PRESSE (SIWEL) — Siwel reproduit l’entretien accordé par le président Ferhat Mehenni à l’hebdomadaire d’expression française L’Observateur du Maroc et repris par « Pouvoirs Afrique » un média partenaire du Wall Street Journal :
Suite aux élections législatives qui ont eu lieu en Algérie samedi dernier, Ferhat Mehenni, le Président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et du Gouvernement provisoire kabyle, analyse l’issue de ce scrutin, largement boycotté à travers le pays, et surtout la non participation de la Kabylie. Entretien réalisé par Hakim Arif
Lobservateur.info: Les élections législatives algériennes qui ont eu lieu samedi dernier ont confirmé la position de la Kabylie qui les a boycottées. Quelle a été l’ampleur de ce boycott ?
Ferhat Mehenni : Le boycott des législatives auquel nous avons appelé en Kabylie a été suivi à près de 100%, ce 12/06/2021. Même certains candidats n’ont pas voté.
Quelle a été l’attitude des autorités algériennes ?
Il y a eu deux postures des tenants du régime :
Dans une première phase, gagnés par la peur de leur désaveu par le peuple kabyle, à travers ces législatives, ils ont commencé par faire dans l’intimidation et la diabolisation du MAK. Ils ont multiplié fautes et erreurs de vision et de gestion. De cette façon, ils ont pris la décision saugrenue de classer le MAK comme organisation terroriste sur la base d’opérations ridicules, montées de toutes pièces par les services algériens en essayant en vain, de nous les attribuer (affaire Noureddine H).
Ils ont durci la loi électorale pour rendre passible de 20 ans de prison ferme tout auteur d’appel à boycotter les élections. Ils ont procédé à des arrestations par centaines de militants et instrumentalisé l’institution judiciaire contre les opposants… Ils ont encouragé une poussée raciste antikabyle dans les discours officiels des animateurs de la campagne électorale…. Bref, tout a été essayé pour faire voter la Kabylie, rien n’y fait.
Dans une seconde phase, constatant l’unité du peuple kabyle face à ces législatives, le président de façade du régime algérien, M. Tebboune, annonce contre toute attente, que « le taux de participation n’était pas important » à ses yeux et que l’essentiel est d’avoir des députés qui soient fondés à siéger au parlement. Il assume ainsi l’illégitimité de la future instance législative et l’illégalité des lois qu’elle va voter.
Admirons donc cette « Algérie nouvelle » que les généraux voulaient vendre comme un label de bonheur et qui tourne au fiasco total : Elle n’a ni président, ni constitution ni parlement légitimes. Elle a mis à nu un pouvoir hors-la-loi, déconnecté des peuples qu’il est censé représenter.
Je crois qu’avec un résultat pareil, M. Tebboune n’en a plus pour très longtemps à la présidence de l’Etat.
Quelle lecture doit-on faire de ce boycott ?
Ce troisième boycott kabyle en 18 mois, jour pour jour, de consultations électorales stratégiques pour l’Algérie, n’a qu’un seul sens pour nous : Le rejet de l’algérianité par la Kabylie et l’affirmation d’une très forte personnalité nationale kabyle. C’est notre troisième référendum d’autodétermination en faveur de notre indépendance.
Enfin, nous sommes en train d’organiser sur le net, une consultation référendaire qui prendra fin le 20 avril 2022 et qui, elle, a beaucoup de succès.
N’ayant donc pas voté, comment le pouvoir central va-t-il agir pour assurer une représentation législative de la Kabylie ?
Le pouvoir peut coopter qui il veut ! En revanche, la Kabylie considère qu’elle n’a élu personne et qu’elle dénie à qui que ce soit le droit de la représenter dans une instance qui n’est pas la sienne.
Selon le président de l’Algérie, le MAK est une organisation terroriste qui vise à déstabiliser le pays. Toutefois aucune organisation internationale ou régionale ne l’a suivi dans cette accusation. Que cherche-t-il en vous accolant cette étiquette ?
En classant le MAK en tant qu’organisation terroriste, le pouvoir militaire en Algérie escompte faire d’une pierre deux coups : Au plan interne, il veut terroriser nos militants et les pousser à la faute de la clandestinité. Nous refusons de tomber dans un piège aussi grossier. Si des militants du MAK se mettaient à vivre dans la clandestinité, les services algériens organiseraient des attentats terroristes pour les leur attribuer.
