigt sur la gâchette, est-ce que vous avez des enfants ?
Aussitôt, l’officier, qui avait vite compris que l’on ne se fait pas de cadeau en temps de guerre, avait reculé, et est sorti de l’arrière salle en ordonnant à ses policiers d’évacuer le lieu sur le champ. Le sang froid, le calme et la lucidité de Dda Nafaε, avaient évité un carnage assuré.
Ceci n’est qu’un petit exemple parmi des dizaines, voire des milliers d’autres que les Kabyles ont vécus durant cette guerre qui ne nous a rien épargné.
Le 03 septembre 1960, un guet apens (tasraft) bien organisé, par les services français avec les messalistes, fut tendu à « Poupi » à proximité de la place de la république, occupée aujourd’hui par les khawawistes, drôle de coïncidence, et celui-ci a été arrêté par une armada de policiers en civil et de militaires. Allez savoir qui l’avait « vendu » ?
Le lendemain, à la une du quotidien « France Soir », tout le monde découvrit le visage du « terroriste » Poupi.
Quelques mois plus tard il fut transféré dans une prison au pays. Avec un subterfuge, dont lui seul avait le secret, il réussira à s’évader du centre pénitentiaire et rejoindre le maquis, d’où il continua à combattre jusqu’au cessez-le-feu.
Dès l’été 62, il revint en France dont il avait pourtant combattu le colonialisme, avec toute la vivacité que l’on lui connaît et que l’on connaît à ses semblables.
Les raisons vous les connaissez toutes et tous. C’était suite à la contre révolution opérée par les 40 000 soldats de l’armée des frontières, contre l’ALN qui a été laminée par les scélérats et les DAF, « déserteurs de l’armée française ».
Laissons, si possible, la plaie se refermer, et souvenons-nous de la suite et du sort réservés aux Kabyles qui avaient chassé le colonialisme français.
Juste après la proclamation de « l’indépendance », la chasse aux sièges était ouverte. Plusieurs anciens compagnons de Dda Nafaε s’y sont mis. Ils se sont placés dans l’administration à tous les postes de responsabilité. Chef de kasma, chef de parti, commissaire, officier supérieur de police et autres places de choix.
Tous ceux qui étaient sous son autorité, pendant la guerre, se sont bien casés.
Dda Nafaε, en France, s’est mis à travailler à son compte en qualité d’artisan peintre, plombier, carreleur, poseur de moquette et de papier peint.
Il avait tellement été déçu, tellement été désabusé par la suite des événements, qu’il avait une rage et une colère indescriptibles qui se lisaient dans ses yeux.
Son amertume était telle que l’on voyait et devinait, en face de nous, un homme avec un grand H, qui n’était que l’ombre de lui-même.
Une bonne partie de ceux qui étaient sous son aplomb, durant la période de la guerre, tous placés comme rappelé si haut, revenaient à Paris pour tenter de le convaincre de rentrer et lui faire prendre une place de choix.
Et pas n’importe laquelle. Il pouvait prétendre aisément à la fonction de préfet avec son certificat d’études primaires du début des années 50, et surtout de son parcours au sein de la fédération kabyle de France.
Jusqu’à la fin des années 60, ces nouveaux hauts placés ont fait des pieds et des mains pour le ramener à la « raison », et l’embarquer avec eux dans leur nouveau monde, mais il était d’un caractère inébranlable.
Il dira à tous ces nouveaux parvenus qu’il était était prêt à rentrer, à la seule condition qu’ils reprennent le combat contre les fossoyeurs et les sbires qui ont confisqués les sacrifices des braves.
Dda Nafaε restera artisan jusqu’à sa retraite, et refusa tous les privilèges dont il pouvait en bénéficier. C’était l’un de ces hommes, qui n’ont jamais courbée l’échine devant les croque morts et les pillards, initiateurs de la voyoucratie, qui ont tout dévasté depuis plus d’un demi siècle.
Voici l’exemple d’un digne Kabyle, appelé à subir l’opération « Zéro Kabyle », après l’opération « Jumelles », du 22 juillet 1959 au 04 avril 1960, qui avait réduit en cendres la Kabylie, ses villages, une grande partie de sa population ; personnes âgées et bébés compris.
Je me rappelle même de cette formule, gravée dans ma mémoire, par laquelle les Kabyles disaient : Ṛɣan ula d-ikurdan nneɣ. (Même nos puces ont été cramées).
En fait, où étaient à cette époque-là les parents et les grands parents de ces gougnafiers hillaliens qui rêvent aujourd’hui de « Zéro Kabyle » ?
A.T. le 08/09/2019
SIWEL 091200 SEP 19