LA PETITE RÉGION ET LE GRAND PAYS

KABYLIE (SIWEL) Le sympathique Idir Tazrout vient de rendre publique cette publication laconique : « Quand tout un peuple n’arrive pas à séparer un groupuscule de dictateurs et de criminels du pouvoir, comment pourrait-il séparer une petite région d’un grand pays ? »(1).

Le besoin de porter l’estocade, non à la personne elle-même qui ne fait que relayer, de bonne foi peut-être, une sorte de plaisanterie frelatée, mais à un raisonnement instinctif – un oxymore – largement répandu et qui file comme une anguille, se fait sentir et devient même une nécessité. Ainsi, le non-dit, le déni, voire la mystification, se transforment-ils parfois en aiguillon de la vérité. . Dans la forme, le propos mis en cause, peut paraître séduisant, mais dans le fond, il ne fait que reproduire une approche anachronique relevant du sempiternel déni d’une réalité sociologique, politique, identitaire, historique et sociétale et ce, au-delà même d’une forme d’autoflagellation qu’il sous-tend.

Avant tout, quelques précisions s’imposent :


La réalité veut qu’il y ait « des peuples » et non « un peuple » dans ce que les transis par la taille, appellent le « grand pays ». Ensuite, ce qui est qualifié de « petite région » fut, hormis son vulnérable littoral et quelques vallées qui, du fait du contexte historique et de leur large planitude, étaient difficiles à protéger, un territoire indépendant et ce, jusqu’en 1857, avec, à une certaine époque, deux royaumes et le reste du temps, sans État, mais suffisamment organisée en confédérations qui n’ont jamais été sous la botte d’une autorité étrangère avant la débâcle d’Icherridhen. Aussi, cette « petite région » faisait, au début du siècle dernier, le double de ce qu’elle est devenue aujourd’hui et ce, par l’effet d’une arabisation intensive et systématique qui, à l’horizon 2150-2200, risque de la faire disparaître, linguistiquement et culturellement (Voir rapport de l’Unesco sur les langues en danger d’extinction).

Autre élément : le peuple qui a vainement essayé de « […]séparer un groupuscule de dictateurs et de criminels, du pouvoir[…] » n’est en fait que l’unique peuple de la « petite région », les autres peuples de ce « grand pays » étant restés quasi constants entre détachement de la chose politique (Mozabites, Imuhaghs…) et, pour les Arabes, alternant adhésions plus ou moins massives, tantôt à ce « groupuscule de dictateurs et de criminels » combattu en permanence par le peuple de la « petite région », tantôt à l’islamisme qui a tout conquis sauf la « petite région » qui, de par sa sociologie, a choisi, depuis toujours, la voie de la laïcité et de la démocratie ; une digue qui, faut-il le rappeler, ne tiendra pas longtemps à cause surtout de l’autoflagellation et autres dérives de la partie assimilationniste de la « petite région » dont I.Tazrout, à travers sa publication, a choisi d’en être la vitrine de circonstance.

Au final, n’est-ce pas que près de soixante-dix ans depuis une indépendance que ce « grand pays » doit essentiellement aux sacrifices de la « petite région », soixante-dix ans d’une lutte stoïque du seule peuple de la « petite région » contre le « groupuscule de dictateurs et de criminels », soixante-dix ans pendant lesquels la « petite région » s’est réduite comme une peau de chagrin et ce, plus qu’elle ne l’a été depuis des siècles, soixante-dix ans de générosité et de pédagogie dans le sens où c’est la « petite région » qui lutte et qui sacrifie les meilleurs de ses enfants tout en revendiquant des droits et une vie digne à tous les autres peuples que claustre le « grand pays » et qui n’ont manifesté à son égard, que dédain, indifférence, racisme et rejet… soixante-dix ans durant lesquels la « petite région » a oublié, sciemment ou pas, qu’elle fut souveraine dans un passé lointain, pour se mettre à croire, seule, en une communauté de destin avec les autres peuples du « grand pays » qui, eux, ne conçoivent d’autre destin qu’au sein de leur oumma qui renie l’altérité et donc la « petite région » et, dans le meilleur des cas, qui la folklorisent, considérant son peuple telle une populace de seconde zone dont la langue et la pensée qu’elle véhicule, devraient être circonscrites, telles des pestiférées en quarantaine, dans l’enceinte du foyer familial et aux limites des collines qu’elle habite et ce, pendant que la langue du « grand pays », sacralisée, déifiée et mythifiée, est imposée à la « petite région » dans ses institutions, les barrages routiers, ses écoles, son administration… y compris dans la bouche de ses pseudo-élus et de son opposition croupion dont le « groupuscule de dictateurs et de criminels » s’accommode fort bien pour tenter de marginaliser et de minimiser l’aspiration grandissante de la « petite région » à en découdre et à re-disposer de son destin, loin de toute tutelle du « grand pays », ce qui n’est, à juste titre, qu’un retour aux sources qui ne dépend que de la seule volonté de son peuple et, in fine, l’unique voie de salut pour la « petite région » qui est, au passage, beaucoup plus grande territorialement que nombre de vrais « grands pays » de ce monde ; même si un grand pays ne se définit point par l’étendue de sa superficie, mais par le génie de son peuple, et la « petite région », voyez-vous, a du génie à revendre.

Allas DI TLELLI
20/04/2016

SIWEL 102040 NOV 21