Au plan international, il vise à freiner la diplomatie kabyle dans sa quête de soutiens internationaux à la cause de l’autodétermination de la Kabylie. Les pays qui le suivront dans son délire ne nous accepteront pas chez eux.
La Kabylie se bat pour son indépendance depuis des années déjà. Toutefois la question kabyle n’est pas sur les agendas des organisations internationales comme l’ONU et l’UA.
En effet, en dehors du Maroc que nous remercions et qui a défendu le principe du droit à l’autodétermination du peuple kabyle devant l’ONU, depuis fin octobre 2015, nous n’avons pas encore gagné de nombreuses chancelleries à notre cause. Il est probable que cela soit dû au fait que notre lutte est pacifique. Jusqu’ici, les grandes puissances ne sont sensibles qu’aux guerres et les effusions de sang dans lesquelles nous refusons de verser. Nous sommes au 21e Siècle et nous voudrions initier pour l’avenir de l’humanité, une autre voie de libération nationale, autre que celle des années 50-60 du siècle dernier. La tâche est plus ardue mais non moins exaltante.
Quel est votre plan pour introduire cette revendication auprès de ces instances ? Comment se déroulera le processus ?
Nous avons introduit un Mémorandum auprès de l’ONU et de l’UA appelant ces organisations internationales à reconnaître au peuple kabyle le droit à l’autodétermination. Nous continuons de batailler pour le faire aboutir.
L’Union européenne est un acteur important dans la politique internationale. Comment voit-elle l’autodétermination de la Kabylie ?
Nous avons rencontré de nombreux députés européens qui nous ont assuré de leur sympathie et de leur soutien. Mais nous avons besoin de celui de leurs pays respectifs qui obéissent à des intérêts parfois aveuglants. La pandémie de la Covid 19 a gelé la diplomatie en empêchant par les mesures des restrictions sanitaires, les déplacements et les meetings internationaux. Nous irons les voir de nouveau.
Sur un plan plus global, portant sur la politique régionale, comment le Mouvement kabyle interprète-t-il les derniers événements impliquant le pouvoir algérien et l’Espagne dans l’affaire du chef du Polisario ? Selon vous l’UE a-t-elle raison de prendre le parti de l’Espagne sachant que le problème est entre le Maroc et l’Espagne ?
Ce n’et pas la première fois que l’Europe plie devant les desideratas espagnols. L’affaire du référendum d’autodétermination catalane a révélé que l’Espagne est toujours porteuse de poussées franquistes dommageables pour la démocratie européenne. Pour que l’UE s’émancipe de ce genre de chantage diplomatique, le passage d’une Europe syndicale des Etats à celle de la confédération des peuples est une nécessité. L’idée vaut aussi pour l’Afrique du Nord.
Le monde est attentif à votre Mouvement et chercherait à connaître votre position en matière de politique internationale. Avez-vous une vision dans ce sens ?
Nous avons une vision globale que nous avons exprimée dans au moins trois livres : « Le siècle identitaire » (Editions Michalon 2010), « La France va-t-elle perdre l’Afrique ? » (Editions Dialogue Nord-Sud, 2014) et « Kabylie, mémorandum pour l’indépendance » paru aux Editions Fauves (2017). Un nouveau livre, intitulé « Réflexions dans le feu de l’action » va voir le jour à la rentrée prochaine et qui consacre trois parties sur les cinq qu’il contient, aux questions internationales. Nous aspirons à un monde de paix, de liberté et de démocratie dans le respect de la volonté des peuples de jouir de leurs droits.
Vous avez sans doute suivi les informations concernant les manœuvres internationales menées par les armées maroco-américaines dans des régions du Maroc y compris les régions du Sud. Comment analysez-vous cette action ?
La première lecture que nous en faisons est que l’Union Nord-Africaine qu’on appelle à tort l’UMA, est une coquille vide. Au lieu d’être le trait d’union entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, l’Afrique du Nord est devenue le lieu de leurs fractures. C’est là qu’il y a nécessité d’une émergence de la Kabylie en tant qu’acteur de paix et de médiation entre les différents pays de la région.
Comment la Kabylie envisage-t-elle ses relations entre les pays voisins ?
La Kabylie sera attentive aux préoccupations de ses voisins et œuvrera sans relâche à une meilleure coopération dans la prévention et la résolution des conflits, la neutralisation des menaces et à une coopération multilatérale dans tous les domaines.
Le MAK a-t-il des soutiens internationaux ? Qui sont-ils ?
Nous travaillons à en acquérir
SIWEL 142325 JUIN 21