Mémorandum –  partie 4 (dossier culturel) : les enjeux de la langue kabyle

MEMORANDUM

POUR LE DROIT A L’AUTODÉTERMINATION DE LA KABYLIE

Déposé à l’ONU le 28 septembre 2017

Dossier culturel

les enjeux de la langue kabyle

 

Une culture est l’expression d’un peuple, de son génie et de sa civilisation. Le chant et la danse, les contes et les légendes, les rapports à l’altérité, l’autorité, la parenté et les valeurs qui les sous-tendent, le rapport au climat et au relief, à la nature et aux divinités, la création artistique et l’imaginaire … sont autant de manifestations qui traduisent à la fois une identité et une humanité. Bref, la culture est l’âme d’un peuple et le foyer de son humanité. Mais ce qui en fait un tout distinct des autres cultures est ce qui la dit et la véhicule : la langue. Parce qu’elle est identité et différence, c’est à elle que s’attaquent en priorité tous les envahisseurs. Les colonisateurs se sont tous rendus compte que pour dominer un peuple il faut tuer sa langue, la dévaloriser et l’interdire. Un peuple reste peuple tant qu’il parle sa langue.

La langue est donc un facteur déterminant dans la résistance d’un peuple ayant perdu sa souveraineté. La plupart des coups de boutoirs visant à le dépersonnaliser sont portés à sa langue et ses manifestations culturelles.

Il en va de même pour la langue et la culture kabyles. Depuis 1962, la langue kabyle est niée, réprimée, interdite. A ce jour, quand des officiels parlent de « la » langue amazighe, à laquelle elle est apparentée, c’est en général pour ne pas citer la langue kabyle. Un peuple qui n’a pas de langue n’en serait pas un. Le déni de langue induit le déni d’existence d’un peuple, de son identité.

Dès le transfert de l’Etat colonial français à son nouveau gérant algérien, Ahmed Ben Bella, celui-ci s’empressa de substituer son identité à l’identité kabyle, en affirmant « Nous sommes des Arabes ! »

Après l’échec de la rébellion kabyle contre ce nouveau colonialisme identitaire et culturel, des politiques d’arabisation de la Kabylie sont menées tambour battant et au fur et à mesure que l’on avance dans le temps, elles s’affinent, deviennent plus agressives et plus pernicieuses. L’arabisme linguistique et culturel de l’Algérie s’est adjoint les services de l’islamisme pour abattre les défenses culturelles de la Kabylie. L’arabo-islamisme est le poison mortel que tente d’injecter en vain le colonialisme algérien en Kabylie.

L’école interdit la langue kabyle mais la création de l’Académie Berbère, en France (1966-1977) et l’enseignement bénévole assuré par Mouloud Mammeri à l’université d’Alger ont assuré momentanément la survie linguistique. Toutefois, dès 1973, ce cours bénévole de berbère est décrété illégal et supprimé. L’Académie Berbère a été dissoute en 1977, par décision judiciaire française.

En opposition à ces interdictions, la chanson kabyle défie la censure et nourrit le sentiment d’appartenance identitaire et l’esprit de résistance contre l’aliénation. Sa modernisation dans les années 70 renverse la vapeur sur l’arabisation. C’est à coups de milliards que le pouvoir algérien va promouvoir un genre musical contre la percée de la chanson kabyle.
D’ailleurs, une étude parue en 1982, dans « Tafsut Spécial, Etudes et Débats » montre que 90% des chanteurs kabyles ont été victimes de la censure, à un moment de leur carrière.

Même les droits d’auteur, censés promouvoir la culture algérienne, consacrent la discrimination entre production culturelle en arabe, en français et en kabyle. Les œuvres composées en kabyles sont rémunérées 50% moins chères que celles qui sont en arabe et 25% moins chères que celles en français. Les cachets alloués aux artistes kabyles par les offices publics algériens (il n’y a pas de salles de spectacles privées) sont dix fois moins chers que ceux qui chantent en arabe ou en français.

Alors que les Kabyles refusaient d’apprendre la langue française tant que la France les dominait, ils se sont rués sur son apprentissage au lendemain de la « décolonisation » pour contrer l’arabisation que le nouveau colonialisme voulait leur imposer.
Les années 70 seront celles de la mise à l’écart des fonctionnaires kabyles au prétexte qu’ils maîtrisaient la « langue du colon » mais pas « la langue nationale », autrement dit l’arabe qui n’est, en réalité, la langue d’aucun Algérien.

La chasse aux « berbéristes », c’était ainsi qu’on appelait les activistes kabyles, battait son plein. De nombreux jeunes militants appréhendés avec une lettre d’alphabet tifinagh (alphabet berbère) sont arrêtés, torturés et emprisonnés sans jugement.
La radio kabyle, créée en 1947, par la colonisation pour éteindre l’aspiration kabyle à la liberté et à l’indépendance, est devenue, à partir de 1962, l’institution la plus surveillée et la plus censurée de l’Etat algérien. La grille des programmes, ses temps d’émission ont toujours fait l’objet de mesures visant à arabiser les Kabyles. Alors qu’elle émettait au départ, de 6h à minuit, on en est venu à couper l’antenne de 9h à midi, de 15h à 18h et de clôturer à 22h.
Aujourd’hui, au temps des radios locales, il n’existe pas de radios libres. Radio Soummam et radio Tizi-ouzou sont celles qui diffusent la plupart du temps en arabe.
La Kabylie n’a droit en Algérie à une émission de télévision dans sa langue que depuis le 23/12/1991. Ce fut un journal parlé, sans images que celle du speaker. Ce n’est que depuis très peu qu’il y a une chaîne de télévision algérienne appelée Tamazight 4 et qui écrit ses génériques en caractères arabes.

En 1994, pour imposer l’enseignement de sa langue, la Kabylie observe un boycott scolaire qui a duré près d’une année. Il a été couronné par la reconnaissance de fait de l’identité et de la langue, non pas kabyles, cela demeure encore tabou, mais amazighes. Un Haut-Commissariat à l’amazighité est créé et un début d’enseignement lancé. A ce jour cet enseignement n’est pas intégré dans les notes du cursus scolaire. Par ailleurs, un problème de graphie s’est posé. La Kabylie écrit sa langue en caractères latins et les tenants du colonialisme en Kabylie veulent imposer les caractères arabes. La question n’est toujours pas tranchée. La Kabylie écrit en caractères latins et les officiels algériens en caractères arabes.

Depuis 2003, une politique de la corruption culturelle a été pratiquée par la Maison de la culture de Tizi-ouzou. Seuls les artistes kabyles affamés sont contraints à se produire « sous l’égide de son Excellence le président de la république » ou de Madame la Ministre pour glorifier une politique ethnocide. Il en est de même des associations culturelles. Ne sont subventionnées que celles qui prêtent allégeance au régime antikabyle.
Le seul festival que l’Algérie organise en Kabylie est le « festival des danses arabes et africaines ».

On le voit clairement : le bras de fer entre l’Algérie et la Kabylie n’est pas loin de connaître son épilogue si ce n’est avec l’indépendance de cette dernière. Le fait de faire traîner en longueur cette épreuve, loin d’affaiblir l’un des protagonistes, entraîne plutôt ceux-ci dans une spirale qui les portera, à coup sûr, vers une montée aux extrêmes préjudiciable à la paix sur la rive sud de la méditerranée.
Pour évaluer cet antagonisme entre le colonialisme algérien et la résistance kabyle, sur le plan culturel, voici une chronologie des faits, en mesure d’édifier les observateurs de l’ONU et l’opinion internationale autant sur l’injustice qui frappe le peuple kabyle que sur la nécessité qu’il exerce son droit souverain à son autodétermination.

Note de la rédaction : la chronologie sera publiée dans un prochain article.

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SIWEL 251115 Oct 17 UTC

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